«C’est un mensonge légal circonstanciel»
●●L’avocat de l’ancien Premier ministre, Me Benkraouda, a martelé, lors de sa plaidoirie jeudi, que son client a prononcé un «mensonge légal», compte tenu des circonstances de sa détention à Abadla (Béchar).
C’est un procès hautement politique qui restera gravé dans l’histoire de la justice algérienne. Lorsque la justice n’est pas juste, l’injustice est exacte. Rendons justice, réhabilitons ces personnes», a plaidé ce jeudi la défense des accusés dans l’affaire du montage automobile et du financement occulte de la campagne électorale pour la présidentielle de 2019. Après le réquisitoire du procureur général près la cour d’Alger, prononcé mercredi en fin d’après-midi, les plaidoiries des avocats des deux anciens Premiers ministre Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, des ex-ministres de l’Industrie Youcef Yousfi et Mahdjoub Bedda et de l’ancienne wali de Boumerdès Yamina Zerhouni s’étaient poursuivies ce jeudi. Les avocats ont tous contesté le réquisitoire du procureur, à savoir une peine d’emprisonnement de 20 ans à l’encontre de Sellal et Ouyahia, 15 ans de prison ferme pour Bedda, Yousfi et Mme Zerhouni. Considérant «l’absence de liens entre les faits et les préjudices y afférents dans cette affaire», la défense a demandé l’annulation de ce réquisitoire. Mes Mohamed Fatnassi et Mourad Khater ont estimé que leurs mandants Sellal et Ouyahia ne peuvent en aucun être jugés pénalement, dans la mesure où l’acte de gestion, en leur qualité d’anciens Premiers ministres, est souverain et politique. Le doyen des avocats, Me Hadji s’est interrogé si l’acte de gestion est criminalisé.
«Dans le cas des Premiers ministres et des autres ministres, il n’y a pas eu détournement ni blanchiment d’argent, je défie le procureur général de me ramener une preuve concernant un soupçon de corruption ou détournement d’argent. Ces responsables de l’Etat ont pris des décisions allant dans l’intérêt de la nation», lance Me Khater, avocat de Sellal, précisant que son client ainsi qu’Ouyahia n’ont fait qu’appliquer un programme présidentiel adopté par les deux Chambres du Parlement. Il a insisté sur le fait que les décisions du Conseil national de l’investissement (CNI) étaient prises de manière consensuelle par les ministres qui le composaient. Dans ce cas, dit-il, il faudrait juger tout le monde.
La défense des accusés a qualifié de «honteux» l’emprisonnement de tout un gouvernement et le rejet de certaines preuves qui innocentent leurs clients. «Nous sommes devenus la risée du monde entier. A travers ce procès, on nous a imposé un faux débat juridique. On a jeté en prison tout un gouvernement. Du jamais-vu dans l’histoire des peuples. Ils ont exploité la volonté populaire pour frapper des hommes et des femmes qui n’ont commis aucun crime, sauf celui d’être des commis de l’Etat. Ces hommes ontils le pouvoir décisionnel ou sont-ils de simples employés de la Fonction publique ?» s’offusque Me Amine Benkraouda, avocat d’Ouyahia, qui a tenu par la suite des propos des plus ambigus lorsqu’il a tenté de justifier les déclarations d’Ouyahia sur le scandale des lingots d’or. Pour expliquer, rappelons-le, la provenance des fonds retrouvés sur ses comptes bancaires, estimés à 700 millions de dinars, Ouyahia a en effet fait un aveu qui a choqué plus d’un.
Il a affirmé que l’argent provenait de la revente sur le marché noir de lingots d’or qu’il avait reçus comme cadeaux de la part des dignitaires du Golfe en visite en Algérie lorsqu’il était Premier ministre. Ce jeudi, Me Benkraouda a laissé perplexe l’assistance en qualifiant les propos d’Ouyahia de «mensonge légal circonstanciel». L’avocat tient à rappeler que son client a déjà justifié la provenance de l’argent contenu dans son compte lors de l’instruction. «Ouyahia, soutient-il, peut accepter toutes les accusations ou critiques, mais il ne peut supporter qu’on le traite de bandit. C’est un homme intègre.» «On a essayé de le détruire. Il a été envoyé à 1200 km d’Alger, loin de sa famille et de ses avocats. Il est placé en isolement depuis dix mois. Dans ces conditions, on peut dire n’importe quoi», tranche l’avocat persuadé que si son client était sur Alger, il n’aurait pas tenu de tels propos. «Les déclarations liées aux lingots d’or provenaient de la prison d’Abadla de Béchar, où se trouve mon client. Si Ouyahia était ici devant nous, à la cour d’Alger, il n’aurait jamais tenu de tels propos», insiste Me Benkraouda, qui martèle que son client a prononcé un «mensonge légal» compte tenu des circonstances de sa détention. «Si vous l’avez remarqué, Ouyahia a préféré parler de marché noir et non de chambre noire, du 4e étage au lieu du 4e sous-sol.» «Ouyahia, poursuit l’avocat, ne fait pas partie de la îssaba (bande) et l’histoire le rétablira comme elle a rétabli Messali Hadj, Ahmed Ben Bella, Abdelhamid Mehri et tant d’autres...» Sollicité, dans les allées de la cour d’Alger, pour clarifier ce qu’il entend dire par «mensonge légal», Me Benkraouda a refusé d’en dire plus : «Je me limite à cette phrase, je n’irai pas plus loin. L’histoire en jugera.»
Dans leurs plaidoiries, tous les avocats ont demandé réparation. Ils ont évoqué les multiples erreurs judiciaires commises dans le traitement de cette affaire, les enquêtes «bâclées» des services de sécurité et une instruction «superficielle». «Les cicatrices des erreurs judiciaires sont très graves. L’erreur est irréparable car elle laisse des séquelles. Madame la juge, vous êtes en train de juger l’Etat de droit et l’Etat autoritaire. Vous être le juge pénal. Vous êtes en train d’écrire l’histoire, alors réhabilitez ces gens»,a plaidé l’avocat de Mme Zerhouni, l’ancienne wali de Boumerdès. La défense de Sellal a assuré que les «avantages octroyés aux investisseurs l’ont été dans le cadre de la loi», notant que la décision de geler l’importation des kits SKD-CKD, dans le cadre du montage automobile, a été prise afin de «préserver le Trésor public». Plaidant «la bonne foi» avec laquelle Youcef Yousfi a assuré la gestion de ce secteur, Me Fatiha Chelouche a considéré que s’il y avait irrégularités, «les services des Douanes, des Impôts ainsi que l’ANDI et l’APN les auraient signalées à l’époque». Défendant le même client, Me Bekkai a souligné que «si des avantages ont été octroyés aux différents concessionnaires automobiles, ils l’ont été à la faveur de la loi, qui avait encouragé les investissements nationaux dans le secteur automobile».