Jours de froid à Médéa
LIRE LE REPORTAGE DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À MÉDÉA
Après la vague de froid et les intempéries du week-end dernier qui ont paralysé plusieurs wilayas, le soleil est revenu adoucir la météo. Et pour prendre la température après cette offensive hivernale, nous voici ce dimanche 13 janvier mettant le cap sur la wilaya de Médéa, l’une des régions les plus élevées avec plus de 900 m d’altitude, et où le col de Benchicao avoisine les 1200 m d’altitude.
Jusqu’à la mi-journée, le froid se faisait nettement sentir, ce qui contraste avec le soleil éclatant qui dardait ses rayons sur la RN1. Des calottes de neige coiffent les cimes de Chréa et de l’Atlas blidéen, offrant une perspective majestueuse sur l’autoroute. En s’engageant dans les verdoyantes gorges de la Chiffa, des viaducs géants dominent le paysage. Les travaux du chantier de doublement de la route ChiffaBerrouaghia ont bien avancé et l’axe routier est même sur le point d’être livré, sachant que plusieurs segments sont déjà fonctionnels. Sur le tronçon qui va du Ruisseau des Singes à la sortie d’El Hamdania, des ouvrages d’art aux colonnes de béton impressionnantes ponctuent le trajet. Tout au long de la route, on croise immanquablement des colonies de singes magots accrochés à des talus rocheux ou se baladant sur les parapets. C’est l’attraction n°1 pour les automobilistes. A El Hamdania, de nouveaux restos spécialité «chwa» poussent, toujours plus cossus. Bientôt, ils vont rivaliser avec El Yachir.
MANTEAU BLANC À PERTE DE VUE
Ce n’est qu’à l’approche de la ville de Médéa que les premières étendues de neige apparaissent. A mesure que l’on avance, le manteau blanc qui recouvre le relief vallonné de l’ancien Titteri embrasse l’ensemble du paysage. Nous poussons sur la nouvelle autoroute jusqu’à Ouezra. Le trafic est fluide. Nous continuons encore sur quelques kilomètres avant de bifurquer à droite, en direction de Benchicao. Nous nous engageons ainsi en pleine campagne. Un magnifique tapis blanc se déploie à perte de vue, couvrant hameaux et vergers. Notre smartphone affiche 5°C. Mais le froid est largement supportable. Le contraste est saisissant en comparaison avec l’excroissance urbaine de la ville de Médéa qui s’étale, côté sud, sur des centaines d’hectares de briques rouges, symptôme d’un urbanisme débridé qui est visiblement en plein boom, notamment depuis que la paix a repris ses droits dans la région. En revanche, sur cette route qui se déploie sur des territoires quasiment vierges, le paysage est clean, seules quelques fermes et autres mechtas rustiques viennent disputer à la nature sa domination. Les périmètres agricoles sont tracés au cordeau, avec des rangées d’arbres fruitiers et de vignes. A cette période de l’année, la vigne est dans une sorte de sommeil hivernal, selon les spécialistes, une période de «repos végétatif». Nous passons par la zaouïa Sidi Ali, avant de nous engager sur la bande d’asphalte qui court jusqu’à Benchicao. Les routes sont remarquablement bitumées. Hormis quelques points de passage où la neige et le verglas rendent la conduite délicate, les voies principales sont dégagées. Peu de présence humaine le long du trajet. Même les fellahs semblent se protéger du froid après avoir pris le soin de couvrir avec des bâches de protection matériel agricole et aliments du bétail.
