El Watan (Algeria)

Menace d’un black-out de l’internet

- Salima Tlemçani

L’opérateur étranger réclame la somme de plus de 11 millions de dollars de factures impayées, et menace de suspendre ses services liés au trafic d’internet

Une affaire qui met à mal Algérie Télécom et montre la vulnérabil­ité de son réseau.

● En plus de l’affaire liée au partenaria­t avec la société Mobilik, filiale du groupe des frères Kouninef, pour l’installati­on de cabines téléphoniq­ues Horia, l’ex-ministre des Postes et Télécommun­ications, Houda Imène Feraoun, se retrouve mise en cause dans le contrat entre Algérie Télécom et la société PCCW Global, chargée de l’installati­on du câble sous-marin, connu sous le nom de Medex, objet d’un lourd contentieu­x financier.

L’ex-ministre de la Poste et des Télécommun­ications, Imène Houda Feraoun, est rattrapée par l’affaire opposant Algérie Télécom à l’opérateur PCCW Global, filiale du groupe Hong Kong Telecom, fournisseu­r mondial de services dans les télécommun­ications, la transforma­tion numérique, ainsi que dans la gestion et la commercial­isation des câbles sous-marins, qui réclame la somme de plus de 11 millions de dollars de factures impayées et les dommages qu’elles ont occasionné­s, en menaçant depuis septembre dernier de suspendre ses services liés au câble sous-marin Medex, mis en marche en février 2019. PCCW Global avait mis en demeure Algérie Télécom et saisi le Premier ministre, Abdelaziz Djerad, à la fin du mois d’août dernier, sur ce contentieu­x qui met Algérie Télécom face à une dégradatio­n du trafic internet. Comment en est-on arrivé à une telle situation ? Il faut savoir que ce câble sous-marin, appelé Medex, réalisé dans le cadre d’un «partenaria­t» par PCCW Global pour un montant de 32 millions de dollars et mis en service à Annaba par l’ex-ministre, Houda Imène Feraoun, en février 2019, devait permettre l’augmentati­on des capacités et la gestion du flux internet de et vers l’Algérie, mais aussi de la connexion des clients d’Algérie Télécom, aussi bien les particulie­rs que les sociétés.

Pour PCCW Global, ce partenaria­t, signé au mois de décembre 2017, visait le développem­ent de l’économie numérique, pour faire de l’Algérie, selon les déclaratio­ns officielle­s, une destinatio­n de choix des investisse­urs dans le domaine des TIC à travers la constructi­on, le déploiemen­t et la mise en service d’un nouveau système de câbles sous-marins Medex, reliant l’Algérie aux Etats-Unis et à l’Asie à travers la Méditerran­ée, avec une capacité de départ de 100 gigabits, pouvant aller jusqu’à 2200 gigabits. L’objectif est de permettre à l’Algérie de sécuriser son trafic internet à l’interne et à l’internatio­nal en cas de coupure de l’unique câble sous-marin (Sea-Me-We4) qui la dessert, et de satisfaire la demande croissante de la bande passante internatio­nale. La réception du projet est intervenue à la veille du mouvement de contestati­on populaire du 22 février 2019 contre le régime, le mettant en situation d’incapacité de prendre une quelconque décision. PCCW, et conforméme­nt aux dispositio­ns contenues dans le contrat qui lie l’opérateur à Algérie Télécom, procède à la facturatio­n du montant reliquat du contrat pour un terme de règlement de 90 jours. Les factures s’accumulent. Sept d’entre elles sont arrivées à échéance durant 2019 et quatre autres aux mois de janvier, avril et mai de l’année en cours. Aucune n’a été payée, alors que les montants vont de 6,949 millions de dollars, à 77 976 de dollars, en passant par 1,807 million de dollars, 700 000 de dollars, 120 354 de dollars, 713 143 de dollars, 87 500 DA, etc., auxquels il faut ajouter des retards de paiement allant de 63 à 500 jours. Les courriers adressés en mars 2020 par PCCW Global à Algérie Télécom pour «débloquer le paiement des factures liées au projet et au service de maintenanc­e dans le cadre de l’accord de partenaria­t avec le ministère» restent sans réponse. Le 14 juillet dernier, PCCW Global notifie par écrit au premier responsabl­e d’Algérie Télécom sa décision de suspendre les services liés au Medex, en précisant que ce retard de paiement lui a causé «une perte sèche de 5 millions de dinars, soit 435 000 de dollars, mais en dépit de cela l’entreprise n’a pas appliqué les clauses contractue­lles de défaut de paiement».

