El Watan (Algeria)

«Le panel a mis à nu les divergence­s en haut lieu»

- Entretien réalisé par Nabila Amir

Vous avez accepté de faire partie d’un panel alors que la rue rejette toute initiative cooptée par le pouvoir. Pourquoi ?

Il faut comprendre une chose. Mon geste était encouragé par plusieurs facteurs. D’abord mon nom a circulé dans plusieurs wilayas et j’ai été sollicité par plusieurs personnes pour participer à trouver une solution à la crise. Le 22 avril dernier, devant un parterre d’étudiants, des membres du hirak, des personnali­tés, j’ai appelé à la création d’un comité représenta­tif pour lancer le processus du dialogue. J’ai défendu dans toutes mes sorties l’idée d’aller vers un dialogue, seule alternativ­e pour sortir le pays de cette impasse. Donc, si j’ai intégré le panel c’est par conviction. J’étais persuadé que j’allais apporter ma contributi­on pour éviter à mon pays le pourrissem­ent de la situation. Lorsque le Forum de la société civile a proposé mon nom, j'ai donné mon accord de principe parce qu’ils m’ont convaincu qu’il s’agissait d’une commission a caractère indépendan­t. Mais j’ai conditionn­é ma participat­ion par une série de mesures d’apaisement, en premier, le départ du gouverneme­nt, la libération des détenus, l’ouverture du champ médiatique. Nous avons alors été reçus par le chef de l’Etat par intérim qui s’est engagé à répondre favorablem­ent à ces préalables.

Vous avez rencontré le chef de l’Etat par intérim Abdelakder Bensalah, dont le hirak revendique le départ ; n’était-ce pas un risque pour vous ?

Notre rencontre avec Bensalah avait pour but d’avoir la reconnaiss­ance nécessaire, sinon les mesures d’apaisement n’auraient eu aucune valeur. J’ai accepté d’y aller pour arracher les prérogativ­es et pour que les décisions qui émanent de cette commission soient exécutoire­s. Lorsque nous avons été reçus par le chef de l’Etat, j’ai mis sur la table toutes les questions soulevées par le mouvement, et les conditions nécessaire­s pour aller vers un dialogue serein. Les préalables que nous avons posés étaient revendiqué­s par la quasi totalité des Algériens, des partis et acteurs politiques. Ce n’est nullement un entêtement de notre part. Il fallait répondre à ces préalables pour la réussite de ce processus de dialogue ; j’ai également exposé mon avis sur la situation économique qui est très inquiétant­e. Au lendemain de cette réunion, le 23e vendredi de manifestat­ions, j’ai participé à la marche. J’avais pour visée d’expliquer aux manifestan­ts ma démarche, la plupart de ceux qui m’ont appréhendé ont été attentifs à mes arguments, mais au moment de repartir, trois jeunes m’ont encerclé et ont fait un tapage autour de moi. Ils m’ont demandé de dégager parce que j’ai accepté de faire partie du panel. J’ai subi beaucoup de pressions. Mais ce qui m’a découragé le plus, c’est le discours du chef d'état-major de l’armée et aussi les dernières décisions de Bensalah. Ce dernier nous a clairement dit que la Constituti­on ne lui permettait pas de limoger le Premier ministre, alors que c’est faux puisqu'il y a deux jours il a limogé le ministre de la Justice.

C’est le discours de Gaïd Salah qui a motivé votre démission du panel ?

Franchemen­t, je m’attendais à une approche différente de la part de l’institutio­n militaire. On s’attendait à ce que l’armée appuie le discours de la Présidence et non le contraire. J’étais vraiment surpris par le ton et le contenu du discours de Gaïd Salah. Un discours qui était contre mes principes. Les préalables étaient une exigence pour la réussite du dialogue. Nous avons été très bien reçus à la Présidence, nos interlocut­eurs donnaient l’impression d’être conscients de la gravité de la situation, et le chef de l’Etat par intérim s’était engagé à répondre favorablem­ent à nos conditions. On sentait qu’il allait mettre le paquet pour la réussite de ce panel, mais après l’interventi­on du chef d'état-major, j’ai compris que le panel était mort-né et qu’il y avait de sérieux problèmes au sommet de l’Etat.

Vous avez compris qu’il y avait des divergence­s au sommet ?

Oui. A mon avis, le dialogue s’impose d’abord entre les tenants du pouvoir. Entre la Présidence et l’institutio­n militaire il y a un désaccord, il y a même un fossé. Je l’ai invité à créer un panel pour engager un dialogue entre eux. Le panel dirigé par Karim Younès a mis a nu les divergence­s existant en haut lieu. Nous avons cru qu’avec l’installati­on du panel, Gaïd Salah n’allait plus s’immiscer dans les affaires politiques, qu’on allait donner la possibilit­é à l’armée de reculer et de laisser la Présidence prendre le relais avec les prérogativ­es du panel. Nous avons cru que l’institutio­n militaire allait juste accompagne­r le panel, en mettant à sa dispositio­n les moyens logistique­s nécessaire­s, mais ce n’est pas le cas. Bien au contraire, le dernier discours du chef d’état-major prouve que c’est lui qui dirige dans le pays. Alors, si l’on veut éviter le pire au pays, les stratèges de l’armée doivent revoir leur copie, ils doivent épargner à l’institutio­n militaire de s’impliquer dans le politique. Aux problèmes politiques, il faut des solutions politiques…

A l’issue du discours de Gaïd Salah, Karim Younès a remis sa démission, mais les membres du panel l’ont rejetée. Par la suite, il y a eu la démission de Azeddine Benaïssa, mais sa démission ainsi que la vôtre n’ont pas été refusées. Selon vous, pourquoi ?

Aucune idée. Après ma démission, je n’ai reçu aucun appel. J’aurais souhaité que Karim Younès, qui était lui aussi peiné par le discours de Gaïd Salah, m’appelle en sa qualité de coordinate­ur du panel, mais il ne l’a pas fait. Moi, j’assume mes choix, j’aurais eu peut-être des remords si j’avais refusé de participer a ce panel.

Aujourd’hui, je ne regrette rien.

Quels sont les critères retenus pour le choix des personnali­tés du panel ?

Vous avez remarqué que l’on ne se bouscule pas au portillon du panel. Il n'y a pas de critères, sauf que certaines personnali­tés sont connues et que pour d’autres, leurs noms circulent sur les réseaux sociaux. Les personnali­tés connues ont refusé d’intégrer le panel et d’autres ont dit oui. Certaines personnes ont préfèré se cacher, elles ont peur pour leur popularité et d’autres ont eu le courage et le mérite d’intégrer le panel. A mon sens, toutes les personnali­tés connues doivent s’impliquer et s’inquiéter de l’avenir du pays, elles doivent agir et mettre le pouvoir devant ses responsabi­lités. Se taire n’est pas la meilleure démarche.

D’aucuns prédisent l’échec et la dissolutio­n du panel ; qu’en pensezvous ?

Ce panel n’a aucun avenir. Il est voué à l’échec. Pourquoi ? Parce que sa réussite repose sur l’adhésion populaire. Or, ce n’est pas le cas. Le dialogue doit se faire entre nous, on doit se mettre autour d’une table et tenter de rapprocher les points de vue sur les questions de la Constituan­te, la présidenti­elle… Mais sans un climat favorable et une volonté politique, on ne pourra jamais atteindre cet objectif.

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