«IL N’A PAS BEAUCOUP NEIGÉ»
A Benchicao, localité située à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de Médéa, nous prenons la température auprès de quelques habitants vivant à la lisière du chef-lieu de cette commune de quelque 10 000 âmes. «Nous n’avons pas de problème de chauffage, nous avons le gaz de ville. Il y a juste certains douars isolés qui n’ont pas le gaz», assure un sexagénaire. «Même nos écoles sont bien chauffées», poursuit-il. «Quand il neige, parfois, les routes sont bloquées. Mais ça ne dure pas longtemps. La commune et les services des travaux publics de la wilaya s’activent pour les dégager.» S’agissant du logement, notre interlocuteur soutient que la population locale ne bénéficie pas de l’aide à l’habitat rural mais plutôt du logement social «parce que Benchicao est classée zone urbaine». «Ceux qui ont des habitations précaires sont obligés de prendre leur mal en patience. Il y en a beaucoup qui vivent dans des conditions difficiles.» Nous empruntons une piste impraticable au bout de laquelle la voiture manque s’enliser dans une vase de boue et de neige. Celle-ci débouche sur un hameau situé à la sortie est de Benchicao. Un monticule de bois est stocké à la bordure des habitations pour servir à faire le feu. Des canards pataugent dans la neige. Farid, 36 ans, vient à notre rencontre. Il chausse de simples tongs, comme pour narguer le froid ambiant. «L’hiver cette année n’est pas très rigoureux. Il n’a pas beaucoup neigé comparativement aux saisons précédentes», explique-t-il. Interrogé sur l’impact des conditions climatiques sur l’agriculture, il déclare : «Ici, nous avons surtout de la vigne et des arbres fruitiers, en particulier des pommiers. Ils n’ont pas pâti de la neige, au contraire.» «Nous sommes équipés en gaz de ville, nous avons ce qu’il faut pour nous chauffer», renchérit notre hôte. «Nos enfants par contre galèrent pour aller à l’école. Ils prennent généralement le transport privé, sinon, ils y vont à pied», dit-il, sachant que la ville de Benchicao est à un peu plus d’un kilomètre de là. Farid espère surtout que les pistes, qui relient le hameau à la route principale, soient goudronnées. «Ce sont de petits tronçons, pourquoi ils ne les bitument pas ?» plaide-t-il, en précisant qu’une dizaine de familles tout de même vivent dans ce coin. Nous en avons fait l’expérience : il a fallu batailler pour s’extirper de là, la piste étant assez abrupte et, par temps de neige, les roues patinent. Il a fallu s’y prendre à plusieurs fois et toute la dextérité de Mustapha, notre collègue, pour se tirer d’affaire. «Autrement, il faut payer une fortune pour vous dégager», nous dit-on. Outre les routes, Farid exige plus d’équité dans l’accès au logement. «Nous avons toujours compté sur nous-mêmes, que ce soit pour le logement ou pour l’agriculture. Nous n’avons rien reçu de la part de l’Etat.» Le jeune fellah ne comprend pas comment les habitants de ce hameau sont exclus du dispositif d’aide à l’habitat rural au prétexte que c’est «mintaqa omrania» (agglomération urbaine), alors que cet îlot est en pleine campagne.
AVEC LES VILLAGEOIS DE OULED SALAH
Sur l’autre flanc de la RN1, à l’est de la wilaya, nous prenons le pouls de la vie rurale dans les localités de Ouled Salah, Djamaâ Er-Rassoul et Ouled Brahim, ce dernier bourg étant le chef-lieu de la commune. Là aussi, le gaz de ville est entré dans les douars. «Cela fait même plusieurs années que nous avons le gaz», souligne un homme d’un certain âge emmitouflé dans une qachabia, rencontré au douar Ouled Salah, à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Médéa. «Mais il y a des hameaux, en bas, qui n’ont toujours pas le gaz de ville», insiste-t-il dans la foulée. Si bien que certains foyers sont encore obligés de se rabattre sur le gaz butane, qui se fait rare par moments, lorsque les routes sont coupées à la circulation. «Moi, j’ai deux chauffages», confie le vieux paysan, sa bicoque étant fissurée par endroits. «J’ai le toit qui goutte. Nos maisons ont été secouées par un violent séisme, dont l’épicentre était pas loin de là, et ça a laissé des séquelles», témoigne-t-il. «Chacun rafistole sa maison comme il peut.» Rappelons que la wilaya de Médéa a été secouée ces dernières années par de nombreux séismes, dont certains de forte magnitude. Le 29 mai 2016, la veille du Ramadhan, un tremblement de terre de magnitude 5,3 sur l’échelle de Richter avait frappé la wilaya. L’épicentre de se séisme était localisé près de la commune de Mihoub, obligeant des centaines de villageois à quitter leurs maisons. Plusieurs familles avaient même passé l’hiver suivant sous les tentes (voir notre reportage : «Le rude hiver des sinistrés» dans El Watan du 25 décembre 2016). Azzedine, berger, la cinquantaine, nous dit en gardant l’oeil sur ses deux vaches : «On ne manque de rien, hamdoullah, voici la mosquée, l’école coranique. Tout le monde a bénéficié de l’aide à l’habitat rural. Même un gamin, s’il en fait la demande, l’Etat le lui donne», sourit-il. Sur sa page officielle Facebook, la direction du logement de la wilaya de Médéa a annoncé dernièrement la distribution, à l’occasion de la célébration du 1er Novembre, de «2356 unités d’habitation sous différentes formules sur l’ensemble du territoire de la wilaya», en promettant de poursuivre cet effort en matière d’habitat. Notre berger, qui est père de trois enfants «et un quatrième est en route», ne se plaint pas de l’école non plus : «Nous avons une école primaire juste à côté, et elle est équipée de chauffage.» Un élève de 5e AF nous confirme que «les classes sont bien chauffées». Pour les autres paliers, Azzedine nous dit : «Il y a un CEM à Djamaâ ErRassoul.» Cette localité, en revanche, est située environ 3 km plus loin, et les élèves sont souvent obligés de s’y rendre à pied, comme nous avons pu le constater. Par mauvais temps, c’est pénible, surtout que le transport manque cruellement à partir d’une certaine heure et le transport scolaire ne couvre pas toujours les zones éparses. Quant au lycée, «avant, il fallait se rendre jusqu’à Benchicao, qui est très loin. Mais ils viennent d’ouvrir un nouveau lycée à Ouled Brahim», se réjouit Azzedine.
