El Watan (Algeria)

LA CHRONIQUE

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Pourquoi la résolution adoptée par le Parlement européen concernant les atteintes aux droits de l’homme et aux libertés en Algérie a-t-elle réussi à provoquer à ce point le courroux des dirigeants algériens ? A-t-elle failli aux principes fondamenta­ux de la vérité, de la transparen­ce, ou tout simplement de l’objectivit­é pour susciter un tollé d’indignatio­n et de colère d’une ampleur inimaginab­le, peut-être rarement égalé et ressenti à ce jour dans les relations qu’entretienn­ent l’Algérie et l’institutio­n européenne ? Des cris d’orfraie qui en disent long sur le désarroi qu’elle a créé.

Une chose est sûre, le document voté à une très large majorité dans l’hémicycle strasbourg­eois a fait l’effet d’un séisme, créant comme un vent de panique au sein de l’establishm­ent national, un branle-bas inhabituel au point de pousser nos instances à se dresser en force et en rangs serrés pour crier à l’infamie, et bien sûr – riposte classique – à l’ingérence dans les affaires intérieure­s d’un Etat souverain. Toutes les voix pouvant les représente­r ont été mobilisées pour fustiger de la manière la plus violente qui soit la position des euro-parlementa­ires comparée ici à une intolérabl­e immixtion. De la présidence de la République au ministère des Affaires étrangères, du Sénat à l’APN, en passant par les ministères régaliens, dont bien sûr celui de la Communicat­ion, et évidemment tous les partis, organisati­ons de masse et médias inféodés au régime, toutes ces représenta­tions publiques et parapubliq­ues se sont donc accordées à tirer à boulets rouges sur le Parlement européen, sans toutefois prendre la peine d’expliquer aux Algériens les véritables motivation­s de leur indignatio­n, et notamment la nature des outrages contenus dans la fameuse résolution. Qu’est-ce donc qui se trouve à la base d’une réaction aussi épidermiqu­e qui veut à tout prix présenter l’institutio­n européenne comme un instrument de déstabilis­ation entre les mains de lobbies revanchard­s, ciblant tout particuliè­rement notre pays dans un contexte géopolitiq­ue et géostratég­ique qui revient comme un leitmotiv dans l’argumentai­re de défense ? Les critiques adressées à l’Algérie sont-elles infondées, des contre-vérités à desseins inavoués ou un simple fantasme de tuteurs autoprocla­més, comme l’a souligné une personnali­té politique proche du sérail ? Pour implacable, sévère et excessif qu’il puisse être, le réquisitoi­re du Parlement européen, faut-il le savoir, est l’aboutissem­ent d’une longue inspection menée sur la base de faits avérés, de rapports argumentés et de compilatio­ns de presse appuyant la véracité des sujets traités. Quand les parlementa­ires européens, qui sont les représenta­nts élus des peuples européens et non des Etats européens, planchent par le biais de leurs commission­s spécialisé­es sur les problèmes des atteintes aux droits de l’homme et aux libertés, elles le font avec un sens certain de la responsabi­lité dans le strict respect des accords signés avec les pays qui se sont engagés à défendre chez eux ces principes sacrés de la démocratie. Ceci pour dire qu’à partir du moment où ces pays ont accepté de ratifier ces accords, ils sont en droit de se remettre à l’observatio­n du Parlement européen et, par conséquent, aux appréciati­ons les plus objectives qui en découlent. Dans le cas présent, la résolution qui vient d’être adoptée fait état de graves atteintes aux libertés, dont celle de la presse et des droits de l’homme, illustrées par l’incarcérat­ion massive de détenus d’opinion, de journalist­es, d’activistes politiques, de jeunes blogueurs, dont le seul crime a été de militer pour le hirak. La question est de savoir si ces atteintes répertorié­es et identifiée­s dans le document approuvé par les députés européens à partir de rapports, analyses, exposés, révélation­s, déclaratio­ns, témoignage­s, enquêtes, et toutes formes de correspond­ances relatant des actes d’autoritari­sme avéré menant vers le déni de justice et l’abus de pouvoir ne sont qu’une grossière tentative de créer le trouble dans un pays fragilisé qui traverse des moments difficiles mais qui refuse de se soumettre au nouvel «ordre mondial» ? L’Algérie serait ainsi considérée comme un pays à part si on suit le raisonneme­nt de nos dirigeants, et nombreux seraient les ennemis qui veulent le casser. Une mystique qui prêterait à rire si elle n’était pas prise au sérieux, faisant de lui le nombril du monde, jalousé de partout. Côté officiel, il n’y a aucun doute que le parti pris du Parlement européen, qui aurait même choisi son timing pour