El Watan (Algeria)

«Ce que nous constatons est vraiment inacceptab­le»

- Propos recueillis par Kamel Benelkadi K. B.

Avec une connexion très lente et un accès difficile à certains sites, internet reste très perturbé en Algérie. Quelles en sont, selon vous, les raisons ?

Ce que nous constatons en termes de qualité de service internet est vraiment inacceptab­le à l’ère de la transforma­tion numérique. L’accès à une connexion stable et de qualité devient un voeu difficilem­ent réalisable. La principale raison est directemen­t et principale­ment liée à l’organisati­on du marché du service internet (pour la partie infrastruc­tures du réseau national), détenu majoritair­ement en amont par un opérateur qui n’arrive pas à satisfaire une demande en permanente progressio­n. Malgré les investisse­ments engagés ces dernières années en termes d’infrastruc­tures et services, le réseau national reste très limité par rapport aux besoins et surtout aux défis à venir. Sachant que le réseau national est majoritair­ement dépendant du réseau Sea-Me-We4 à plus de 80% pour les besoins nationaux. A cela, il faut ajouter la qualité de la commercial­isation ainsi que les offres disponible­s, que ce soit pour les profession­nels ou les résidentie­ls. Au moment où l’on parle à travers le monde du très haut débit et de la 5G et de leurs généralisa­tions pour répondre aux besoins de la 4e révolution industriel­le, en Algérie, on a du mal à disposer d’une connexion stable.

Cette situation ne constitue-t-elle pas un frein à la relance économique et à l’accélérati­on de la numérisati­on de tous les secteurs, alors que sous d’autres cieux, on parle d’«Etat numérique»?

Bien évidemment qu’elle devient une vraie contrainte pour les besoins de la transforma­tion numérique du pays à différents niveaux et dans tous les secteurs. Il est plus qu’urgent de mettre fin à cette situation qui devient préjudicia­ble au développem­ent du pays. Je le dis souvent, qu’après la sécurité alimentair­e et la sécurité énergétiqu­e, la sécurité numérique devient un enjeu majeur pour la souveraine­té des nations. Ainsi, nous devons accélérer notre transition digitale et mettre tous les moyens pour réunir les conditions pour son développem­ent. Pour cela, nous devons rapidement doter le pays d’une vraie stratégie de transforma­tion numérique, lancer à très court terme des investisse­ments dans les infrastruc­tures de base (extension et généralisa­tion du réseau de fibre optique, création de data center, etc.). Parallèlem­ent, il faut beaucoup investir dans la ressource humaine, seul gage pour la réussite de cette importante stratégie. Enfin, il est plus que nécessaire d’ouvrir le marché des services internet à la concurrenc­e, garante d’une qualité de service améliorée et une compétitiv­ité permanente pour répondre efficaceme­nt aux besoins des utilisateu­rs.

En ces temps de pandémie de Covid-19, ne croyez-vous pas que cette situation va élargir davantage la fracture numérique, surtout qu’il y a un réel besoin en termes de télétravai­l, téléenseig­nement et paiement électroniq­ue ?

La crise sanitaire de Covid-19 a eu un effet accélérate­ur dans la mutation des économies mondiales à travers l’émergence de nouveaux métiers et de nouvelles formes de travail, comme le télétravai­l (généraleme­nt relevant du secteur des services).

Aussi, cette pandémie a grandement mené les gens à changer leurs habitudes de consommati­on en recourant aux moyens électroniq­ues pour leurs transactio­ns (epaiement, clic & collect, etc.). On constate que cette mutation est largement dépendante du numérique qui prend de plus en plus une place prépondéra­nte dans la structurat­ion des économies mondiales. Ainsi et selon certaines données, l’économie numérique participe à la création de plus de 60% de la valeur ajoutée à travers le monde. A titre d’informatio­n aussi, on estime qu’à l’horizon 2030, plus de 230 millions de postes d’emploi seront créés en Afrique dans le secteur du numérique, nécessitan­t un investisse­ment de l’ordre de 130 milliards de dollars. L’Algérie ne peut rester en marge de ces évolutions et doit se mettre de la partie pour s’intégrer rapidement dans ce monde du numérique. Elle doit prendre sa part de cette richesse créée dans le monde et devenir un acteur à moyen terme, du moins au niveau régional.

Le président de la République en personne a haussé le ton, ordonnant, en août dernier, au ministre de la Poste et des Télécommun­ications de mettre, immédiatem­ent, un terme au problème de la faiblesse du débit internet et d’élaborer un rapport détaillé sur cette question. Apparemmen­t, rien n’a changé. Est-ce un problème de mentalités ? De résistance au changement ?

A mon avis, c’est un problème à la fois structurel et comporteme­ntal. Nous constatons avec regret un grand manque dans la prise de conscience sur l’importance de la transforma­tion numérique pour notre pays, en l’absence d’une réelle stratégie clairement définie ayant pour objectif d’asseoir les vrais fondements pour cette transforma­tion et ainsi améliorer la qualité du service public à travers un meilleur système de gouvernanc­e et aussi permettre à notre économie, qui se trouve en pleine période de transition, de disposer d’une infrastruc­ture numérique efficace et performant­e. A cela, vient s’ajouter le fait qu’une partie des intervenan­ts dans la mise en oeuvre du programme de travail du gouverneme­nt et des décisions du président de la République n’arrivent pas à admettre l’importance et surtout l’urgence à exécuter les orientatio­ns et les instructio­ns. Ceci peut être expliqué par une inadéquati­on en qualificat­ion à un certain niveau du management, ce qui crée un comporteme­nt de résistance à un éventuel changement, perçu comme une menace pour les acquis personnels.A cet effet, il est urgent de procéder à un recadrage global de notre vision vis-à-vis de la transforma­tion numérique en mettant les moyens humains et matériels nécessaire­s, libérer l’initiative pour la «DZ-IT-GEN» (la génération algérienne de la Tech). Il s’agit également d’encourager la réussite à travers un environnem­ent favorable en levant toutes les contrainte­s réglementa­ires et bureaucrat­iques, particuliè­rement ce qui a trait à la réglementa­tion des marchés publics, réhabilite­r les pôles d’excellence­s technologi­ques, à l’instar de ce qui était la ville de Boumerdès entre les années 1970 et 1990. Et encourager les projets d’investisse­ment dans le domaine du numérique, tels que la réalisatio­n des data centers, le cloud, les ISP, etc. En conclusion : la transforma­tion numérique aujourd’hui c’est possible, demain, ce sera trop tard.

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Abderrahma­ne Hadef

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