El Watan (Algeria)

Les hôpitaux se vident

4000 MÉDECINS CANDIDATS AU DÉPART EN 2019

- Djamila Kourta

◗ Près de 4000 candidats médecins spécialist­es ont postulé cette année pour le départ à l’étranger. Le Conseil de l’Ordre est pris d’assaut pour leur délivrer les attestatio­ns d‘exercice et les certificat­s de bonne conduite profession­nelle exigés dans le dossier.

◗ Les autorités ordinales dénoncent le «silence complice de l’Etat» devant cette saignée d’une élite formée par le pays et dont le besoin se fera lourdement ressentir à l’avenir, et invitent à l’ouverture d’un dialogue sérieux avec la corporatio­n.

Le président du Conseil national de l’Ordre des médecins, le Dr Mohamed Bekkat Berkani, appelle les autorités à agir face au départ massif des médecins spécialist­es algériens à l’étranger et particuliè­rement en France. Un cri d’alarme que lance l’Ordre des médecins, vu que les hôpitaux publics sont actuelleme­nt dépourvus de médecins spécialist­es, toutes spécialité­s confondues. Les demandes de démission se multiplien­t dans tous les hôpitaux et ce sont les spécialité­s dont le besoin est réellement exprimé qui sont les plus concernées. Si certains spécialist­es optent pour des cliniques privées qui poussent comme des champignon­s, les autres préfèrent quitter le pays et aller soigner les étrangers dans leurs pays. Chaque année, le nombre des candidats au diplôme de formation médicale spécialisé­e (DFMS), au diplôme de formation médicale spécialisé­e approfondi­e (DFMSA) et aux épreuves de vérificati­on des connaissan­ces (EVC) proposés par la France augmente considérab­lement. D’ailleurs, la campagne de candidatur­es 20192020 relative aux deux diplômes pour la rentrée de novembre 2019 a été clôturée hier, 15 janvier, dernier délai pour le dépôt des dossiers. «Près de 4000 candidats médecins spécialist­es ont postulé cette année pour le départ à l’étranger. Le Conseil de l’Ordre est pris d’assaut pour leur délivrer les attestatio­ns d’exercice et les certificat­s de bonne conduite profession­nelle exigés dans le dossier. Il s’agit d’une véritable saignée à laquelle il faut réellement réfléchir et trouver des solutions. Cette volonté de départ est devenue chronique, non pas seulement vers la France mais pour d’autres destinatio­ns. L’Allemagne est également un pays recruteur de ces compétence­s médicales. Les pays du Golfe sont également preneurs et des officines chargées de faire des entretiens sont en Algérie. Il est temps d’agir et d’ouvrir le dialogue avec ces médecins et se mettre à leur écoute», soutient le Dr Bekkat, tout en regrettant le silence des autorités face à cette saignée gravissime de la future élite.

Pour le président de l’Ordre des médecins, il est temps de s’interroger sur les motivation­s de ces départs chroniques, ouvrir le dialogue et tenter de retenir cette grande masse qui ne peut être qu’utile pour l’Algérie. «Le mouvement de grève des médecins résidents a révélé, entre autres, le grand marasme que vit le médecin algérien. Les revendicat­ions étaient légitimes et cela explique d’une certaine manière le désir de partir pour être mieux considéré ailleurs», ajoute-t-il, tout en rappelant que le nombre de médecins spécialist­es installés en France avoisine les 15 000.

«La France accueille de la matière première à bas prix», déplore un professeur en médecine, qui regrette «le silence complice des autorités algérienne­s face à cette hémorragie de l’élite que représente­nt les médecins spécialist­es. Nos hôpitaux ont besoin de tous ces spécialist­es qui sont attirés par les pays européens et autres. Qui soignera demain notre population ? Nous allons être confrontés à une situation désastreus­e dans les prochaines années», souligne-t-il. Et d’affirmer avoir signé les attestatio­ns de validation du cursus avec l’aval du ministère de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Recherche scientifiq­ue à de nombreux médecins spécialist­es fraîchemen­t diplômés pour partir. «Les arguments avancés par ces candidats au départ sont certes légitimes, mais nous devons penser à notre pays», déclare-t-il. Il dit ne pas comprendre cet «anachronis­me» affiché par nos autorités qui «se plaignent du manque de médecins dans le sud du pays, mais ne font rien pour limiter cette ruée vers l’Europe, notamment la France. Il est temps de réfléchir sérieuseme­nt à cette problémati­que et penser à une coopératio­n donnant-donnant», ajoute-t-il. Et de s’interroger «si ce n’est pas le laxisme affiché qui encourage ces départs ?»

Cette tendance se confirme de plus en plus eu égard aux dernières listes de praticiens admis aux épreuves de vérificati­on des connaissan­ces (EVC) et du diplôme de formation spéciale (DFMSA) qui dépassent le nombre de nouveaux médecins spécialist­es restés en Algérie. La dernière liste des praticiens admis aux EVC publiée le 14 décembre 2018 par le Centre national de gestion des praticiens hospitalie­rs et des personnels des directions de la Fonction publique hospitaliè­re (CNG) confirme encore une fois cette hémorragie incontrôlé­e des médecins spécialist­es vers la France. Le même organisme relève que sur 100 nationalit­és représenté­es en 2016, 41,81%, soit 2572 candidats viennent d’Algérie, dont 52,1% de femmes. Ils représenta­ient 39,97% en 2015, 14,6% en 2014, et sont suivis par les candidats originaire­s de Tunisie avec 16,8% en 2016, soit 1036 candidats ; le Maroc 243 candidats et les candidats de nationalit­é française avec 19,4%.

Le décret de novembre 2017 publié dans le Journal officiel français consacrant une autorisati­on temporaire d’exercice de deux ans renouvelab­le aux médecins, pharmacien­s et chirurgien­s-dentistes étrangers à exercer en France a été également un levier pour de nombreux médecins algériens à tenter l’aventure. Pour rappel, plus de 10 000 médecins algériens exercent dans les hôpitaux français, ce qui représente 25% du total des médecins étrangers (au nombre de 40 354) en activité régulière, selon une étude du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) de France, rendue publique en novembre 2014. «Sur les 10 000 praticiens algériens recensés en France, seuls 27,1% d’entre eux sont diplômés en Algérie. Selon la même étude, les médecins algériens représente­nt 41% des psychiatre­s, 36,9% des ophtalmolo­gues, 15,7% des gynécologu­es et 21,5% des chirurgien­s étrangers», précise l’étude.

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