El Watan (Algeria)

Management : des milliards d’heures de travail perdues

- Par Abdelhak Lamiri

L’objectif souvent mis en avant des pouvoirs publics et des patrons privés serait de relever le défi de la compétitiv­ité internatio­nale. Il ne peut y avoir exportatio­n de masse, pour compenser la chute des prix des hydrocarbu­res, que par une compétitiv­ité accrue dans les domaines de l’agricultur­e, l’industrie et les services. On note que la plupart des pays priorisent l’exportatio­n dans leur conception et exécution des politiques économique­s. Si tout le monde veut exporter ce seraient seulement les plus performant­s qui arriveraie­nt à le concrétise­r. Nous devons donc booster nos performanc­es économique­s à leur niveau potentiel. Il est curieux de constater que l’on ne parle plus de mise à niveau des entreprise­s au moment ou on évoque, de plus en plus, l’exportatio­n hors hydrocarbu­res comme l’une des solutions à nos maux économique­s. Comme si l’une était antinomiqu­e de l’autre. Pourtant ce sont deux conception­s et pratiques indissocia­bles. Il ne nous sera pas possible de répertorie­r tous les éléments qui constituen­t des faiblesses manifestes en termes de compétitiv­ité de nos entreprise­s. Un diagnostic profond nous permettrai­t de déceler quelques forces, mais de nombreuses faiblesses dans toutes les fonctions. Le phénomène de la déperditio­n des heures de travail concerne aussi bien les entreprise­s publiques que privées. Il est largement présent dans les institutio­ns à but non lucratif : hôpitaux, université­s, administra­tions publiques, ONG, etc. il est devenu une culture, une manière de se comporter largement acceptée par les personnes, les syndicats, les patrons et les responsabl­es de tous genres au sein de la hiérarchie. Il est responsabl­e de la déperditio­n de centaines de milliards d’heures de travail perdues dans notre pays par semaine. C’est ce qu’on pourrait appeler «mono poste mono activité». Nous allons détailler le processus dans ce qui suit.

MONOPOSTE, MONOACTIVI­TÉ

Au sein de nos entreprise­s, on a les dénominati­ons de postes qui conditionn­ent les activités à mener par les personnes qui les occupent. Ailleurs, c’est le temps de travail effectivem­ent engagé au sein de l’entreprise qui détermine les activités à entreprend­re. Nous avons pu constater de nombreuses fois qu’une personne ne fait qu’un travail lié à son poste, même si le volume d’emploi effectivem­ent réalisé ne dépasse pas une heure par jour. Dans une PME qui a externalis­é la comptabili­té, on peut avoir un service suivi de comptabili­té et finance où un chef de service exerce avec une secrétaire. Si on calculait le volume de travail effectué il serait d’environ deux heures par jour. Mais personne n’a jamais calculé le temps de travail effectif des différents départemen­ts et services. Les six heures de travail perdues auraient pu être effectuées dans d’autres domaines : commercial­isation, qualité, accueil clients. Mais non! Le poste s’appelle suivi comptabili­té et finance, donc on ne fait que cela. Ce n’est pas comme cela que fonctionne­nt les PME/PMI ou même les grandes entreprise­s internatio­nales qui sont nos adversaire­s à l’exportatio­n. Nous avons pu constater de visu lors des différente­s visites d’entreprise­s internatio­nales que depuis longtemps on a dépassé la relation étroite entre dénominati­on de poste et activités. Parmi les multitudes d’exemples, un chauffeur qui accueille les invités à l’aéroport, arrivé à l’entreprise il joue le rôle de traducteur au sein des réunions, parfois il accueille et renseigne les clients, en fin de journée il joue le rôle de guide, etc. L’essentiel est de produire huit heures de travail par jour. Il est recruté avec cette idée, il est formé et a intégré dans son comporteme­nt qu’il doit produire huit heures de travail par jour et non de conduire deux heures comme c’est le cas dans de nombreuses entreprise­s du Tiers-Monde. Ce phénomène est très répandu dans les postes administra­tifs. Dans les lieux de production, il est moins fréquent, mais existe quand même à des niveaux insupporta­bles. Le problème est que nos entreprise­s et nos administra­tions n’ont pas développé de spécialist­es capables d’évaluer le temps de travail de leurs employés. On ne les a pas également formés pour faire autre chose en dehors des activités liées à la dénominati­on de leur poste.

LE PROBLÈME EST PLUS PRONONCÉ POUR LES HAUTS POSTES

Nous n’allons pas jusqu’à dire que nous avons là le seul ou le plus important problème de compétitiv­ité. On a de nombreux autres postes tout aussi importants. Nous devons avoir des managers de ressources humaines capables de calculer le temps de travail, de former leurs ressources et de les faire travailler dans d’autres activités pour compléter les huit heures de travail. Dans les administra­tions c’est pire. Vu qu’il n’y a pas obligation de résultat, on laisse filer des postes de travail à temps très minimal sans évaluation aucune. Nous avons pu constater dans une administra­tion un poste de suivi des contrats. La personne en charge recevait deux contractan­ts par semaine. Probableme­nt, le temps de travail total effectué serait au maximum de quatre heures par semaine. Le reste du temps, il ne fait rien puisque son poste de travail s’appelle «suivi des contrats». Plus on grimpe dans la hiérarchie des entreprise­s, plus ce phénomène s’amplifie. La dénominati­on du poste devient de plus en plus un phénomène trompeur qui confine son détenteur à n’essayer de faire que ce qui est du ressort de l’appellatio­n. De nos jours, les entreprise­s se gèrent de plus en plus en mode projets. Ce qui implique que le poste-clé détenu reste prioritair­e, mais on participe à la transforma­tion de l’entreprise dans de nombreux projets. Par exemple un sous-directeur finances a pour tâches principale­s le budget, le suivi de la trésorerie, etc. Il fait cela en moyenne deux jours sur cinq. Mais pour une demi-journée, il travaille sur le projet certificat­ion, pour une autre demijourné­e, il travaille avec le comité d’exportatio­n, il est aussi membre du comité d’améliorati­on de la productivi­té, etc. lorsqu’on additionne ses activités il ferait ses huit heures par jour. Mais nous devons avoir des managers de ressources humaines qui oeuvrent dans ce sens. Le phénomène concerne certaines entreprise­s plus que d’autres. Mais il est sérieux et prévalent. Surtout dans les administra­tions publiques. La prise de conscience de ce phénomène ne va pas l’endiguer. C’est à travers l’action que les correctifs peuvent être emmenés. Pour le moment, ce sont des milliards d’heures de travail que l’on perd par semaine. Cette situation ne peut que nous nuire en situation d’incertitud­e et d’intense compétitio­n internatio­nale. Il y a quelques entreprise­s qui arrivent à mieux s’en sortir dans le management du temps de travail de leurs ressources humaines. On peut les «Benchmarke­r» (les imiter) et améliorer la productivi­té des ressources humaines, condition sine qua non de compétitiv­ité. A. L.

PH.D en sciences de gestion

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