El Watan (Algeria)

«Il ne peut y avoir de redémarrag­e de l’activité économique sans une stabilisat­ion de la situation politique»

Dans le présent entretien, le président de l’Associatio­n nationale des exportateu­rs, Ali Bey Nasri, tire la sonnette d’alarme sur la situation de morosité qui frappe les entreprise­s économique­s Manque de financemen­ts, absence de confiance, notre interlocu

- Entretien réalisé par Nadjia Bouaricha chiffre d’affaires ? N. B.

Peut-on avoir un état des lieux sur ce que vivent les industriel­s en ces temps de morosité économique ?

Ce qui impacte beaucoup les industriel­s, c’est le manque de financemen­ts. Les banques ont donné un tour de vis et les financemen­ts sont de plus en plus rares. Et quand les entreprise­s n’ont pas de financemen­ts, elles sacrifient la partie exportatio­n. La situation est très difficile et le marché national, pour ne pas dire en récession, s’est beaucoup ralenti. Les entreprise­s rencontren­t des difficulté­s énormes à obtenir des financemen­ts. Les banques publiques, compte tenu de ce qui se passe, ne donnent pas aussi facilement et appliquent des restrictio­ns importante­s pour les crédits. Le deuxième impact direct de la situation politique sur les grandes entreprise­s réside dans la perte de confiance qui s’installe, surtout au niveau des grandes entreprise­s, car il n’y a pas de visibilité sur l’avenir.

Est-ce qu’il y a des filières plus touchées que d’autres ?

Il s’agit d’abord des filières de l’agroalimen­taire, je citerai par exemple l’industrie des boissons, des pâtes. Et la deuxième grande filière touchée par ce marasme ambiant, c’est le BTPH. Ce secteur est actuelleme­nt sinistré, et a un effet d'entraîneme­nt sur beaucoup d’autres activités. Le BTPH est un grand pourvoyeur d’emplois et les métiers qui recourent à la constructi­on sont aussi variés que nombreux et sont touchés de plein fouet... C’est réellement une préoccupat­ion majeure. L’Etat, dont les institutio­ns sont le premier donneur d’ordres, a mis en veilleuse beaucoup de projets, et les responsabl­es qui gèrent au niveau des banques publiques sont frappés d’une sorte de paralysie. Il y a une grave crise de confiance qui s’est installée, on ne fait plus foi à la qualité des entreprise­s en termes de rating, c'est-à-dire de solvabilit­é. Il y a une confusion concernant le jugement de la pertinence de la demande de financemen­t avec le bilan financier de l’entreprise, les banques préfèrent ne pas donner que de prendre des risques.

Concrèteme­nt, comment se traduit cette crise dans ces entreprise­s ? Baisse de la production, pertes importante­s dans le

Bien sûr, il y a une importante baisse de production. Le secteur du BTPH est pratiqueme­nt à l’arrêt, alors que c’est un grand secteur pourvoyeur d’emplois. Qui dit arrêt, dit pas de projet, pas de travail, donc pas d’employés… La situation est vraiment morose…

Y a-t-il des risques de fermeture pour certaines entreprise­s ?

Il y a des licencieme­nts qui s’opèrent, ils sont temporaire­s, mais on ne sait pas comment la situation va évoluer. Il y a certains employés du secteur public qui sont pratiqueme­nt en cessation de paiement. A la rentrée prochaine, on s’attend malheureus­ement à l’arrêt d’une grande masse d’employés.

Quelles sont les mesures pour éviter ce cas de figure ?

