Le chaos ne fait pas peur
2 022 sera l’année du basculement de l’Algérie dans le chaos économique – et donc politique et social – si des réformes structurelles de grande envergure ne sont pas engagées dès maintenant, c’est-à-dire dès avril prochain, date de l’entrée en fonction du nouveau président de la République, que ce soit l’actuel, reconduit pour un 5e mandat, ou une nouvelle figure du sérail ou de l’opposition. C’est le constat établi par tous les observateurs qui, en tirant la sonnette d’alarme sur l’épuisement des réserves de change dans trois ans maximum, pointent le doigt sur la persistance du réflexe dépensier des pouvoirs publics soucieux, comme toujours, d’acheter la paix sociale et surtout incapables d’imaginer un nouveau modèle de croissance. Ce dernier ne doit plus reposer sur la rente pétrolière – et tout récemment sur la planche à billets – mais bel et bien sur la mobilisation des capacités productives du pays. Cette inquiétude sur la grave crise qui se profile à l’horizon n’est partagée que par la société civile et la population et ne concerne pas la sphère dirigeante qui ne tient nullement à changer de cap, tant son souci majeur est la préservation du statu quo en cours depuis 1999, année du début du règne de Bouteflika. Patiemment, celui-ci a construit une véritable autocratie entourée d’une énorme cour dans laquelle se côtoient toutes sortes d’intérêts politiques et financiers qui se partagent les avantages de la dépense publique, devenue au fil des années outrancière. 1400 milliards de dollars ont ainsi été engloutis sans que le pays ne sorte de son sous-développement ou devienne émergent. Cette dépense tirée du Trésor public a servi également à calmer quelque peu le front social à travers une politique de subventions, aussi généreuse qu’inégalitaire, des produits et des services. La population a été relativement «maîtrisée» autant par les soutiens des prix que par une batterie de textes liberticides, les autorités ne tolérant aucune contestation de l’ordre établi. Cela n’a toutefois pas empêché le front social d’être en constante ébullition.
Il a fallu la crise de 2014, suite à la chute des prix des hydrocarbures sur les marchés mondiaux, pour que le système se lézarde et que la réalité éclate au visage : l’Algérie est à la merci des politiques de fixation des prix des hydrocarbures dans les grandes capitales occidentales et arabes. Et la tendance est à un baril de pétrole au prix le plus bas dans un marché de surabondance de production. L’Algérie, de surcroît, est fragilisée par un tarissement progressif de sa production et de ses réserves et une forte consommation interne en produits pétroliers. Toute la paralysie du pays vient donc de cette contradiction : les dirigeants cherchent désespérément à sauver un système qui n’apporte aucune solution à la crise, tout au contraire, il l’aggrave. Sauver Bouteflika, préserver ses réseaux et sa cour, le maintenir au pouvoir coûte que coûte, même au prix de son humiliation, est le calcul de son entourage, de ceux qui sont aujourd’hui aux commandes du pays, directement ou par procuration. Le sauvetage d’un homme, pourtant condamné par l’histoire, s’avère à leurs yeux plus urgent que le sauvetage de l’Algérie, Etat et société, faisant profiler le chaos dans un tout proche avenir. Tétanisée, livrée à ellemême, la population ne peut mettre son veto à ce jeu dangereux dont le point d’orgue serait un 5e mandat pour Bouteflika.