«NOUS AVONS FUI PENDANT ‘‘EL ACHRIYA’’»
A Djamaâ Er-Rassoul, la neige résiste au soleil printanier qui brille d’une lumière pâle en cette fin de journée. Des minots se jettent des boules de neige dans une ambiance bon enfant. Nous pénétrons dans un îlot d’habitations précaires. «Ça fait plus de 20 ans qu’on est comme ça. Certains ont la pluie qui rentre de partout. On attend la délivrance, mais elle ne vient pas. Il y en a qui ont bénéficié de logements, mais la plupart attendent, comme nous», témoigne un vieil homme. «Nous sommes issus des douars isolés. Nous avons fui pendant ‘‘el achriya’’ (la décennie noire, ndlr). Pour le reste, nous avons le gaz de ville, l’électricité, hamdoullah.» «Cette année, on n’a pas encore eu de grand froid», préciset-il, avant de lancer : «La neige, c’est toujours mieux que la sécheresse.» A Ouled Brahim, des villageois s’empressent de s’approvisionner en gaz butane. «Mais la plupart des habitations sont raccordées au gaz de ville», nous affirment deux jeunes, dans les 24-25 ans, qui se dorent au soleil. «Ici, c’est surtout le travail qui manque. Regardez autour de vous, à Ouled Brahim, tous les jeunes sont dehors, dans les cafés… Ils se roulent les pouces. Ici, il n’y a ni usine, ni entreprise, ni aucune opportunité de travail. Benchicao est mieux lotie que nous, surtout depuis que Rebrab a monté un projet là-bas. Même l’agriculture ne marche plus depuis que les grands investisseurs se sont emparés des terres.» Les élections ? «Plus personne n’y croit, ce seront toujours les mêmes qui vont continuer à gouverner. Les gens sont fatigués des promesses, ils veulent du concret, les jeunes n’ont aucun loisir ici. On a un seul stade et c’est l’encombrement pour pouvoir en profiter. C’est normal que des jeunes veuillent partir, on ne peut pas leur en vouloir. Quand tu atteins la quarantaine et que tu n’as ni boulot, ni femme, ni enfant, c’est normal que tu veuilles partir !» Il convient de saluer, pour finir, l’action de plusieurs associations caritatives qui activent dans la région pour venir en aide aux populations précaires par ces temps de grands froids. C’est le cas – pour ne citer qu’eux – de nos amis de Ness El Kheir de Médéa, qui organisent régulièrement des collectes de dons et des «caravanes d’hiver». Récemment, ils ont annoncé sur Facebook avoir collecté des aides au profit de 54 familles relevant des communes de Boghar et Bou Aïche. Ils distribuent couettes, vêtements chauds et même du matériel de chauffage, des «tabounate»... Nous mentionnons également l’action de l’Association Titerri, qui regroupe des jeunes de la ville de Médéa et qui est très active sur le terrain social. Ils viennent d’organiser, à l’occasion de Yennayer, une fête pour égayer le quotidien des pensionnaires du centre d’accueil pour personnes âgées de Benchicao. Chapeau !