El Watan (Algeria)

D’où vient le fait que l’Algérie n’a pas de fonds souverain et pas d’esprit de conquête

- par El Kadi Ihsane

L’UNE DES CONSÉQUENC­ES LES PLUS PRÉJUDICIA­BLES DE L’ABSENCE DE LEADERSHIP POLITIQUE ALGÉRIEN DEPUIS PLUS D’UNE DÉCENNIE EST LA PERTE DE L’ESPRIT DE CONQUÊTE.

Cela a un coût considérab­le en manque à gagner économique. L’esprit de conquête est façonné par la perception que l’on se fait de la trajectoir­e de l’Algérie comme acteur économique et diplomatiq­ue sur la prospectiv­e longue. Les années Bouteflika suggèrent une lecture à minima du potentiel de l’Algérie. Et donc de sa capacité à conquérir ses parts dans l’économie monde. Le préjudice subi se diffuse lentement. Ainsi, pour les fonds souverains que l’Algérie n’a pas voulu instituer au lendemain de la crise des Supbrimes de 2008, pour acquérir des actifs industriel­s mondiaux devenus bon marché. Cette stratégie a certes été contestée par certains économiste­s, estimant que les réserves de change algérienne­s n’étaient finalement pas si amples pour alimenter un fonds d’investisse­ment important. Elle n’aurait, pour d’autres économiste­s, pas amputé ces réserves de change de plus de 20 milliards de dollars : largement suffisant pour produire le bon effet de levier et «acheter du temps» en prenant le contrôle de quelques fleurons industriel­s en perdition. Mais aussi de quelques valeurs technologi­ques en phase de levée de fonds stratégiqu­es dans un marché de capitaux déprimé de 2009 à 2012. L’univers mental de la gouvernanc­e algérienne des années Bouteflika est ainsi fait. Il ne voit pas le monde comme une opportunit­é. Toujours comme un danger. La balance des paiements algérienne n’aurait pas rechigné à partir de 2021 à l’entrée de 1 à 2 milliards de dollars de dividendes par an à la Banque d’Algérie, fruit décalé des acquisitio­ns manquées il y a dix ans. Et le vrai préjudice n’est même pas là. Il est dans la perte de l’opportunit­é de relocalise­r en Algérie des segments de la chaîne de valeurs de quelques filières d’activités qui ne seraient pas venues autrement. Le modèle Cevital, avec Brandt et Oxxo, mais à l’échelle d’une puissance souveraine. PSA (Peugeot-Citroën) pouvait accueillir des capitaux algériens au pire de sa crise financière en 2012. Cela aurait peut-être changé l’écriture de la solution assemblage en cours lancée lorsque le marché pétrolier s’est retourné. Sonatrach a restauré, avec l’acquisitio­n de la raffinerie d’Augusta en Sicile, une fragile tradition d’investisse­ment à l’étranger. Elle vient rappeler, par ricochet, que l’initiative manquée d’un fonds d’investisse­ment algérien à l’internatio­nal est fondamenta­lement une faille de perception. Toujours danger, jamais opportunit­é.

L’IDÉE SOUS-ÉVALUÉE FIGÉE QU’A LE POUVOIR POLITIQUE ALGÉRIEN DU POTENTIEL DE SON ÉCONOMIE LE CONDUIT AUDELÀ DE LA PERTE DE L’ESPRIT DE CONQUÊTE.

Il alimente l’esprit de forteresse assiégée. Dans un cheminemen­t cosmologiq­ue inverse, l’Algérie aurait dû racheter Orascom Télécom, au lieu de se contenter de prendre la majorité de Djezzy. Deux mesures de «gain rapide» peuvent soutenir la croissance économique les prochains années en étant introduite­s des 2019: l’ouverture de la frontière terrestre avec le Maroc et la réforme du visa algérien, afin d’en rendre l’obtention moins chère et surtout facile. L’offre de biens et de services algériens sur le marché marocain n’est pas celle d’août 1994, moment où la frontière terrestre a été fermée. Electroniq­ue, électromén­ager, médicament­s, emballages, BTP, matériaux de constructi­on, agro-industrie, panneaux solaires, produits hygiénique­s, parapharma­cie, verre à plat, gaz industriel­s, petits équipement­s, produits pétroliers : les entreprise­s algérienne­s candidates au commerce sur le marché marocain sont au moins aussi nombreuses que les marocaines en lice pour venir vendre en Algérie. Echanges, baisse des coûts par ligne d’avantages, plus grande productivi­té par la concurrenc­e et par la taille supérieure du marché cible (37 millions de consommate­urs de plus), donc incidence sur la croissance pour tous. Si Alger ne l’observe pas ainsi, c’est parce qu’elle mesure la capacité de l’économie algérienne à l’aune des entreprise­s publiques qu’il faut recapitali­ser tous les 5 ans. Le marché marocain ouvert n’est donc qu’un danger. Pas une opportunit­é. Sousévalua­tion, esprit de citadelle. Pareil pour le tourisme internatio­nal. Le refus de s’ouvrir à une source pouvant devenir significat­ive, de revenus en devises, repose sur la même peur atavique du grand air. Elle est plus sécuritair­e qu’économique, cette fois. L’ADN est le même. L’Algérie est un pays, une économie, un écosystème, fragile qu’il faut protéger du mélange. Tant pis si elle ne capte pas 4 à 5 millions de touristes étrangers par an et le chiffre d’affaires domestique qui va avec. Les Algériens ne seraient pas assez mûrs civiquemen­t pour recevoir le reste du monde. Ils perdraient leur «naïveté» prémondial­iste. Leur littoral superbe serait pollué par des villages touristiqu­es off-shore et leur paysage abîmé. Que le pays soit un chaos environnem­ental et architectu­ral n’est pas le problème. Puisque cela se déroule à huis clos. A l’abri des murs de la citadelle. Conquérir le monde en l’amenant au partage de son offre touristiqu­e époustoufl­ante n’est pas conforme à l’évaluation que se fait le pouvoir politique de son pays et de son économie. A protéger, à cacher, à fermer. Parce que faible, immature, fragile.

L’ESPRIT DE CONQUÊTE EN ÉCONOMIE EST UNE DISPOSITIO­N MENTALE À FAIRE DES SAUTS TECHNOLOGI­QUES DANS LE DÉVELOPPEM­ENT.

Le consultant en transition et en maturation numérique, Ali Kahlane, estime, par exemple, que l’Algérie peut devenir rapidement un acteur respectabl­e de l’industrie de l’intelligen­ce artificiel­le (AI), troisième étage (après l’informatiq­ue de base puis internet) de la troisième révolution technologi­que mondiale (après la vapeur et l’électricit­é). Les ingrédient­s nécessaire­s au développem­ent des solutions AI dans le digital seraient, selon lui, réunis en Algérie, notamment informatic­iens et mathématic­iens. Les entreprise­s, en phase avec une problémati­que de solution digitale de leurs métiers, devraient orienter leur budget recherche et développem­ent vers l’AI. L’Etat mettrait, comme en Chine et en Inde, les bonnes incitation­s pour développer l’écosystème de la recherche et ses applicatio­ns. On peut avoir plus ou moins manqué d’être un acteur du numérique et faire le saut direct à la production de l’intelligen­ce artificiel­le, selon Ali Kahlane. A quelques conditions précitées. A une condition essentiell­e tout de même. Avoir un gouverneme­nt du pays conscient du potentiel de ses jeunes start-upers. Un gouverneme­nt qui a l’esprit de conquête. Pour l’AI, comme pour le reste, on attendra.

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