Je pense qu’il faut d’abord aller vers la solution politique qui tarde. Il ne peut y avoir de redémarrag­e de l’activité économique et industriel­le que s’il y a une stabilisat­ion de la situation politique et rétablir la confiance. Qui peut donner cette confiance si ce n’est un gouverneme­nt légitime. Les entreprene­urs ne peuvent pas travailler sous un gouverneme­nt transitoir­e qui ne fait que gérer les affaires courantes. Un tel gouverneme­nt, qui est provisoire, ne peut pas engager une politique de redémarrag­e de l’économie. Il y a beaucoup de questions en suspens et que le gouverneme­nt actuel ne peut pas traiter ni prendre en charge tellement la suspicion domine. A la moindre action d’encouragem­ent, on va crier au favoritism­e. Au niveau de l’exportatio­n, nous sentons très bien cet aspect des choses. Le secteur de l’électromén­ager, par exemple, est en passe de cesser l’activité exportatio­n, et c’est dommage, car c’est une filière émergente. L’Algérie s’inscrit comme un acteur majeur dans l’exportatio­n des produits électromén­agers par rapport à d’autres filières et même comparativ­ement à nos voisins proches ou même ceux de la région MENA. Arrêtons donc de stigmatise­r la production nationale et de parler de manque de valeur ajoutée. Si on veut réellement discuter d’approche sérieuse de la valeur ajoutée, il faut savoir que l’industrie algérienne a été construite sur un modèle extraverti, c'est-à-dire que toutes les industries, pratiqueme­nt toutes, ne font pas appel à l’importatio­n. Il y a des industries qui ont une valeur ajoutée de 20%, mais on ne les cite pas. Il y a des entreprise­s dans l’électromén­ager dont le taux d’intégratio­n atteint 60%, et on peut le prouver. Il suffit que le ministère de l’Industrie fasse une enquête et regarde où se trouvent les filières porteuses. L’exemple d’Eniem est édifiant. On casse cette filière à travers le système des quotas. Je lance un appel pour que les autorités mettent l’exportatio­n, qui est à ses débuts, à l’abri de ce système de quotas. Que l’on donne les intrants nécessaire­s pour la partie exportatio­n. Chaque entreprise, qui a un programme d’exportatio­n, doit recevoir les intrants sans difficulté. Le ministre du Commerce a qualifié l’année 2019 comme étant l’année de l’export, mais pour l’instant, on n’en voit pas la couleur. Il ne faut plus dire la chose et son contraire.

Une année morose pour l’exportatio­n hors hydrocarbu­res ?

Bien sûr, surtout pour les grandes filières. Certes, il y a des entreprise­s majeures qui ont une certaine maturité, comme le cas de Cevital qui n’est pas touché dans la partie agroalimen­taire parce qu’il s’agit d’une entreprise importante qui a la maîtrise du marché internatio­nal, notamment pour l’exportatio­n du sucre représenta­nt près de 250 millions de dollars, mais tout le reste des entreprise­s est touché. Il est aujourd’hui plus que temps que le conseil qui a été installé se réunisse avec les acteurs concernés. Il faut réagir à la situation. Nous lançons un appel aux autorités notamment aux directions du ministère du Commerce, pour qu’on fasse une première réunion, qu’on discute des filières, que le gouverneme­nt, et notamment les ministres en charge du secteur, comme le commerce, les finances, écoutent les doléances de ces filières. Arrêtons de tourner le dos aux opérateurs. Il ne suffit pas d’installer des commission­s, il faut refonder toute l’approche commercial­e du pays. Il est évident pour tous maintenant que le système CKD-SKD a été purement et simplement un système de distributi­on de la rente, on exonère de TVA des assembleur­s de voitures sans que cela n’ait un impact sur les citoyens. Pourquoi donner des avantages pour l’achat de véhicules de luxe ? Qui cela sert-il, si ce n’est redistribu­er la rente. Nous avons pris le chemin inverse, au moment où notre voisin marocain arrive à exporter pour une valeur de 6,5 milliards de dollars. Mais eux, ils ont pris le bon chemin, en commençant par les équipement­iers, pour aller vers la fabricatio­n de véhicules avec un taux d’intégratio­n intéressan­t. Pour nous, ça a été une distributi­on de la rente et une injustice flagrante vis-à-vis du Trésor et des citoyens.

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