«Que le président Macron fasse appliquer la loi de 2008»
Réagissant à la décision, mardi, du président Macron de faciliter la déclassification des archives de la guerre d’indépendance de l’Algérie, le fils de Josette et Maurice Audin lui demande de faire appliquer la loi C’est aussi ce que n’ont eu de cesse de
LParis
e président français, Emmanuel Macron, a annoncé mardi la décision d’accélérer la déclassification des documents liés à la guerre d’indépendance de 1954-1962 vis-à-vis de l’Algérie. Les services des archives seraient désormais autorisés à utiliser une nouvelle procédure pour classer les documents des années 1970 et antérieures, qui étaient auparavant tenus secrets à des fins de sécurité nationale, indique l’Elysée. Cela inclut les archives liées à la guerre d’Algérie. Le président Macron «devrait être garant de la loi qui a été adoptée par la représentation nationale» en 2008 et qui dit que les archives sont consultables une fois passé le délai de 50 ans, a réagi sur France Info Pierre Audin, le fils de Maurice Audin, torturé et tué par l’armée française, comme l’a reconnu Emmanuel Macron en 2018. «Il devrait dire tant qu’il n’y a pas une autre loi, c’est cette loi qui s’applique.» En septembre 2018, sur «l’affaire» Maurice Audin, le président Macron «n’a pas seulement reconnu cet état de torture et assassinat, il a aussi annoncé qu’il allait ouvrir des archives pour l’ensemble des disparus de la guerre d’Algérie, en précisant qu’il s’agirait aussi bien des civils que des militaires, des Français que des Algériens. Ça faisait beaucoup de monde pour les huit années de la guerre d’indépendance», a rappelé Pierre Audin sur France Info. «Là, concrètement, au lieu de faire cette ouverture de toutes les archives concernant tous les disparus, il a, en 2019, simplement fait un décret concernant Maurice Audin et rien que lui.» «Et maintenant, on constate que le SGDSN, le secrétariat général à la Défense et la Sécurité nationale, qui est une espèce d’officine secrète qui travaille auprès du Premier ministre, a décidé de ne pas appliquer la loi concernant les archives et de faire une règle administrative très compliquée. La loi de 2008 dit qu’au bout de 50 ans, les archives sont consultables. Il y a quelques exceptions, par exemple des dossiers de santé, des choses comme ça, mais autrement, les archives sont consultables quoi qu’il arrive, qu’il y ait un tampon secret défense ou pas dessus.»
Il ajoute que «ce n’est pas le cas aujourd’hui». «Depuis 2011, le SGDSN a décidé, et il l’applique depuis 2020, qu’il fallait déclassifier chaque papier, c’est-à-dire que si l’administration, l’armée, par exemple, a mis un tampon ‘‘secret défense’’, il faut que l’armée mette un tampon ‘‘déclassifié’’. Si elle ne l’a pas fait, on ne peut pas consulter le document.» Sur l’information concernant l’enlèvement et l’assassinat de son père, il affirme que «personnellement, je serais assez étonné qu’elle y figure, parce que les militaires ont fait tout ce qu’il fallait pour faire disparaître toute trace. A l’époque, quand on disait que quelqu’un s’était évadé, c’était clair que la personne avait été assassinée. Là, dans le cas de Maurice Audin, et je crois que c’est la seule fois, ils ont été jusqu’à la scène de l’évasion. Il y a un militaire qui a joué le rôle de Maurice Audin et ils ont joué la scène de l’évasion devant un civil, de façon à avoir un témoin civil de la chose. Donc, il est tout à fait clair que pour Maurice Audin, il y a peu de chances qu’on en trouve des traces dans les Archives nationales».
«IL FAUT RESTER VIGILANT SUR L’OUVERTURE DE CE CHANTIER LÉGISLATIF»
Pour sa part, l’historienne Sylvie Thénault, citée par Le Monde, considère que «c’est une bonne nouvelle, car cela va accélérer les délais de communication des archives». Elle précise toutefois que cette facilitation de la déclassification concernera surtout le service historique des armées et la direction des archives du ministère des Affaires étrangères, l’impact sur les Archives nationales (où sont rassemblés des documents de sources ministérielles diverses) étant limité. En outre, Mme Thénault met en garde contre le «risque» que la modification législative annoncée par l’Elysée «révise le code du patrimoine dans un sens restrictif». «Il faut rester vigilant sur l’ouverture de ce chantier législatif», confirme Céline Guyon, présidente de l’Association des archivistes français, également citée par Le Monde. Et le quotidien français du soir de souligner que «l’annonce de l’Elysée ne résout pas, en effet, la divergence qui oppose l’Etat et la communauté des historiens et archivistes dans l’analyse de la hiérarchie des normes : là où l’Exécutif évoque la nécessité d’‘‘articuler’’ code du patrimoine et code pénal, les historiens et les archivistes récusent l’existence d’un conflit entre les deux normes en affirmant la ‘‘supériorité du code du patrimoine’’. Aussi l’harmonisation souhaitée par l’Elysée comporte-t-elle le ‘‘risque d’une régression du code du patrimoine’’».
