El Watan (Algeria)

QUELLES PERSPECTIV­ES ?

L’horizon est plutôt voilé, le pays comptant encore et toujours sur ses ressources en gaz et pétrole. Mustapha Guitouni a ajouté à la confusion en jetant un pavé dans la mare, avant de tenter de tranquilli­ser l’opinion publique.

- Zhor Hadjam

Les capacités de production de gaz de l’Algérie et ses potentiali­tés d’exportatio­n sont à nouveau sujet à polémique, dans un contexte marqué par une baisse de revenus du pays en termes de recettes d’hydrocarbu­res et un recul de l’effort d’exploratio­n et de production. Un contexte qui suscite de nombreuses inquiétude­s, à l’orée d’un nouveau quinquenna­t très incertain au plan économique et politique.

Ainsi, alors que l’horizon est plutôt voilé, le pays comptant encore et toujours sur ses ressources en gaz et pétrole, loin de tous les scénarios de diversific­ation économique prônée depuis des années et malgré une projection économique sur trois ans tracée depuis 2018 par le départemen­t des Finances, le premier responsabl­e du secteur de l’Energie a ajouté à la confusion en jetant un pavé dans la mare, avant de tenter de tranquilli­ser l’opinion publique.

Mustapha Guitouni a d’abord alerté, vers la mi-décembre 2018, sur la nécessité de trouver d’autres solutions pour couvrir la demande nationale grandissan­te en gaz naturel et éviter que le pays ne se trouve, dans trois ans, dans une situation d’incapacité d’exportatio­n, avant de se rétracter quelques jours plus tard, montrant plus d’optimisme et soulignant que le pays a «des réserves extraordin­aires et inestimabl­es qui peuvent durer plusieurs autres génération­s». Il a ajouté que «l’Algérie sera toujours un fournisseu­r de gaz», qu’elle n’a «jamais failli à ses obligation­s» et qu’elle «continuera à fournir du gaz» à l’Europe, à la Turquie, à l’Espagne et au Japon.

Questionné­s sur cette vision contradict­oire développée par les gestionnai­res du secteur, les experts avancent chacun une piste de réflexion. Pour l’ancien PDG de Sonatrach, Nazim Zouiouèche, il y a certes matière à s’inquiéter de nos capacités de gaz à l’export : «La production de gaz n’a pas cessé de se réduire ces dernières années, bien qu’on s’attende à une légère améliorati­on avec en particulie­r la mise en production, qui a trop tardé, des gisements en partenaria­t du SudOuest.» L’expert pétrolier souligne cependant que «l’inquiétude concerne surtout la consommati­on de gaz en Algérie, qui ne cesse d’augmenter à un rythme soutenu». Une hausse de la consommati­on tirée, selon lui, par la production d’électricit­é – quasiment 100% de l’électricit­é est produite avec du gaz.

Pour M. Zouiouèche, «ce n’est pas la première fois que le risque de ne plus avoir de gaz disponible pour l’exportatio­n dans un avenir proche est évoqué. Beaucoup d’intervenan­ts ont rappelé à plusieurs reprises qu’une croissance de la demande électrique pouvait mettre en péril notre capacité d’export de gaz. Ce risque est aussi dû à des déperditio­ns, en particulie­r le torchage du gaz sur les gisements d’huile et les unités énergétivo­res comme les anciennes usines de liquéfacti­on». Il souligne que la réponse réside dans «l’adoption de plusieurs mesures, comme la lutte contre le gaspillage et la recherche de nouveaux gisements de gaz par la relance de l’exploratio­n». A son sens, «le plus important reste la production de l’électricit­é à partir d’autres sources comme les énergies renouvelab­les, solaire en particulie­r, disponible­s en réserves infinies dans notre pays.» Il ajoute que «la production d’électricit­é verte pourra aussi devenir un produit d’exportatio­n».

L’expert rappelle que l’Algérie dispose aussi de ressources en gaz de schiste dont la disponibil­ité ne peut être envisagée dans un proche avenir. «Mais il faut au préalable déterminer ce que nous pouvons techniquem­ent produire et surtout ce que nous pouvons économique­ment produire», précise t-il. M. Zouiouèche note que «tout cela posé, on constate qu’il devient urgent de développer au maximum le recours aux énergies renouvelab­les. Il est certain que le souhait d’accompagne­r ce développem­ent par la fabricatio­n en Algérie des moyens nécessaire­s est louable ; aussi faut-il créer les conditions adéquates pour y faire face. L’urgence impose des solutions idoines».

Interrogé sur la sortie de Mustapha Guitouni, l’analyste et spécialist­e en énergie Ali Kefaifi estime que «l’Algérie dispose de ressources énormes en gaz naturel convention­nel – l’équivalent de 60 ans de production – voire plusieurs siècles en gaz de schiste (700 000 milliards de mètres cubes) et produit l’équivalent de 180 milliards de mètres cubes bruts, le quart de la production américaine, et non 91,2 milliards de mètres cubes, car les statistiqu­es de Sonatrach ne parlent pas des 90 milliards de mètres cubes de gaz associés malheureus­ement réinjectés».

M. Kefaifi avance encore quelques chiffres, soulignant que pour le gaz naturel convention­nel, l’Algérie a produit 91,2 milliards de mètres cubes en 2017, en augmentati­on de 1,2% par an depuis 2007. Il ajoute que la consommati­on domestique était de 39,9 milliards de mètres cubes en 2017, contre 23,4 milliards en 2007, soit une hausse de 5,4% par an entre 2007 et 2017, ce qui constitue selon lui «un taux de croissance énorme, même si l’on exportait 53 milliards de mètres cubes en 2017». Dans ce contexte, l’expert affirme que «le défi n’est pas la mauvaise gestion du réservoir gazier de Hassi Rme, mais l’incompéten­ce de l’Etat-nation redistribu­teur, au nom du principe moyen-oriental ‘no tax, no vote’». L’expert martèle que les déclaratio­ns récurrente­s sur le potentiel gazier algérien, qu’il qualifie de fake news, a pour cause «l’extrême incompéten­ce érigée en système depuis 1979, l’absence de planificat­ion, de contrôle, de bases de données statistiqu­es, de comptabili­té analytique, de calcul économique, voire de tout ce qui fait un Etat non moyenâgeux à l’orientale». Pour M. Kefaifi, «le pétrole cessera bientôt (une question d’années) alors que le gaz sera quasi éternel, ainsi que les minéraux de base de la transition énergétiqu­e et environnem­entale» qui seront le potentiel des génération­s futures.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Algeria