El Watan (Algeria)

Libre comme l’Algérie

- Rania Hadjer

On raconte que le vendredi 13 n’a pas porté chance aux artisans de l’autocratie, que la main populaire a encore frappé. Que le mépris et la conspirati­on sont toujours d’actualité. Combien de marches, combien de pavés faudra-t-il encore user ? Combien de larmes, combien d’encre faudra-t-il encore faire couler avant que l’affairisme abdique dans sa totalité ? Je n’ai pas la réponse, mais ce qui est sûr, c’est que la machinatio­n est un art et les artistes au sein de la monarchie sont loin d’être rares. Il faudra donc s’armer de patience et de ténacité pour venir à bout de l’omnipotenc­e et ses remparts. On raconte que la contestati­on demeure inchangée et que la foule déterminée refuse de négocier

ou de se faire soudoyer, que l’heure n’est plus aux procès. Combien de temps encore faudra-t-il s’égosiller et réclamer ce qui revient de droit à gorge déployée pour que le message soit écouté ? Refusent-ils sciemment d’entendre ou leur surdité est un symptôme de leur âge avancé ? En tout cas, les échos disent que le 4 juillet, il n’y aura ni plébiscite ni assemblée et que les urnes resteront vides tant que le sabotage demeure sponsorisé. Alors, à l’heure où se couchent les étoiles je me permets de rêver. Oui, je rêve que des marcheurs de la dignité émergent les architecte­s d’une société. Tout le monde ne sera pas forcément d’accord avec tout ce que je m’apprête à énoncer, mais ce n’est pas pour autant que je vais taire le fond de ma pensée. C’est le fondement même de la démocratie que, depuis bientôt treize semaines, nous sortons réclamer. Permettez-moi donc de vous faire part du rêve que j’espère voir devenir réalité : Je rêve d’une Algérie tolérante, où le respect prime sur les préjugés. Où la divergence d’opinions n’est pas un obstacle à la civilité. Je risque de me faire foudroyer par les partisans de la phallocrat­ie, mais je rêve d’une Algérie des égalités, où la femme ne serait plus dénigrée, car sa place est là où elle souhaite et non à celle qu’on lui a désignée. Où sa tenue n’est en aucun cas la jauge de son honneur ou de sa dignité. Je rêve qu’après la révolution du sourire vienne la révolution des mentalités. D’une Algérie des priorités, où la liberté individuel­le est un feu rouge à ne surtout pas griller. Où la croyance relèverait de l’intimité, elle peut être le ciment de la société mais pas le béton qui enferme la pensée dans des moules préfabriqu­és. Je rêve d’un pays émancipé du joug des tabous inutilemen­t hérités, où l’obscuranti­sme ne serait plus un obstacle à la prospérité et le jugement de l’autre relèverait uniquement de la compétence du parquet. D’une Algérie des fraternité­s où ni le matricule ni la localité ne sont un prétexte pour dénigrer ou pour rabaisser et que les vendredis ne soient pas les seules démonstrat­ions d’unité. Il paraît que nous méritons le prix Nobel de la paix ? Parfait, je me permets alors de rêver qu’un jour nous puissions vivre en harmonie avec toutes nos diversités. Ni occidental­e ni orientale, je rêve d’une Algérie algérienne où les traditions et coutumes locales colorent notre identité sans pour autant entacher notre spontanéit­é. Je rêve d’une Algérie indulgente mais intransige­ante face aux infraction­s et aux impayés et où le respect de la loi est ancré dans la conformité. C’est probableme­nt utopique, mais je rêve d’une Algérie propre et blanchie de toute forme de malhonnête­té. Où les fêtes religieuse­s ne sont pas un prétexte pour l’inflation du marché. Une Algérie consciente de ses droits mais aussi de ses devoirs sans besoin d’autorité. Je rêve d’une réalité, belle sans artifices, sans anesthésia­nts et sans le filtre des stupéfiant­s. On dit que ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner, mais que ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu. Alors luttons pour notre liberté ! A condition d’être sûrs de la mériter. L’oligarchie et ses disciples l’ont certes atrophiée, mais nous y avons aussi participé par notre laxisme et notre permissivi­té. Soyons honnêtes, assumons donc notre part de responsabi­lité. Je rêve d’une jeunesse exemplaire et engagée, omniscient­e et guérie de sa phobie de travailler à condition que la réussite ne soit plus privatisée et que la soif de savoir rime avec la soif de liberté. Je rêve d’une économie fondée sur la performanc­e, la précision et la qualité pour qu’on s’abstienne à tout jamais de plier le genou devant l’Occident pour des produits de première nécessité. Pour résumer, je dirais que je rêve seulement d’un pays que plus personne ne rêverait de quitter et que l’expression «Libre comme l’Algérie» devienne le refrain d’une ode à la liberté. Ceci dit, ne devenons pas trop parfaits car nos défauts de fabricatio­n sont le charme qui fait de nous des êtres d’exception et ce n’est qu’une question de temps avant que la chrysalide ne devienne papillon. A l’heure où les prémices d’une grande nation font leur chemin, doucement mais sûrement, je ferme les yeux, croise les doigts et implore le ciel pour que ce songe devienne réel. J’étais sur le point de tirer ma révérence pour achever puis je me suis dite qu’il fallait corriger. Au lieu de nous contenter de prier, retrousson­s nos manches et travaillon­s ensemble pour que ce rêve devienne notre vérité, pour redonner sa noblesse à ce majestueux pays, car lui appartenir est notre plus grande fierté. Voici l’ébauche d’un projet de société qui devra être porté par tous les marathonie­ns de la liberté… En attendant, que ce rêve devienne réalité.

Délibéréme­nt,

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