RÉSULTAT D’UNE IMPORTANTE MOBILISATION CONTRE L’ACCÈS RESTRICTIF AUX ARCHIVES
Rappelons que la décision du président Macron a été précédée d’une importante mobilisation en France. En effet, devant l’aggravation de l’accès aux archives, à la suite de la publication d’une nouvelle instruction interministérielle sur le secret défense par arrêté de novembre 2020, un collectif d’archivistes, de juristes, d’historiennes et d’historiens, composé de l’Association des archivistes français, de l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche et de l’Association Josette et Maurice Audin, avait saisi le Conseil d’Etat, dans un nouveau recours du 15 janvier 2021 pour obtenir son annulation. A l’opposé des promesses d’Emmanuel Macron lors de sa visite à Josette Audin en septembre 2018, c’est le contraire qui s’est produit depuis deux ans sous sa présidence, avaient-ils observé. Dans une déclaration du 17 janvier 2021, il affirmait que «loin de se conformer à la loi sur les archives de 2008, ce texte réglementaire (arrêté de novembre 2020) entrave toujours plus l’accès aux archives contemporaines de la nation».
Relayé par une pétition signée par plus de 18 000 personnes, le collectif suscité dénonçait l’accès restrictif à ces archives et précisait que, depuis plus d’un an, l’application systématique de l’instruction générale interministérielle n°1300 (IGI 1300), «un texte de valeur réglementaire conduit à subordonner toute communication de documents antérieurs à 1970 et portant un tampon ‘‘secret’’ à une procédure administrative dite de ‘‘déclassification’’». Et de souligner que «se trouve ainsi bloqué pendant des mois, et parfois des années, l’accès à ces documents et entravés des travaux portant sur certains épisodes les plus sensibles de notre passé récent, qu’il s’agisse des périodes de l’occupation, des guerres coloniales, ou de l’histoire de la IV République et des débuts de la V République». Et «cette procédure est contestable dans son principe même, car la loi prévoit que les archives publiques dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale deviennent ‘‘communicables de plein droit’’ à l’expiration d’un délai de 50 ans, sans qu’aucune autre condition particulière ne puisse être exigée. Tous les documents de ce type antérieurs à 1971 devraient donc être librement accessibles aux citoyennes et aux citoyens en 2021».C’est pourquoi, un recours a été formé une première fois devant le Conseil d’Etat le 23 septembre 2020 pour voir constatée l’illégalité de l’IGI 1300. Mi-novembre, une nouvelle version de cette IGI 1300 est parue, «loin de résoudre le problème identifié dans le recours du 23 septembre, elle réduit davantage encore la communication des archives publiques antérieures à 1971 et fait peser de sourdes menaces sur l’accès à l’ensemble des documents classifiés secret défense à l’avenir». Depuis cette date, de nombreux parlementaires ont été saisis de cette question ainsi que la ministre de la Culture, en charge des archives. Le président de la République, Emmanuel Macron, et le Premier ministre, Jean Castex, ont également été alertés.«Cette nouvelle version de l’IGI fixe de manière arbitraire le périmètre du secret défense en imposant la date de mars 1934 : tout document postérieur à cette date portant un quelconque tampon ‘‘secret’’ doit faire l’objet d’une demande de déclassification auprès des services émetteurs.»Le collectif rappelle que «seul l’accès aux archives, dans le respect de la loi, peut garantir un examen informé et contradictoire de notre histoire contemporaine. C’est aussi une condition indispensable pour répondre à l’appel du président de la République, répété à plusieurs reprises, d’un débat sur le passé colonial de notre pays».Quels types de documents seront à nouveau accessibles et ouverts à la consultation tant des historiens que des chercheurs ? Une question et d’autres encore sur lesquelles nous reviendrons dans une prochaine édition.