«L’endettement public interne ne peut être une solution»
KAMEL BENKHABECHECHE. Economiste, conseil en investissements sur les marchés financiers
L’endettement public est perçu comme une solution au déficit budgétaire. Quelles sont ses limites ?
L’endettement public interne est tout simplement la somme des déficits budgétaires antérieurs, il ne peut pas être la solution, surtout pas sur le long terme. La solution au déficit est principalement la croissance économique : plus de production = plus de recettes fiscales et moins de dépenses (renflouement des entreprises publiques, des banques publiques, dépenses sociales, etc.). Dans le cas de l’Algérie, grâce au prix du pétrole, l’Etat était épargnant net (accumulation des excédents dans le FRR). A partir de 2017, la «tirelire» a été vidée, la planche à billets a pris le relais. La dette publique interne (somme des déficits budgétaires antérieurs) est d’environ 9000 milliards de dinars ou environ 45% du PIB. Les 2/3 de cette dette publique se trouvent au bilan de la Banque d’Algérie, le solde est détenu par les banques commerciales. D’ici une année (fin 2021), la dette passera à environ 11 000 milliards de dinars (55% du PIB). Un accroissement d’environ 10 points par an est insoutenable !
Comme c’est la Banque d’Algérie qui détient le solde, il n’y aura pas d’impact dans le court terme…
Dans les économies avancées (USA, UE, G-B, Japon), les Banques centrales ont adopté, depuis un bon moment, une politique monétaire très accommodante (Quantitative Easing).
Ces Banques centrales ont fait fonctionner la planche à billets afin d’acheter, sur le marché secondaire, les obligations d’Etat (principalement). L’objectif est, ainsi, de faire baisser le coût du crédit : les taux d’intérêt. D’où l’apparition (surprenante) de rendements négatifs : l’Etat allemand emprunte aujourd’hui sur 10 ans à environ -0,60%, l’Etat français à -0,30%, etc. Il s’agit tout simplement d’une politique de relance de la demande via l’outil monétaire. Avec des taux hypothécaires bas (autour de 1,5% dans la zone euro), les ménages peuvent emprunter pour acheter leurs résidences immobilières (boost pour le secteur du bâtiment), les entreprises à investir et les Etats à se refinancer à bon marché. Pour le moment, les marchés ne réagissent pas négativement, l’inflation ne bouge pas, idem pour les taux de change, etc. Dans le cas de l’Algérie, la conjoncture n’est pas du tout la même ; si on essaie, par exemple, de booster le secteur du bâtiment, on va devoir importer les inputs nécessaires. Depuis 2015, le déficit commercial est d’au moins 20 milliards de dollars/an. Pour contrer ce déséquilibre, la solution ne peut être une relance de la demande (via la relance monétaire), mais l’inverse. La planche à billets de la Banque d’Algérie (financement des déficits budgétaires) correspond à une relance de la demande intérieure (principalement la consommation des ménages) qui va agir sur les importations. D’ailleurs, malgré la forte dépréciation du dinars (60% par rapport au dollar entre 2014 et aujourd’hui), le déficit commercial n’a quasiment pas bougé (une moyenne de 20 milliards de dollars/an). A quoi est due cette anomalie (dépréciation importante de la monnaie sans impact sur la balance courante) ? La masse monétaire est passée de 13 000 milliards de dinars à 17 000 milliards de dinars (+30 %) ! Ce que vous enlevez d’un côté (dépréciation du dinar), vous le remettez de l’autre (masse monétaire, conséquence de la planche à billets). Et comme la monnaie nationale ne joue pas son rôle de réserve de valeur (conséquence de l’inflation), on n’a pas intérêt à épargner : on dépense (consomme), donc on importe une bonne partie du montant consommé.
Les politiques suivies ne répondent à aucune logique... la relance de la demande intérieure devrait logiquement redynamiser l’entreprise et la production. Dans notre cas, cela va relancer l’importation. Dans quelque temps, il n’y aura plus de devises ; comment va-t-on faire ?
Notre cas n’est pas contraire à la logique économique, il faut juste ne pas se tromper de diagnostic. Contrairement aux économies avancées qui font face à une crise de demande, d’où l’intérêt d’une relance de la demande (budgétaire et/ou monétaire), l’économie algérienne souffre d’une crise d’offre (appareil de production défaillant), associée à une mauvaise politique économique conjoncturelle (les deux sont liées). Quand vous avez une économie qui dépend du prix d’une matière première (ressources fiscales, ressources en devises), dès que les prix baissent, vous avez notamment et mécaniquement un déficit budgétaire qui se creuse. Si ce dernier est financé par la création monétaire (planche à billets), vous entrez dans un cercle vicieux (dévaluations récurrentes, inflation…). L’économie a besoin d’une «monnaie stable». Cette dernière incitera le consommateur à épargner, car elle jouera son rôle de réserve de valeur (bon pour le crédit intérieur et le solde courant), l’investisseur local à se lancer en affaires (création de richesse économique, de valeur ajoutée) et rassurera l’Investisseur étranger (IDE). Bien que le problème soit plus global, sur le plan macroéconomique, il faut se fixer comme principal objectif la stabilité de la monnaie. Pour y arriver, il faut impérativement en finir avec les déficits budgétaires abyssaux. En conclusion, pour encourager la production locale et donc agir sur la balance commerciale, la solution n’est pas une politique de relance de la demande. Il faut, au contraire et a minima, une monnaie stable et pour atteindre cet objectif, cela passe par une politique économique (budgétaire & monétaire) rigoureuse (déficit maîtrisé, voire nul ; abolition de la planche à billet).