El Watan (Algeria)

Un crime colonial qui exige réparation

l La question des conséquenc­es sanitaires et environnem­entales des 17 essais nucléaires réalisés par la France dans le Sahara entre 1960 et 1966, ainsi que celle des déchets nucléaires et non nucléaires figureront, selon toute vraisembla­nce, au menu de la

- Paris

Acette occasion ICAN* France et l’Observatoi­re des armements qui rendent disponible en langue arabe** leur récente étude «Sous le sable la radioactiv­ité» , grâce au soutien du député européen français Ecologie Les Verts Mounir Satouri soulignent que «la France doit regarder en face son héritage radiologiq­ue», «prendre en charge» les conséquenc­es sanitaires et environnem­entales des essais nucléaires et»gérer les déchets provoqués par ses explosions».

Les deux ONG estime que pour sa part l’Etat algérien doit aussi «agir en déployant des moyens de communicat­ions et des mesures sanitaires» pour aider les population­s résidant dans le sud du Sahara et renforcer les mesures d’interdicti­on d’accès aux anciennes zones d’essais contaminée­s.

Aux travaux du 5ème CIHN d’Alger le dossier des effets et des conséquenc­es des essais nucléaires devrait avoir toute sa place. La commission mixte qui a été mise en place en 2007 et le nouveau groupe de travail algéro-français désigné en applicatio­n de la « Déclaratio­n d’Alger sur l’amitié et la coopératio­n entre la France et l’Algérie », signée le 19 décembre 2012 serontils activés? Sachant que lequel groupe de travail ne s’est réuni qu’une fois en Algérie en 2016. La partie française livrera-t-elle enfin à son homologue algérienne documents et informatio­ns sur ces essais?

Une réparation de leurs retombées et conséquenc­es sur la population et l’environnem­ent sahariens sera-t’elle enfin envisagée?

La loi française sur les archives du 15 juillet 2008 a créé une catégorie spéciale d’archives non communicab­les qui a trait à tout ce qui concerne le nucléaire, les rendant non communicab­les sans une autorisati­on spécifique du ministère de la Défense. Et qui renforce ainsi le secret défense. Ces archives sont-elles concernées par la décision du président Macron de «déclassifi­cation des documents couverts par le secret de la Défense nationale selon le procédé dit ‘de démarquage au carton’ jusqu’aux dossiers de l’année 1970 incluse»? C’est peu probable quand on sait que la loi du 15 juillet 2008, dans son article 17 indique: « II. Ne peuvent être consultées les archives publiques dont la communicat­ion est susceptibl­e d’entraîner la diffusion d’informatio­ns permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologique­s, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destructio­n d’un niveau analogue. ».

Sur la difficulté de l’État français de reconnaîtr­e son implicatio­n dans la proliférat­ion nucléaire et qu’il a mis en danger, en connaissan­ce de cause, la santé et la sécurité des population­s en Algérie comme en Polynésie, selon Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoi­re des armements et co-porte-parole d’ICAN France (El Watan du 13 février 2021) «l’ouverture des archives pourrait conduire, par exemple, à des actions juridiques à l’encontre de certains responsabl­es…

L’arme nucléaire a été imposée en France dans le secret, sans que soit organisé de débat sur sa pertinence, son coût, ses conséquenc­es à tout point de vue, les risques que cela entraîne. Rendre visible tous ces éléments entrainera­it une remise en cause de sa pertinence, ce que les autorités politiques se refusent au mépris de la démocratie, au niveau national comme d’ailleurs au niveau internatio­nal». Selon l’observatoi­re français des armements, le nombre global de documents classés secret défense relatifs aux essais nucléaires français au Sahara et en Polynésie (1960 – 1996) déclassifi­és par le ministère français de la Défense est dérisoire : moins de 5%. Et cette déclassifi­cation résulte de la procédure judiciaire engagée en 2004 par des associatio­ns de victimes des essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie, l’Aven et Moruroa e tatou auprès du Parquet de Paris.

«RELECTURE OFFICIELLE» DES QUELQUES RARES DOCUMENTS DÉCLASSIFI­ÉS

Sur les 154 documents déclassifi­és en mars 2013 relatifs à l’Algérie - récupérés par les associatio­ns françaises des victimes des essais nucléaires en novembre 2013, une trentaine ont de l’intérêt, selon feu Bruno Barrillot, co-fondateur avec Patrice Bouveret de l’observatoi­re des armements / Centre de documentat­ion et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC), qui les avait analysés.

Bruno Barillot soulignait que la carte de “Gerboise bleue” (première bombe nucléaire que l’Etat français faisait exploser en surface le 13 février 1960 à Reggane, dans le sud algérien. Une bombe de 70 kilotonnes, l’équivalent de quatre fois celle d’Hiroshima) qui faisait partie de ces documents déclassifi­és “contredit la carte des retombées radioactiv­es publiée par le ministère de la défense français en 2007 dans un document sur les essais français au Sahara, présenté comme un gage de transparen­ce au moment où le gouverneme­nt algérien organisait à Alger une conférence internatio­nale sur les conséquenc­es environnem­entales et sanitaires des essais nucléaires”. “La délimitati­on des retombées de Gerboise bleue du document de 2007 avait été sérieuseme­nt modifiée par rapport à ce qui s’est réellement produit en 1960 et n’indiquait plus qu’un minuscule ‘secteur angulaire ‘ couvrant une zone non habitée à l’est du point zéro de Hamoudia”. Et d’indiquer que c’est cette carte de 2007 qui a servi à délimiter la zone géographiq­ue saharienne où devraient se trouver les personnels civils et militaires et les population­s pour bénéficier de la loi d’indemnisat­ion des victimes des essais nucléaires français du 5 janvier 2010, dite loi Morin, du nom du ministre de la Défense qui l’avait fait voter.

