L’université célèbre un siècle de science et de progrès
La célébration du Nouvel An amazigh par la communauté universitaire a donné lieu, cette année, dans certains campus, à l’organisation de débats sur la sempiternelle question de l’enseignement de tamazight et sa généralisation, notamment au niveau des universités. Au yeux de beaucoup de militants défendant l’idée de la généralisation de l’enseignement de cette langue, tamazight reste toujours marginalisé, malgré son introduction dans la Constitution en tant que langue nationale, et dans le système éducatif.
Cependant, pour le professeur Abderrazak Dourari, chercheur en linguistique et directeur du Centre national pédagogique et linguistique pour l’enseignement de tamazight (CNPLET), la formation et l’enseignement de Tamazight présentent actuellement des difficultés, voire des carences. «Nous avons fait deux recherches au niveau du CNPLET : une sur les manuels et l’autre sur le profil des enseignants de la langue amazighe. Ces recherches ont été suivies d’un ensemble de textes critiques sur la pédagogie et la didactique de cette langue. Il en ressort essentiellement qu’il y a carence à plusieurs niveaux, car la langue n’est pas normalisée, ce qui veut dire que les enseignants à l’université, tout comme ceux de l’éducation nationale, avaient conçu de manière presque fantasmatique une norme de cette langue, partant de l’idée qu’il fallait unifier la langue à l’échelle de tout le Maghreb», explique le professeur Dourari.
Revenant sur les étapes par lesquelles l’enseignement de tamazight est passé, le professeur rappelle qu’au niveau des universités, la première post-graduation a été ouverte à Tizi Ouzou en 1990 par un comité d’experts, dont Salem Chaker et lui-même.
Elle était destinée à former les formateurs et les futurs enseignants qui devraient encadrer en licence et aussi mener la recherche. En 1992, elle fut suivie par les départements de Béjaïa, Batna et Bouira. Cette formation, au départ, fut une formation pluridisciplinaire liée à la langue et à la culture amazighe. Elle est fondée sur un noyau linguistique et sociolinguistique et un deuxième noyau lié à la sociologie, la civilisation, l’histoire et autres. Le but escompté, à l’époque, était de maîtriser le côté linguistique et sociolinguistique, d’une part, et de pouvoir se projeter dans la société pour en révéler l’histoire et le fonctionnement, afin de voir l’intégration de tamazight dans la société algérienne en général, d’autre part. En 1996, il y eut le lancement de la licence, qui a été inaugurée à Tizi Ouzou, avant sa généralisation. Son lancement, à cette époque, n’était pas consensuel, en ce sens qu’il n’ y avait pas la possibilité d’avoir des programmes de formation suffisamment fournis et consistants pour former des licenciés.
Le conseil scientifique du département berbère n’avait pas validé l’idée de mettre en place la licence de tamazight, mais il ne s’est pas opposé de manière frontale au rectorat de l’université de Tizi Ouzou, qui voulait absolument mettre en place cette licence. Mais aujourd’hui, à la question de savoir si la généralisation de l’enseignement de tamazight peut effectivement avoir lieu, le directeur du CNPLET pense que «pour généraliser cet enseignement, il faut qu’il y ait une norme. Actuellement il en existe plusieurs, qui ne sont pas encore définitivement établies». Pour lui, il faudrait d’abord répondre à plusieurs questions, dont celle de savoir au profit de qui tamazight doit être généralisée: «La population arabophone serait-elle concernée ? Pourquoi le serait-elle ? Et par quelle variété serait-elle concernée ?» s’interroge le professeur. Et d’ajouter : «La généralisation de l’enseignement de tamazight est une décision à caractère politique et ne correspond pas à la réalité sociolinguistique de la langue. Personnellement, je ne m’inscris pas dans ce paradigme, et s’il s’agit de généralisation, il faut généraliser dans chaque région l’usage de la langue régionale, telle que dans la société mozabitophone. Il faudrait aussi généraliser tamazight au niveau des administrations, des secteurs d’activité de l’Etat.» Dans la pratique, le directeur du CNPLET estime que, pour l’avenir de la langue, s’il s’agissait des secteurs qui ne sont pas couverts aujourd’hui par la langue maternelle, «nous devrions faire une néologie à partir d’un corpus global, et cette néologie peut être coordonnée et utilisée par toute les variétés, car généraliser, selon moi, n’a pas de sens». Quant au rôle des universitaires, le professeur pense que ces derniers «sont complètement déglingués et il n’en reste pas grand-chose, mis à part une toute petite minorité», le reste étant, selon lui, considéré plus comme des «idéologues que de véritables scientifiques». «Le rôle d’une université sérieuse est d’apporter la description du corpus de tamazight dans ses différentes variétés, de faire des grammaires, des morphologies, des dictionnaires et de mettre en place des outils informatiques, car sans cela nous n’avancerons en rien», conclut le chercheur linguiste.