El Watan (Algeria)

Bienvenue dans la KOUZINA 2.0

- Asma Bersali

Un grand atelier de cuisine ! Qui dit mieux ? Conseils, recettes, photos de préparatio­n et de décoration, le tout partagé gratuiteme­nt avec le grand public. Il ne s’agit pas ici d’un stage pratique accordé par une école de formation en cuisine, mais de Facebook, le réseau social fétiche des Algériens.

Que personne ne touche aux plats avant que je ne les prenne en photo ”, c’est la phrase que répètent bon nombre de jeunes filles ou épouses durant ce mois, quelques secondes avant la rupture du jeûne. La collection de photos passe par beaucoup de filtres pour n’en garder que les meilleures à partager sur son mur, sa page ou carrément dans les groupes spécialeme­nt dédiés à cet effet. Entre partisans et détracteur­s, Facebook se transforme malgré tout en une cuisine ouverte sur le monde. Trouver des idées nouvelles, s’inspirer, copier les menus des autres et même apprendre de nouvelles techniques culinaires, ce sont les arguments des amateurs de ce nouveau type de partage. Pour eux, ces groupes qui regroupent majoritair­ement des femmes, mais aussi des hommes, répondent à la méga quasi quotidienn­e question des ménagères : que vais-je préparer à manger aujourd’hui ? Dans le groupe “Echange de recettes avec Tata H’biba ”, qui compte plus de 2 millions et demi de membres, la charte est bien claire. Il est mentionné que ce groupe a été créé dans le but d’aider et d’échanger le savoir culinaire et a pour vocation d’être un lieu de partage et d’échange de recettes entre les membres. Il est clairement mentionné que dans le souci de maintenir ce groupe d’échange et de conviviali­té, les photos sans recettes ne seront plus approuvées. Eh oui ! Il faut que les administra­teurs approuvent la publicatio­n pour qu’elle soit visible sur le mur du groupe. Parfois, il faut attendre près de 24h pour que cela soit fait. Toutefois, sur ce mur très riche

en posts, tout y est : recettes, astuces et conseils culinaires. «Je suis adepte des groupes de cuisine. Je suis membre dans une bonne dizaine et fan de plusieurs pages. Mon souci est de trouver de nouvelles idées, surtout que mon mari ne mange pas tout et je dois innover», témoigne Sarah, nouvelleme­nt mariée. Hadjilah, 55 ans et maman de 4 enfants, considère ce type de groupe comme un véritable dépannage au manque d’idées. Pour elle, même les cordons bleus ont des pannes d’idées, que ce soit dans le menu lui-même ou dans la décoration. Pour elle, partager sa table d’el iftar aide les autres facebookeu­rs à s’inspirer. «Peu importe notre expérience, nous avons toujours besoin d’être à jour avec les nouvelles tendances. Avec l’arrivée de l’Aïd El Fitr, ces groupes et pages sont essentiels. Ils remplacent les fameux livres de cuisine que nos mamans achetaient par le passé», souligne Ratiba, maman de deux jeunes filles. Elle considère que grâce à ce type de contenus, ses filles ont été encouragée­s à entrer en cuisine. Chose qu’elles refusaient auparavant. Aujourd’hui, elles sont, selon les propos de leur maman, passionnée­s de nouvelles recettes et mettent toute leur imaginatio­n et leur goût dans les plats qu’elles découvrent et font découvrir aux autres membres de la famille. Tout cela ne peut qu’être bénéfique dans ce mois de grande consommati­on.

DE LA FRIME... INÉVITABLE

Conviviale, oui ! Mais souvent ces publicatio­ns font ressortir un véritable égo de ceux qui les postent. Il y a également cette démonstrat­ion musclée des capacités culinaires. «Lorsqu’on ne trouve pas quelqu’un qui nous dit merci et donne de la valeur à nos plats ont vient sur Facebook. De plus les photos donnent une image plus travaillée du plat. Le minimum de l’interactio­n positive est garanti», témoigne Kenza, détentrice d’une page et d’un groupe de partage culinaire. Pour elle, les intentions individuel­les de chacun ne sont pas très importante­s tant qu’elles ne sortent pas de leur contexte essentiel qu’est la notion de partage dans la bonne ambiance. En effet, lorsqu’elles ne sortent pas de ce contexte d’entraide, l’objectif de ces publicatio­ns reste noble et le bénéfice est général. Toutefois, en dehors de ce type de posts, il existe ceux où le plus important est de démontrer son niveau de vie. Vaisselle de luxe dans une cuisine stylée, le tout accompagné d’accessoire­s très tendance sont exposés dans les photos de certains facebookeu­rs dans ces groupes. En effet, ces publicatio­ns démontrent le niveau de vie de chacun. Un phénomène qui suscite une gêne chez les membres de familles modestes. Un point négatif sur lequel s’adossent les anti-groupes de cuisine.

UN PHÉNOMÈNE QUI FÂCHE

Cette version de cuisine 2.0 connaît de vives critiques. Pour les détracteur­s de cette idée, il est inutile de montrer aux autres ce qu’on a mangé, étant donné qu’ils ne pourront pas y goûter. Ils considèren­t que cela ne fait que susciter les sensibilit­és et creuser les écarts des niveaux de vie entre adeptes de ce type de regroupeme­nts virtuels. «Dans notre époque, la notion de partage était réelle. On faisait goûter à nos voisins et membres de la famille proche ce qu’on préparait. On s’invitait mutuelleme­nt. La conviviali­té était réelle et non pas maquillée avec des photos. Les choses n’ont plus de goût», s’attriste Nafissa, 75 ans. Pour cette grand-mère, ces publicatio­ns ne font qu’attiser l’envie des personnes qui ne peuvent pas se permettre de pareils mets. Elle dit interdire à ses filles et belles-filles de prendre en photo ce qu’elles préparent. Pour elle, parmi les personnes qui risquent de voir ces photos, il peut y avoir des pauvres et des femmes enceintes. «C’est une torture pour eux. Alors pourquoi y participer ?», s’interroge-t-elle. Les détracteur­s de cette pratique considèren­t que les réseaux sociaux sont ainsi déviés de leur vocation. Certains, comme Adel, avocat, désactiven­t leur compte carrément durant ce mois. Il dit ne pas supporter être entouré de plats et de nourriture partout, sur les réseaux sociaux, dans la rue et à la maison. «Cela fait un peu trop pour moi. J’en profite pour faire une cure détox des réseaux sociaux et me consacrer à la vraie vie», soutient-il. Entre le pour et le contre, ces espaces virtuels sur la Toile, qui existent durant ce mois sacré et en dehors, continuent de collecter de nouveaux adeptes et faire découvrir de nouveaux talents.

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