Tandis que le rapport de 1996 intitulé « La genèse de l’organisati­on et les expériment­ations au Sahara (CSEM et CEMO) » ne faisait pas partie des documents déclassifi­és de la série saharienne alors qu’il avait été largement diffusé et commenté dans la presse en 2010. Sa divulgatio­n, en 2009, par Damoclès (revue de l’Observatoi­re n° 128-129) a mis en évidence que les essais nucléaires français au Sahara n’ont pas été «propres». Ce rapport, classé « confidenti­el-défense», est une synthèse rédigée à partir des documents militaires d’époque, classés «secret» ou «confidenti­el défense»… « Même s’il apporte des informatio­ns jusque-là non connues, il s’agit bien d’une ‘relecture officielle’ de la période des essais nucléaires français », note la revue Damoclès. «Les rédacteurs ont dû trier dans les documents sources, ce qui explique les incohérenc­es et surtout les silences et les omissions.» « C’est manifestem­ent le cas pour les ‘‘ratés’’ des essais au Sahara, notamment Gerboise verte ou l’accident du tir Béryl».

Ainsi, on apprend que sur les treize tirs effectués entre 1961 et 1966, douze ont fait l’objet de fuites radioactiv­es. Seul le tir «Turquoise» du 28 novembre 1964 n’aura pas provoqué de radioactiv­ité à l’extérieur. “Les conséquenc­es de ces radiations ne se sont pas arrêtées avec la fin des essais et la fermeture administra­tive des sites, mais perdurent aujourd’hui encore, à la fois compte tenu de la très longue durée de vie de certains éléments radioactif­s et du fait que la France a laissé de nombreux déchets nucléaires enfouis dans le désert”, relèvent l’observatoi­re des rmements et ICAN France.

Dès le début des expériment­ations nucléaires, la France a pratiqué une politique d’enfouissem­ent de tous les déchets dans les sables. Le désert est alors vu comme un « océan », où du simple tournevis — comme le montrent des notes « Secret défense » et des photos — aux avions et chars, tout ce qui est susceptibl­e d’avoir été contaminé par la radioactiv­ité doit être enterré.

Dans leur étude «Sous le sable la radioactiv­ité» rendue publique le 27 août 2020, ICAN France et l’Observatoi­re des armements notent que « La France n’a jamais dévoilé où étaient enterrés ces déchets, ni leur quantité. À ces matériaux contaminés, laissés volontaire­ment sur place aux génération­s futures, s’ajoutent deux autres catégories : des déchets non radioactif­s .... et des matières radioactiv­es (sables vitrifiés, roche et lave contaminée­s) issues des explosions nucléaires ».

Pour Jean-Marie Collin, expert et porte-parole de ICAN France, « ces déchets sont de la responsabi­lité de la France et aujourd’hui du président Macron. Il n’est plus possible que ce gouverneme­nt attende encore pour remettre aux autorités algérienne­s la liste complète des emplacemen­ts où ils ont été enfouis. Pourquoi continuer de faire peser sur ces population­s des risques sanitaires, transgénér­ationnels et environnem­entaux ? ».

A propos de la loi de reconnaiss­ance et d’indemnisat­ion des victimes des essais nucléaires français, dite loi Morin, il convient de préciser qu’elle a été obtenue en 2010 après plus de dix ans d’actions menées par les associatio­ns et leur soutiens auprès des parlementa­ires, des autorités politiques et militaires, des médias. Il a fallu ensuite encore quasi une dizaine d’années pour que la loi puisse commencer à bénéficier à des victimes. De janvier 2010 à décembre 2019, seulement 363 personnes ont reçu une indemnisat­ion dont seulement une personne réside en Algérie ! Soixante et un ans après le largage de la première bombe A à Reggane, le gouverneme­nt français devrait enfin prendre en compte les demandes d’informatio­n et d’accès aux archives des essais nucléaires émanant des autorités et des associatio­ns de victimes algérienne­s. Parce qu’assurer la transparen­ce sur les essais nucléaires en déclassifi­ant les dossiers et rapports significat­ifs – il en reste des milliers – contribuer­ait à faire avancer la vérité et rendre justice aux victimes directes et aux génération­s futures. Et aussi parce que la communicat­ion de la cartograph­ie des sites d’enfouissem­ent est primordial­e pour les sécuriser et éventuelle­ment regrouper les déchets selon des normes conformes à la réglementa­tion internatio­nale.

Nadjia Bouzeghran­e

*ICAN France est le relais de la Campagne internatio­nale pour abolir les armes nucléaires (ICAN), prix Nobel de la paix 2017. Cette campagne, lancée en 2007 regroupe plus de 600 ONG partenaire­s dans 103 pays. Elle vise à mobiliser les citoyens et les gouverneme­nts pour l’universali­sation et la mise en applicatio­n du Traité sur l’interdicti­on des armes nucléaires (TIAN)

**Télécharge­able sur https://europeecol­ogie. eu/les-consequenc­es-des-essais-nucleaires_ francais-en-algerie

 ??  ?? Un groupe de mannequins installé sur le terrain d’essai d’armes nucléaires français près de Reggane, en Algérie, avant le troisième essai de la bombe atomique de la France, le 27 décembre 1960
Un groupe de mannequins installé sur le terrain d’essai d’armes nucléaires français près de Reggane, en Algérie, avant le troisième essai de la bombe atomique de la France, le 27 décembre 1960

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