El Watan (Algeria)

Quand nationalis­tes et religieux ont protégé des juifs

LA MOSQUÉE DE PARIS ET LA RÉSISTANCE AU NAZISME n Le rôle joué par les Francs-tireurs partisans algériens dénommés «groupe kabyle» dans le sauvetage de juifs sépharades, particuliè­rement des enfants traqués par l’occupant nazi, en lien avec la Grande Mosq

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LParis a maire-adjointe de Paris en charge du patrimoine, de l’histoire de Paris et des relations avec les cultes, Karen Taïeb, avec laquelle nous avons pris attache nous a affirmé qu’elle a découvert l’histoire d’Abdelkader Mesli à la lecture d’un article de presse.

«En découvrant qu’il avait caché beaucoup de juifs à la Mosquée de Paris avec le soutien de son recteur pendant la guerre, puis qu’il avait fourni des faux-papiers à des juifs à Bordeaux, j’ai été émue.» «J’ai trouvé incroyable qu’on ne connaisse pas son histoire. Je me suis dit que c’était important, non seulement de raconter cette histoire, mais aussi d’honorer cette personne en donnant son nom à une rue de Paris. C’est aussi une façon d’honorer la Mosquée de Paris pour la protection de juifs», nous raconte l’élue de la Ville de Paris qui propose alors au Conseil municipal que le nom d’Abdelkader Mesli soit donné à une des rues de la capitale française après en avoir parlé à Anne Hidalgo, la maire de Paris. «Cette requête a été adoptée à l’unanimité par le Conseil de Paris car l’histoire d’Abdelkader Mesli rassemble. Elle montre qu’il y a une fraternité, une humanité à laquelle nous devons nous raccrocher en ces temps difficiles. Qu’il y a des gens qui se battent pour les autres, en danger, sans regarder leur religion ou leurs origines», ajoute Karen Taïeb, qui souhaite qu’un lieu de la capitale soit dédié à Maimonide et Ibn Cinna (Avicenne). Cette initiative de la ville de Paris, Karen Taïeb l’a annoncée dans l’enceinte de la Grande Mosquée. Il reste qu’une commission qui se réunit deux fois par an devra, courant juin, choisir l’arrondisse­ment et la rue qui portera le nom d’Abdelkader Mesli, «l’idéal serait que ce soit dans le cinquième arrondisse­ment à proximité de la Grande Mosquée». Une fois arrêté, le choix de la commission passera à nouveau devant le Conseil municipal pour être validé, comme l’exige la procédure municipale.

Abdelkader Mesli est né en 1902 à El Khemis. Orphelin, à l’âge de 17 ans, il arrive à Marseille. Son parcours l’amène ensuite en Belgique, puis à Paris. Il est docker, charpentie­r puis employé des mines. Au début des années 1930, il est nommé imam de la Mosquée de Paris. N’étant pas rémunéré pour cette fonction, Mesli continue de travailler, en tant que commercial. Lors de l’occupation allemande, dès 1940, les juifs sont recherchés. Abdelkader Mesli, dans l’équipe du recteur, en abrite quelques-uns et leur délivre des certificat­s de religion musulmane. A d’autres, il fournit des tickets de rationneme­nt.

En 1940, le ministère des Affaires étrangères de Vichy, qui soupçonne la Mosquée de Paris de délivrer de faux certificat­s de confession musulmane, le met en cause. Fin 1942, le recteur de la Mosquée de Paris, Si Kaddour Ben Ghabrit, décide de l’éloigner à Bordeaux avec la mission de représente­r la Mosquée de Paris dans tous les camps d’internemen­t du SudOuest et lui recommande de se tenir sur ses gardes. Dans l’un des courriers qu’il envoie au recteur, Mesli écrit : «Je prends bonne note des recommanda­tions que vous m’adressez au sujet des questions étrangères à ma mission. J’ai toujours agi avec la plus grande prudence.» Dès son arrivée en Gironde, l’imam intègre un réseau de résistance, l’Organisati­on de la résistance armée (ORA). Dénoncé, il est arrêté par la police française dans un restaurant de Bordeaux, le 5 juillet 1944, accusé d’avoir organisé «la réception, l’hébergemen­t et le logement des indigènes nord-africains évadés des camps ou prisonnier­s du départemen­t» ainsi que d’avoir fabriqué de «faux papiers».

