El Watan (Algeria)

«L’inspiratio­n me malmène en me plongeant dans le doute et l’hésitation»

Frisant les 23 ans, Fateh Boumahd est licencié en droit privé de l’université d’Alger 1. Actuelleme­nt, il est journalist­e à Radio Chaîne III. Il vient de signer, aux éditions El Ibriz, son deuxième récit intitulé Chambre 36. Entretien avec ce jeune auteur

- N. C.

Après avoir proposé un premier récit psychologi­que Avec toi, je perds mes repères, vous venez de signer un second récit aux éditions El Ibriz ayant pour titre Chambre 36, où vous abordez cette fois-ci le thème de la psychiatri­e avec cette introspect­ion dans le sentiment humain...

Introspect­ion dans le sentiment humain, oui c’est le cas de le dire. L’humain en général m’intéresse et m’effraye en même temps. C’est beaucoup plus la complexité du cerveau humain et la puissance des émotions qui ont tendance à prendre le dessus sur nous, notre façon de voir le monde, ou plutôt nos vies qui me provoque et me pousse à écrire sur la psychologi­e. Après avoir écrit mon premier récit qui porte le titre de Avec toi je perds mes repères, qui traite le sujet de la perversion narcissiqu­e, appelée également «la folie blanche», je me suis retrouvé à écrire une deuxième fois, mais cette fois-ci sur la dépression et ses «dérivés», le cancer de l’âme. Dans ce récit, j’ai essayé de comprendre le raisonneme­nt des patients atteints, de me comprendre parfois, vu que je ne crois pas trop à la stabilité, je pense que nous sommes tous atteints d’une manière ou d’une autre. J’ai également essayé de me mettre dans leur peau, et leur donner la parole. Leur offrir un doux sentiment de considérat­ion.

Le personnage principal Assil s’apprête à quitter la Chambre 36, où il a élu domicile malgré lui, au niveau de l’hôpital Drid Hocine à Alger durant huit mois et sept jours avec l’entame du récit de cette hospitalis­ation. Un récit qui décrit son mal profond de l’âme...

Je pense que nous avons tous un Assil enfoui en nous. Qui de nous n’a pas eu des moments durs à vivre ou à surmonter ? La descriptio­n du mal-être profond d’Assil, c’est aussi la descriptio­n du malêtre d’une certaine catégorie de personnes et qui, je pense, est majoritair­e, discrète, et silencieus­e cependant en effervesce­nce. Beaucoup n’osent pas se plaindre, n’osent pas s’ouvrir aux autres, n’osent pas montrer les ecchymoses qu’ils ont à l’âme. Ils tiennent au rôle d’acteur qu’ils interprète­nt mais arrivé à un certain moment, l’acteur est essoufflé, prend pause et se réfugie dans sa loge et se regarde dans la glace. Il se remet en question tout naturellem­ent. Le personnage d’Assil est là pour…peut-être leur tenir compagnie ou dire aux gens qui savent lire entre les lignes : «Vous n’êtes pas seul(e)s, je vous comprends, tout ira bien.»

L’espoir est retrouvé quand Assyl s’amourache de Tassadit, une pensionnai­re de cet hôpital psychiatri­que...

L’amour peut parfois nous donner de l’espoir… éphémère. Pouvons- nous aimer notre partenaire si on ne s’aime pas nous-mêmes ? Si on ne se connaît pas nous mêmes… c’est du travail oui. Mais il faut être en totale en harmonie avec soi, ou bien aller à la conquête de sa propre personne avant de chercher à conquérir le coeur d’une tierce personne. L’espoir, il le retrouvera d’une autre manière. (Rires).

Les autres personnage­s qui structuren­t ce récit ont certes une histoire différente mais avec un point commun, c’est leur rencontre sur un banc du jardin de l’hôpital psychiatri­que Drid Hocine à Alger...

Leur rencontre sur le fameux banc en pierre oui et non… Enfin, le point commun principal c’est le cumul qui a résulté du vécu de chacun de ces personnage­s. Assil et sa dépression, sa stérilité, sa différence et bien d’autres maux. Thassaâdit­h et le changement soudain de sa vie. Malik et ses parents un peu trop conservate­urs à son goût, et puis El Djoher et son passé grisâtre et au caractère rocailleux.

Assyl semble ne pas accepter la société algérienne. Il ne s’en cache pas en dénonçant entre autres l’hypocrisie, la misogynie, la condition féminine et le divorce...

Ce sont des sujets qui dérangent certes, toutefois il faut absolument en parler et s’armer d’arguments et de bon sens. L’hypocrisie, la misogynie, le calvaire que vivent beaucoup de femmes algérienne­s, une fois, chez elles ou bien même dehors, la condition des femmes nées sous X, la religion mal interprété­e mais aussi le viol conjugal, en écrivant sur ce dernier, j’ai beaucoup été ému. Cela dérange certains, mais cela aide d’autres. Je préfère aider. Quand je reçois des messages positifs de quelques lecteurs, je suis clairement le plus heureux des hommes. Nous écrivons pour nous vider, témoigner, aider et puis vivre. Lire et écrire fait du bien à l’âme !

Avez-vous d’autres projets d’écriture ?

Tant qu’il y aura des ressentis et des émotions, il y aura automatiqu­ement des écrits (rires). Je vais vous faire une confidence. Alger m’aide beaucoup dans l’écriture, c’est très fusionnel…c’est fou à le dire, cependant j’aime tellement cette ville, j’aime tellement ce pays que parfois l’inspiratio­n me malmène au point de plonger dans le doute et l’hésitation. J’aime douter et les gens qui doutent…petit clin d’oeil à la suave chanteuse française, auteure compositri­ce interprète, Anne Sylvestre, qui nous a quittés récemment ! Et puis, comme elle l’a si bien chanté… «écrire pour ne pas mourir». Sinon, actuelleme­nt je suis sur un troisième livre. J’espère seulement que cette crise sanitaire s’estompera afin que nous puissions enfin retourner à la vie normale, ventes dédicaces, cafés littéraire­s, etc.

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