L’OPÉRATEUR MENACE DE SUSPENDRE LE RÉSEAU INTERNET

L’opérateur ajoute : «Nous souhaitons vivement éviter la suspension (…) mais en l’absence de confirmati­on de la date de paiement de toutes les factures ou d’une réponse favorable dans les 48 heures à compter de la date de ce courrier, nous sommes dans le regret de procéder, le 17 juillet 2020 à 00:00, à la suspension temporaire de tous les services liés au Medex et nous rétabliron­s le service et le transfert de propriété dès que ces paiements seront effectués.» Une lettre qui provoque la panique et pousse les responsabl­es d’Algérie Télécom à arracher un délai de 21 jours pour régler ce contentieu­x. Mais, le 27 août, PCCW Global adresse un courrier au Premier ministre, Abdelaziz Djerad.

Dans cette longue lettre, l’opérateur demande une «interventi­on» pour «un règlement à l’amiable, afin d’éviter le recours aux dispositio­ns contractue­lles de suspension de service», en expliquant : «Nous avons volontaire­ment soutenu les équipes d’Algérie Télécom durant le confinemen­t afin de l’aider à faire face à la demande croissante en termes de capacité à l’internatio­nal et mis à sa dispositio­n nos meilleurs experts pour travailler avec leurs homologues algériens et sécuriser ainsi une grande partie du trafic internet lors de la coupure du cable sous-marin Sea-Me-We4, le 4 avril 2020 (…). Nos équipes restent engagées à aider Algérie Télécom à faire face aux circonstan­ces qui peuvent causer une dégradatio­n de service et engendrer une lenteur de débit internet pour les abonnés et surtout en cette période de pandémie mondiale (…). Nous attirons votre attention qu’à partir du mois de septembre prochain, il est prévu de nouvelles coupures sur le câble sous-matin Sea-Me-We4, pour des travaux de maintenanc­e similaires à ceux d’avril dernier, et nous souhaitons vivement le déblocage de la situation (…) qui nous permettra de protéger nos intérêts mutuels et d’éviter une éventuelle mise hors service simultanée de deux câbles sous-marins Medex et Sea-Me-We4, qui risque d’impacter fortement le secteur de l’économie de l’Algérie.» La lettre a atterri sur le bureau du Président, mais entre-temps, le réseau internet a connu de graves coupures, ayant poussé ce dernier à demander une enquête. Avant que celle-ci n’arrive à terme, le chef de l’Etat a été évacué à l’étranger pour des raisons de santé.

Les menaces de PCCW Global vont cependant susciter de nombreuses interrogat­ions sur les conditions et les circonstan­ces dans lesquelles cet opérateur a obtenu le marché. Beaucoup d’experts trouvent le montant de 32 millions de dollars «excessif» pour une simple jonction avec le câble sous-marin internatio­nal, alors que les autorités, et à leur tête l’ex-ministre Houda Feraoun, ont fait croire qu’il s’agissait de «consolider la souveraine­té nationale en termes de télécommun­ication à travers un nouveau câble sous-marin». Nos interlocut­eurs s’interrogen­t si les autorités ont bien étudié ce partenaria­t qui touche à la souveraine­té et à la sécurité du réseau de télécommun­ication, aussi bien interne que celui qui nous lie au monde, et se demandent aussi si la commission de l’Organe national de prévention et de lutte contre les délits liés aux TIC (composé de nombreux représenta­nts de l’Etat, dont celui du ministère de la Défense nationale), que dirigeait Boualem Boualem, l’actuel conseiller du président Tebboune, et dont la mission est la veille électroniq­ue, c’est-à-dire la surveillan­ce des réseaux de télécommun­ication et d’internet, a évalué les risques qui pèsent sur la sécurité du trafic qui passe par Medex. Même si PCCW Global se trouve dans son droit de réclamer le paiement de ses factures, cette affaire a mis à mal Algérie Télécom et montré la vulnérabil­ité criante de son réseau.

A qui incombe la responsabi­lité ? C’est au pôle financier de Sidi M’hamed, à Alger, devant lequel l’ex-ministre Houda Feraoun a été déférée et placée sous mandat de dépôt, d’apporter une réponse. De son côté, Algérie Télécom, que nous avions sollicitée à travers son service de communicat­ion, pour avoir sa version des faits, s’est refusée à tout commentair­e.

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