Ulac zhar ulac

Jeune, il a longtemps attendu que la fille du quartier dont il était amoureux lui fasse un signe. Elle n’a rien fait et s’est mariée avec un autre homme et il a attendu patiemment plus tard qu’elle divorce. Mais ça ne l’a pas gêné d’attendre, puisqu’en attendant, il attendait son logement depuis qu’il avait déposé une demande il y a 10 ans. Avant ça, il a attendu la vérité sur les tortures d’Octobre 88 et celles qui ont suivi, a attendu la démolition du centre Antar, puis a attendu les réformes de Zeroual, Bouteflika et celles de Tebboune. Il a attendu une voiture qu’il avait payée, mais n’est jamais arrivée à cause de l’incarcération de son constructeur, et il a attendu sa sortie de prison pour la récupérer. Il a vainement attendu que son frère lui pardonne pour lui avoir volé 5 DA par erreur quand ils étaient petits, et il a tout aussi patiemment attendu le retour de son père, censé être parti au café il y a 5 ans. Il a attendu qu’on répare la maison de sa mère où il vivait avec elle dans un vieux quartier de la ville, fissurée par les intempéries et les séismes. Il y a d’ailleurs attendu le téléphone fixe qui n’est jamais arrivé, de même que l’internet, mais il a attendu l’eau qui a fini par arriver, une fois par semaine.

Quand le virus Covid est arrivé, il a compris que c’était une histoire de hasard et s’est dit que comme il n’a pas de chance, il va sûrement être l’un des premiers à l’attraper et mourir parce que la mort n’attend pas. C’est là qu’il s’est dit qu’il ne devait plus attendre mais provoquer le destin. Il a fait des pieds et des mains et a réussi à trouver une place par un très lointain cousin pour se faire vacciner en se faisant passer pour un député, le faible nombre de doses étant réservé à l’élite du pays. Le jour de sa vaccination, il s’est fait renverser par un avion qui roulait en dehors des pistes, parce que les vols sont officiellement suspendus. Mais il est mort en martyr, dignement, et le jour de son enterrement, tout le monde l’attendait au cimetière.