El Watan (Algeria)

La classe politique dépassée par les enjeux

NOUVEAU DIALOGUE NATIONAL EN TUNISIE l Acceptatio­n par le président Saïed de chapeauter le dialogue national proposé par l’UGTT l Pas facile de trouver la plateforme pouvant réunir tous les acteurs de la scène politique, plus divisée que jamais l Interrog

- Tunis De notre correspond­ant Mourad Sellami

Le président de la République, Kaïs Saïed, a annoncé mercredi dernier son accord à chapeauter le dialogue national, qui lui a été proposé par la centrale syndicale, UGTT, le 30 novembre dernier. Saïed a toutefois suggéré d’intégrer les jeunes dans ce dialogue, afin de lui donner une autre tournure, à même de servir à réaliser les objectifs de la révolution, qui ont tardé à se réaliser.

L’UGTT s’est dite prête à toutes les modificati­ons, pourvu qu’elles ne touchent pas l’essence de la propositio­n et aux profils de ses acteurs, en rejetant essentiell­ement les corrompus, comme n’a cessé de dire le président Saïed.

Dix années sont passées depuis la chute de Ben Ali. Les airs de liberté sont toujours là. Mais, le salut socioécono­mique espéré tarde à se réaliser. Pis encore, l’économie ne cesse de s’enliser, d’année en année, dans un gouffre aggravé par l’année Covid.

Le pire, c’est que 15 mois après les dernières élections du 6 octobre 2019, l’équilibre gouverneme­ntal tarde à s’installer. La loi des finances a été votée in extremis par une majorité de 110 voix, soit une de plus que les 109 requises. La récente arrestatio­n de Nabil Karoui, patron de Qalb Tounes, second parti politique avec 30 députés, complique davantage l’équation. Le gouverneme­nt Mechichi, à l’instar de ses prédécesse­urs, travaille à la tâche, sans aucune stratégie. Et c’est tout l’Etat qui, à la longue, perd progressiv­ement l’autorité de ses symboles, à un point tel que la Tunisie, 4e producteur mondial de phosphate en importe. La Compagnie des phosphates de Gafsa risque la faillite, puisqu’elle n’arrive qu’à produire la moitié des huit millions de tonnes qu’elle produisait en 2010, avec un effectif qui est passé de 8000 à 20 000 employés. «Les Tunisiens sont surtout appelés à reprendre le travail», n’ont cessé de répéter tous les économiste­s, aussi bien dans le gouverneme­nt que des experts. Donc, dix ans après la chute de Ben Ali, l’économie tunisienne n’arrive pas encore à relever la tête. Et le pire, c’est qu’avec le temps, même la stabilité politique, elle, s’est progressiv­ement perdue, comme c’est le cas en ce moment. En effet, contrairem­ent aux élections de 2011 et 2014, il n’y a pas eu, en 2019, de majorité claire pour l’un ou l’autre des partis politiques. Les islamistes d’Ennahdha sont arrivés premiers à la sortie des urnes, avec 52 sièges sur les 217 de l’Assemblée, soit moins de 25%. Le deuxième parti, Qalb Tounes, qui a obtenu 38 sièges au soir du 6 octobre 2019, ne dispose plus que de 30 députés et risque même d’en perdre encore après l’incarcérat­ion de son patron, Nabil Karoui, pour blanchimen­t d’argent. Cinq autres partis (Ettayar, Chaab, Qarama, Parti destourien libre et Qalb Tounes) et deux groupes parlementa­ires (El Islah, El Watania) disposent du reste de l’ARP, avec de petits blocs de députés ne dépassant guère les 24 membres. Ainsi, le spectre parlementa­ire est très difficile à maîtriser et en extraire une majorité confortabl­e pour tout gouverneme­nt qui veut se prévaloir de réalisatio­ns. D’où le défi de cette initiative de l’UGTT.

Les difficulté­s ont déjà commencé à apparaître en janvier dernier, lorsque le candidat des islamistes à la présidence du gouverneme­nt, Habib Jamli, a échoué à réunir les 109 votes favorables, nécessaire­s à son intronisat­ion. Les députés de Qalb Tounes, vexés de n’avoir pas été associés aux négociatio­ns, ne l’ont pas soutenu. Ennahdha n’avait d’allié que le bloc Qarama et, ensemble, ils n’avaient obtenu que 72 voix. Depuis, la main est passée du parti vainqueur des élections au président de la République. Et c’est le président Saïed qui a désigné El Yes Fakhfakh à la présidence du gouverneme­nt, qui a réuni une majorité hétérogène avec Ennahdha (54), le bloc démocratiq­ue (42), Tahya Tounes (14) et le bloc El Islah (15). Fakhfakh a démissionn­é au bout de cinq mois, suite à une histoire de conflit d’intérêts, qui ne s’est pas avérée réelle. Mais, Ennahdha ne voulait plus de lui parce qu’il s’opposait à élargir la majorité gouverneme­ntale à Qalb Tounes. Les islamistes se sentaient minoritair­es, même avec huit ministères.

Fakhfakh parti, le président de la République désigne Hichem Mechichi, le ministre de l’Intérieur de Fakhfakh, pour le remplacer. Mechichi propose un gouverneme­nt de technocrat­es et obtient une majorité de 134 voix, étant soutenu par Ennahdha, Qalb Tounes, Qarama, Tahya Tounes et El Islah. Toutefois, cette coalition n’avait d’objectif qu’éviter la dissolutio­n de l’Assemblée et la tenue d’élections législativ­es anticipées. Elle n’est pas parvenue à concevoir une loi de finances. Celle qui est passée, l’a été in extremis, avec 110 voix, malgré toutes les mobilisati­ons orchestrée­s par Ennahdha, Qalb Tounes et Qarama. Et comme c’est inconcevab­le de passer ainsi les quatre années restantes de la législatur­e, le président Saïed n’a pas trouvé de justificat­ion à un éventuel refus de l’initiative de l’UGTT, cherchant à garantir un programme viable au gouverneme­nt Mechichi. Autrement, ce sont les législativ­es anticipées avec Abir Moussi, la figure pro-Ben Ali, comme leader annoncé. Perspectiv­es trop floues pour la Tunisie.

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