Cafouillages et manque de visibilité dans les écoles
● Un mois après la retrée scolaire, les réaménagements horaires, le peu de moyens pour l’application du protocole sanitaire, la baisse du volume horaire et les
décisions floues et contradictoires entament la sérénité des enseignants, des élèves et de leurs parents.
La rentrée scolaire en ces temps de pandémie est, disons-le franchement, «un cas d’école» en matière d’improvisations et de cafouillages. Un mois après la reprise scolaire, les réaménagements horaires, le peu de moyens pour l’application du protocole sanitaire, la baisse du volume horaire et les décisions floues et contradictoires entament la sérénité des enseignants, des élèves et de leurs parents. Une situation d’autant plus incompréhensible, pour les enseignants comme pour les parents d’élèves, que le secteur de l’éducation, qui a fermé les écoles de mars à octobre, avait disposé d’un temps nécessaire pour mettre en oeuvre une stratégie sur les plans sanitaire et pédagogique. «Pourquoi ce retard ?», interroge ainsi Méziane Meriane, du Syndicat national des professeurs de l’enseignement secondaire et technique (Snapest). «Nous ne voulions pas d’une rentrée précipitée, car nous voyons bien que les écoles n’étaient pas prêtes», renchérit Ali Bouzina, représentant de l’Organisation nationale des parents d’élèves (ONPE). «En huit mois, poursuit Bouzina, pratiquement rien n’a été fait pour préparer la reprise scolaire. Durant les mois d’avril et mai, ils se sont préoccupés de l’organisation des examens, puis en août, ils ont annoncé le report de la rentrée scolaire (du 4 septembre au 21 octobre pour les écoles primaires et au 4 novembre pour les CEM et les lycées). C’est une conjoncture exceptionnelle que vit notre pays, il faut des mesures à la hauteur. Or, il n’y a eu ni véritable protocole sanitaire, ni protocole pédagogique.»
Le ministère de l’Education a donné l’impression d’improviser des mesures parfois erratiques, manquant de clarté. «Jusqu’à présent, ils continuent à modifier les horaires, créant ainsi une anarchie au sein des établissements scolaires», dit Bouzina. Car «comment remplacer les quatre heures de cours du samedi qui ont été supprimées ?» s’interroge-t-il, en référence à la décision du ministère de se passer des cours du samedi – si nécessaires – dans les écoles primaires fonctionnant à double vacation. Or, même les écoles qui n’utilisent pas ce système ont revu les heures de cours à la baisse.
D’autres directives paraissent encore floues. «Ils disent par exemple, dans l’une des directives, que pour des matières précises, il y aurait un seuil minimum d’horaires à respecter. Cela reste vague et chacun n’en fait qu’à sa tête. Du coup, cela aura des répercussions sur l’égalité des chances.» Méziane Meriane craint que la baisse du volume horaire n’ait des répercussions sur le plan pédagogique. «Force est de constater que nous n’avons pas beaucoup avancé, reconnaît-il. Le fait est que nous avons déjà un trimestre de retard, qu’il nous a fallu du temps pour reprendre et que le volume horaire est divisé par deux, ce qui fait que les enseignants avancent lentement, d’autant que la charge n’a pas changé. Nous avions suggéré de changer la méthode d’enseignement, en optant pour un résumé succinct des leçons au lieu de la méthode expositive et donner ainsi aux élèves un maximum d’informations en un temps relativement court.» Méziane Meriane, également professeur de mathématiques, estime qu’un mois d’enseignement selon le plan exceptionnel équivaut à 15 jours en situation ordinaire, tout comme trois mois d’enseignement en ces temps incertains ne valent en réalité qu’un mois et demi. «Dans de telles conditions, il est très difficile d’achever le programme scolaire», tranche-t-il. «Pour éviter la pression sur les élèves, il aurait sans doute fallu – et c’était l’une de nos propositions au ministère de tutelle – se baser uniquement sur les matières essentielles», dit Bouzina.
Ce rythme entraîne également, selon le coordinateur national du Snapest, «une surcharge de travail pour les enseignants». «A terme, ce rythme va entraîner un surmenage des enseignants et une baisse de l’immunité qui favorisera la contamination au coronavuirus», analyse Mériane. Il propose de ménager les professeurs à travers le recrutement d’enseignants vacataires. C’est également la proposition du représentant de l’Organisation des parents d’élèves pour le remplacement des enseignants qui pourraient être atteints de Corvid-19. «Il est des situations où les enseignants malades ne sont pas remplacés, privant ainsi les élèves de cours. Il aurait fallu, notamment dans les écoles primaires, laisser instituteurs en réserve, notamment ceux s’occupant des classes préparatoires», suggère-t-il. Car sur le plan sanitaire, la situation n’est pas des plus rassurantes. «Il est vrai, souligne le représentant du Snapest, que la distanciation sociale est respectée dans les classes, mais elle ne l’est pas dans les couloirs et dans les cours des établissements scolaires. Le danger est permanent. Malgré le respect du protocole sanitaire à l’intérieur des établissements scolaires, la rue est livrée à l’anarchie. Le risque d’y être contaminé et de ramener le virus dans les établissements scolaire est grand. L’école risque d’être fermée par la rue.» Impossible dans ces conditions de faire son travail d’enseignant normalement. Méziane Meriane estime qu’il n’est pas possible de faire monter les élèves au tableau, du fait de la pandémie et des risques de contamination aussi bien pour les élèves que pour les professeurs. «Il y a des conseils à prodiguer et un travail de sensibilisation à faire», commentet-il.
A cela s’ajoute le peu de moyens dont disposent les écoles pour appliquer le protocole sanitaire. Méziane Meriane évoque le cas d’un établissement scolaire où les enseignants ont dû cotiser afin de se procurer un thermomètre. A écouter Ali Benzina, président de l’Organisation nationale des parents d’élèves (ONPE), il apparaît que le cafouillage s’érige en mode de gestion dans ce secteur. «C’est l’anarchie totale, le ministère de l’Education est dépassé. C’est le secrétaire général qui est sur tous les fronts, c’est à se demander où sont les autres responsables.» Et de suspecter : «Il y a comme quelque chose d’anormal. Et cela ne rassure en rien les parents d’élèves.» Le responsable de l’ONPE énumère quelques exemples : les directives contradictoires des directions de l’éducation, celles qui se basent sur des «conversations téléphoniques» (écrites ainsi littéralement dans les correspondances officielles) pour justifier les décisions, des décisions cavalières de certains établissements scolaires… «Ce que nous constatons, c’est une grande instabilité du secteur de l’éducation. Cela est d’autant plus inquiétant que ces exemples et les plaintes des parents nous parviennent de tout le territoire : El Bayadh, Adrar, Bouira, Alger…», s’inquiète Bouzina.