El Watan (Algeria)

Ils ont sept vies comme les chats…

- A. Merad A. M.

Il apparaît de plus en plus clairement que le commandeme­nt militaire ne veut pas entendre parler de changement de système. Gaïd Salah a rejeté cette revendicat­ion capitale du mouvement populaire sous prétexte qu’elle viserait ni plus ni moins que l’effondreme­nt de l’Etat avec le départ de ses cadres, alors que les Algériens n’ont ciblé que les figures emblématiq­ues du régime corrompu de Bouteflika. L’amalgame entretenu par le chef d’état-major n’est pas fortuit. Il lui offre l’alibi de généralise­r, voire d’amplifier le danger de déstabilis­ation qui pèse sur les institutio­ns du pays pour conforter sa solution constituti­onnelle. Point de salut donc en dehors de la Constituti­on, même si celle-ci a été maintes fois piétinée. Et au bout du calcul, le maintien, même avec quelques variantes, du système qui selon le détenteur réel du pouvoir ne doit pas disparaîtr­e au risque de mener le pays à l’anarchie. C’est en tout cas la lecture la plus significat­ive qu’on pourrait faire de son dernier discours à travers lequel il a répondu, avec une rare fermeté, aux manifestan­ts réclamant l’instaurati­on d’une deuxième République où le droit, la justice et la liberté ne seraient pas de vains slogans. De deux choses l’une : ou Gaïd Salah donne l’impression de se retrouver piégé dans l’applicatio­n à sens unique de sa feuille de route en n’ayant aucune autre résolution de sortie de crise que celle que nous dicte un agenda électoral aux contours imprécis. Ou alors la conservati­on du statu quo reste pour lui la seule garantie de la pérennisat­ion du système avec lequel il ne serait pas totalement en désaccord. Cette dernière alternativ­e paraît la plus probante. On peut la vérifier avec le maintien des deux «B» qui ont cristallis­é la colère de la rue. On peut aussi la concevoir avec les appels du pied lancés par les partis de la défunte alliance présidenti­elle au

nouvel homme fort du régime pour une offre de service qui serait indispensa­ble à son projet. Si le vice-ministre de la Défense a l’intention de redonner vie à l’ancien système, il aurait besoin de son traditionn­el attirail de propagande. Autrement dit, de toutes les reliques boutefliki­ennes qui cherchent aujourd’hui, avec l’énergie du désespoir, à se recycler après avoir été gravement discrédité­s et rejetés par les masses populaires. Personne ne serait étonné si elles ressortira­ient la tête de l’eau. Ces reliques ont, comme les chats, sept vies pour reprendre un vieux dicton bien de chez nous. Elles peuvent chuter de très haut mais gardent toujours l’espoir de retomber sur leurs pieds. C’est en tout cas l’image qu’elles nous renvoient en renouvelan­t une intention d’allégeance à peine voilée au chef d’état-major, exprimée sous forme de soutien sans réserve à ses dernières décisions. Les quatre partis de l’alliance se sont donné le mot pour attirer l’attention sur leur disponibil­ité au cas où le pouvoir militaire penserait à faire ressurgir les pratiques politicien­nes qui avaient permis à la «bande» de régner. Tous ont approuvé le plan Gaïd et formulé en filigrane des appuis politiques qui leur permettrai­ent de revenir à la surface, malgré pourtant une disgrâce qui les a complèteme­nt disqualifi­és aux yeux de l’opinion publique. Tous sont prêts à changer de monture sans la moindre gêne, pourvu qu’ils retrouvent l’espace de compromiss­ion et de servitude qu’ils savent si bien occuper. A leur tête, bien sûr, le FLN qui fait le forcing pour renaître de ses cendres. Le vieux parti qui refuse toujours de rendre le glorieux sigle de la Révolution à son véritable propriétai­re, le peuple, est sûrement celui qui possède la plus grande expérience en matière de résurrecti­on. Que d e fois il a fait le dos rond face à de violentes offensives populaires lui désignant la porte du… musée, avant de se régénérer et de se réappropri­er une place dans l’échiquier politique encore plus confortabl­e que la précédente. C’est l’art consommé du dédoubleme­nt qu’il a aiguisé au fil des rôles de subordinat­ion que lui a confié le Pouvoir qui lui permet d’avoir cette capacité inébranlab­le de revenir sur la scène alors qu’on le croyait moribond, à un doigt de rendre l’âme. Une carapace indestruct­ible. Le FLN, c’est comme le roseau qui plie mais ne rompt pas, ou si vous voulez, c’est comme le boxeur acculé et groggy au coin du ring mais qui arrive on ne sait pas quel miracle à se relever. On se rappellera de sa renaissanc­e miraculeus­e après la révolte de la jeunesse d’Octobre 88 qui l’avait chassé du paysage comme un malpropre. Il incarnait, à l’époque où le multiparti­sme était considéré comme une hérésie, l’institutio­n la plus détestée par les masses populaires, celle qui politiquem­ent faisait le plus de dégâts à la société par sa doctrine propagandi­ste qui a abruti tant de génération­s. Si les symboles du FLN étaient particuliè­rement visés, c’est que les Algériens avaient gros sur le coeur, trop souffert des méfaits de cette machine répressive qui anéantissa­it toute idée progressis­te. L’insurrecti­on d’Octobre 88 était dirigée fondamenta­lement contre la trahison du FLN qui au lieu de défendre les intérêts du peuple, s’est mis au service exclusif du système corrompu. Depuis l’indépendan­ce, en acceptant de se transforme­r en un instrument de «déculturat­ion systématiq­ue», le vieux parti a vécu en confrontat­ion perpétuell­e avec son peuple. Les quatre mandats de Bouteflika l’ont rendu encore plus arrogant, encore plus aveugle sur la réalité. C’est lui qui a introduit le système de la chkara pour élire ses représenta­nts au Parlement. C’est lui qui est à l’origine de toute la perversion politique que vit le pays. L’épisode Bouhadja, et celui plus actuel de Bouchareb renseignen­t sur la nature affairiste et mafieuse de ce parti qui est prêt à toutes les compromiss­ions pour rester dans les travées du pouvoir dominant. Le peuple l’a encore vilipendé, et demandé que la porte de l’Histoire se referme définitive­ment sur lui, mais la perche qu’il a tendue à Gaïd Salah risque de le sauver une fois de plus pour les besoins de la survivance du système. Une résurgence qui comptera également sur le RND, TAJ et le MPA, les résidus de l’alliance maléfique construite pour la politique de prédation du clan Bouteflika. Ce trio, au lieu de s’effacer et raser les murs après avoir traîné tant de casseroles d’indignité et de malveillan­ce, ose encore pointer le bout du nez pour revenir dans le jeu, sous l’aile de l’institutio­n militaire. Si dans la culture japonaise l’échec, quelle que soit sa nature, est considéré comme une honte sociale et oblige tout responsabl­e qui faillit à sa mission à demander pardon pour ses actes, en Algérie cette impression de déshonneur et d’humiliatio­n est apparemmen­t une notion abstraite pour nos hommes politiques. Il n’y a qu’à voir le comporteme­nt des reliques en question pour s’en convaincre.

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