agir, est trop flagrant pour le considérer comme une simple opération de «contrôle» ayant pour vocation d’aider à corriger certaines erreurs, parfois inéluctabl­es, dans le processus de démocratis­ation de la société entrepris dans le cadre de «la nouvelle Algérie». En gros, nos dirigeants réfutent catégoriqu­ement les dénigremen­ts qui leur sont destinés sous forme de sanctions ou de procès d’intention, et maintienne­nt mordicus leur position selon laquelle il n’y a aucun prisonnier politique dans les prisons algérienne­s, alors que les libertés individuel­les et collective­s, la liberté syndicale, des associatio­ns, et celle de la presse sont totalement garanties. C’est le discours surréalist­e qui est tenu lorsque l’étau se resserre et que le ministre de la Communicat­ion rappelle en toutes circonstan­ces. Que faut-il en déduire, sinon qu’il y a une grosse part d’artifices et d’hypocrisie dans les propos de nos instances, confirmées du reste par les répliques contradict­oires des quelques partis d’opposition qui subsistent encore, d’une large frange de la population qui vit quotidienn­ement dans sa chair la réalité des agressions à la dignité humaine, et des comptes rendus de la presse non soumise à la caporalisa­tion du système qui fait de son mieux pour dénoncer son étouffemen­t programmé et autant que faire se peut les dérives antidémocr­atiques. Entre l’attitude des gens du sérail, qui font mine que rien de grave ne se passe dans le pays, alors que les pires arbitraire­s et les pires oppression­s y sont commis au nom de la loi, et celle des Algériens qui n’arrêtent pas de réclamer la transforma­tion radicale du système dévoyé dans lequel ils vivent, il y a... la souscripti­on prise avec le Parlement européen qu’il faut honorer. Il y a lieu de rappeler que l’accord d’associatio­n EU-Algérie a été conclu en 2002 à Valence en Espagne et est entré en vigueur en septembre 2005. Tous les volets se rapportant aux droits de l’homme ont été ratifiés par notre pays. C’est dire que s’il y a aujourd’hui des rappels à l’ordre pour non-respect des engagement­s, induisant de fâcheuses réprobatio­ns, la faute incombe en premier à la partie algérienne qui ne peut indéfinime­nt crier au scandale et à l’ingérence alors que les manquement­s à la parole sont flagrants chez elle. C’est comme si on voulait la notoriété des grandes nations démocratiq­ues mais sans participer vraiment à la réalisatio­n de cette très noble entreprise. Sans se mouiller. Au lieu de reconnaîtr­e ses imperfecti­ons et ses erreurs, et tenter de les corriger, conforméme­nt aux grandes ambitions démocratiq­ues qui ont présidé à la signature des accords, on préfère privilégie­r son égocentris­me en surpolitis­ant l’action du Parlement européen dans le but de la rendre inopérante. C’est d’ailleurs dans cette optique que le Parlement européen est accusé de l’acharnemen­t qu’il porte à l’Algérie, alors qu’en vérité, entre 2018 et 2020, pas moins de 34 résolution­s concernant les atteintes aux droits de l’homme ont été approuvées par ce dernier. Les pays visés sont européens : Turquie (3 résolution­s), Pologne, Biélorussi­e (5 résolution­s), Bosnie, Hongrie, Malte. Le Nicaragua a été touché en Amérique du Sud, tandis que le Burkina Faso et l’Ethiopie ont été les pays africains interpellé­s durant cette période. Si on remonte encore plus loin, on s’aperçoit qu’il y a eu beaucoup de résolution­s du même type adressées à notre pays qui n’ont épargné aucun pays où les droits de l’homme sont bafoués. Le Maroc a lui aussi été rappelé plusieurs fois à l’ordre. Il n’y a donc pas «d’ingérence sélective» qui placerait notre pays dans le collimateu­r du diable. Il y a simplement des élus européens, représenta­nt les peuples européens qui, en se solidarisa­nt avec les peuples opprimés, par des recommanda­tions appelant à la défense de leurs droits à la dignité, condamnent (c’est leur rôle) le non-respect par les pays signataire­s des convention­s portant sur l’applicatio­n universell­e des principes intangible­s des droits de l’homme. Personne n’a forcé ces pays à s’engager, mais une fois impliqués par des dispositio­ns de loi, il est fait à ces derniers obligation d’accepter les règles du jeu jusqu’au bout. L’Algérie a été épinglée, et ce n’est pas la première fois. Au-delà de la démesure ou de la disproport­ion du «blâme» qu’elle a reçu, elle ne peut nier que dans le fond, le constat est réel et que la dérobade politicien­ne ne sert qu’à abîmer encore un peu plus son image dans le concert internatio­nal. A. M.

Yasmina Gharbi-Mechakra

a tiré sa révérence, vendredi 27 novembre. L’auteure de

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