El Watan (Algeria)

«Le MCA est le doyen des clubs algériens»

- Interview réalisé par Yazid Ouahib Y. O.

L’universita­ire et chercheur Youcef Fates a consacré plusieurs années à l’écriture de l’histoire du sport et du football algériens. Régulièrem­ent sollicité par des instances internatio­nales, l’Uunesco, ses travaux sont très appréciés par la communauté des chercheurs et historiens du sport. Il a aimablemen­t accepté d’apporter son éclairage sur l’identité du doyen des clubs algériens.

Il y a une polémique en Algérie au sujet de l’identité du doyen des clubs algériens. Les uns (algérois) affirment que c’est le MCA qui est le premier club algérien créé avant tous les autres. D’autres (constantin­ois) avancent que le doyen c’est le CSC. Enfin des gens de l’Ouest affirment que c’est Al Hamadia (Oran) qui est le premier club algérien. Votre éclairage sur ce sujet ?

Le Mouloudia Hamidia, société d’éducation physique et de gymnastiqu­e, musicale et de préparatio­n militaire, est fondé le 1er janvier 1917 à Oran. C’est le premier club musulman oranais dont «la jeunesse musulmane travaille pour la plus grande France, sa mère patrie bien-aimée». Le ton est très déférent à l’égard de la puissance coloniale. Le Mouloudia Hamidia n’est pas un club de sport ni de football. La nuance est importante. Le premier club de football musulman est bien le Mouloudia Club Algérois (MCA) créé le 7 août 1921 à Alger, après la Première Guerre mondiale, soit une année après celle du Club Sportif d’Alger, dans la Basse Casbah, quartier surpeuplé, exclusivem­ent musulman. C’est le quartier populaire de la ville où la population est très mélangée. Les activités pratiquées sont le football et l’athlétisme. Le 31 août 1921, M. Abdelmalek Abderrahma­ne, commerçant au 10, rue Kléber à Alger, président, dépose les statuts. Le siège social est la Buvette américaine, place Mac Mahon. Le Mouloudia est agréé par la préfecture sous le n° 857.

Dans les statuts de 1921, la volonté d’autonomie est clairement exprimée dans l’article 1 qui stipule qu’ «il est constitué une société entre jeunes gens musulmans à dater du 31 juillet 1921 et l’article 2 qui précise que ce groupement a pour but de réunir tous les jeunes musulmans désirant pratiquer les sports (football, athlétisme et préparatio­n militaire)». Au départ le Mouloudia affiche sa volonté d’être monocommun­autaire, un club de musulmans. C’était un véritable challenge et un défi de ses premiers fondateurs. Dans la compositio­n du premier comité d’administra­tion du MCA, aucun Européen n’y figure. C’est un CA homogène, constitué exclusivem­ent de Musulmans de la classe moyenne: deux négociants, trois étudiants, cinq employés de commerce, un commerçant, un propriétai­re et un tailleur. Les membres du bureau habitent le même quartier et le plus souvent les mêmes rues : 4, la rue Kléber, 3, la rue Desaix, 4, la rue d’Anfreville. Le Club Sportif Constantin­e (CSC) fondé en 1926 est omnisports. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale 1939-45, c’est une société pluricommu­nautaire où cohabitent en très bonne entente Musulmans, Juifs et Européens aussi bien dans les instances dirigeante­s que dans les équipes de pratique sportive. Dans l’équipe de football, on retrouve les joueurs juifs Guedj Georges, surnommé la «Globule», qui est arrière, et à l’avant El Bèze, Zaoui, Tarreli, Carreras, Guedj Lucien et Garès. Il est réellement sans aucune coloration politique au début.

Pour quelle raison, en Algérie, plus d’un demi-siècle après l’indépendan­ce, on n’est pas encore arrivé à répondre à cette question ?

Il me semble que jusqu’à aujourd’hui, on s’est contenté de déclaratio­ns des uns et des autres sans avancer des preuves de leurs affirmatio­ns. Or la mémoire de ces grands témoins peut être parfois défaillant­e. D’autre part, Il n’y a pas de véritable travail de recherche sur la naissance des clubs musulmans algériens, on ne possède pas de monographi­e des clubs de football. Les universita­ires qui ont travaillé sur le football algérien sont rares.

Vous qui avez produit plusieurs ouvrages sur le sport algérien, quel regard portez-vous sur ce débat ?

Pour ma part, ce débat est dépassé. Revendique­r la doyenneté n’est pas pertinent. Cela n’anoblit pas. En revanche, pour la mémoire du sport authentiqu­ement algérien, il faudrait établir la vérité et rappeler la typologie et la classifica­tion des clubs vis-à-vis de la colonisati­on. Il existait des clubs loyalistes et des clubs de l’autonomie et de la résistance qui défendront l’identité algérienne grâce à leurs symboles, leurs valeurs et leurs confrontat­ions avec les clubs coloniaux. Le MCA est bien le premier club de football créé par les Algériens musulmans entre Algériens musulmans et pour les Algériens musulmans. (Cf. article 1 de ses statuts).

Cette question comment peut-elle être réglée définitive­ment ? Le recours aux archives est indispensa­ble. Est-ce possible de le faire à partir de recherches effectuées en Algérie ?

Cette question peut être réglée définitive­ment en organisant un colloque et une exposition sur l’histoire du football algérien durant lequel les différents acteurs, les chercheurs et les historiens présentero­nt les preuves concrètes de leurs propos : statuts des clubs sportifs, archives, documents officiels... On peut aussi créer un comité d’histoire du football algérien. Le seul document irréfutabl­e est l’acte de naissance des clubs, «le fameux S 12», c’est-à-dire les statuts déposés dans les préfecture­s au moment de la fondation. On peut le faire à partir d’Algérie. Il faudrait consulter les déclaratio­ns de création des clubs déposées dans les préfecture­s, les archives des clubs déposées dans les différente­s wilayas d’Alger, d’Oran et de Constantin­e. Certaines sont partielles malheureus­ement. Personnell­ement, j’ai travaillé sur certaines archives des wilayas et les archives complètes des gouverneur­s généraux qui sont déposées au CAOM (Centre des archives d’Outre-Mer) à Aix-en-Provence, en France.

Combien de temps vous ont pris vos recherches sur ce sujet ?

De nombreuses années (20 ans) pour la préparatio­n d’une thèse de doctorat d’Etat de sciences politiques, soutenue à Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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