Il est interné du 5 juillet 1944 au 9 août 1944 au Fort du Hâ, à Bordeaux. Même sous la torture, il n’a dénoncé ni les familles qu’il cachait ni livré les noms des membres de son réseau. Il est déporté le 9 août dans un des derniers convois, l’horrible «train fantôme». (Pendant 57 jours, interminab­les, ce convoi va acheminer 724 déportés vers l’Allemagne et ses camps de la mort, dont la moitié étaient des étrangers, à Dachau) où il passera un mois, puis au camp de Mauthausen. Lorsqu’il est libéré par les Américains, le 5 mai 1945, il ne pèse plus que 30 kilos comme l’atteste un document que son fils retrouvera plus tard parmi d’autres documents. «Mon père disait avoir eu tous les os cassés dans les camps», raconte celui-ci. Abdelkader Mesli rejoint la région parisienne où il prendra direction de la mosquée et du cimetière musulman de Bobigny jusqu’à son décès en 1960. Il se marie en 1950, a une fille et un garçon.

Le fils d’Abdelkader Mesli, Mohamed, que nous avons joint au téléphone, nous affirme que l’initiative de la ville de Paris d’honorer la mémoire de son père est «une marque de reconnaiss­ance» et qu’il aimerait «partager» l’histoire de son père pour laquelle il éprouve une «grande fierté» parce qu’ «elle montre que dans des époques compliquée­s, les hommes sont capables de dépasser des clivages. C’est important de le savoir surtout dans les temps présents où l’on assiste en Europe à la montée de l’extrême-droite. La Deuxième Guerre mondiale et les dégâts du fascisme, ce n’est pas loin». Ce que Mohamed Mesli voudrait que l’on en retienne c’est qu’«on peut surmonter les barrières, qu’elles soient religieuse­s ou culturelle­s». «Mon père était soufi, c’était un homme très érudit. J’ai retrouvé des lettres écrites de sa main, de très belles lettres, très bien rédigées. Comment en était-il arrivé à cette culture ? Ca m’a toujours interrogé. Comment était-il arrivé en

France ? Pourquoi ? Faire sa vie à travers différents métiers ?»

Enfant, Mohamed, qui avait dix ans à la mort de son père en 1960, se souvient que son père parlait rarement de la période de la guerre, de ses activités de résistant, de sa déportatio­n. Mohamed ne découvrira qu’en 2010 le parcours de son père en prenant connaissan­ce des documents et correspond­ance que contenait une vieille valise dans la maison familiale. «C’est ma femme qui est tombée dessus en 2010, en rangeant la maison où avaient vécu mes parents. Dans le secrétaire de mon père, mort cinquante ans plus tôt, elle a trouvé des centaines de documents. On savait que mon père était imam à la mosquée de Paris pendant la guerre et qu’il avait été déporté, mais c’est presque tout.» «Il faisait des faux certificat­s, il aidait des gens à s’évader et il allait en même temps négocier avec la Kommandant­ur… Il en fallait du courage !», expliquait-il au Parisien et sur France 2, en 2015. «Après la découverte de ces documents, j’ai pris la mesure de la personne qu’était mon père.» Mohamed Mesli ressent alors le besoin de parler « pour montrer que juifs et musulmans sont capables de vivre ensemble, puisqu’ils l’ont déjà fait». Il intervient parfois dans les écoles avec les Bâtisseuse­s de paix. «Mon père était soufi, et cette branche de l’islam repose sur un précepte important : ‘Le pire ennemi de l’homme, c’est l’ignorance’ ».

«Mon père n’était pas quelqu’un qui courait après les titres», il «a continué à aider des gens après la guerre, quelles que soient leurs origines. C’était dans sa nature. Cela faisait partie de sa vie», nous déclare Mohamed Mesli, signifiant que le statut de Juste qu’accorde le mémorial israélien de Yad Vashem à celles et ceux qui ont risqué leur vie pour porter secours aux juifs durant la guerre, il ne le recherchai­t pas pour son père. Si l’on s’en tient à la définition d’un juste «mon père l’était pleinement, reconnu ou pas. Ce qui compte à mes yeux et pour mes enfants, c’est la personne qu’il a été toute sa vie.»

Nadjia Bouzeghran­e

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 ??  ?? La carte de déporté résistant de Abdelkader Mesli
La carte de déporté résistant de Abdelkader Mesli
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Annie-Paule Derczansky

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