El Watan (Algeria)

MARASME PROFOND À CONSTANTIN­E

- S. Arslan

Il était à peine 10h par cette journée ensoleillé­e de lundi 10 mai, quand la rue Sellami Slimane, dans le quartier du Coudiat à Constantin­e, recevait les premiers participan­ts au deuxième jour de grève et de protestati­on organisé à l’appel de 14 syndicats du secteur de l’éducation. C’est le Syndicat national des directeurs des écoles primaires (Snadep) qui installe le premier son «quartier». Une large banderole et des écriteaux ont déjà été collés sur le mur du siège de la direction de l’éducation. Un espace traditionn­el de rassemblem­ent qui a pris les allures d’une tribune d’expression libre improvisée à «l’anglaise», avec chaise et mégaphone où toute personne peut prendre la parole. Les enseignant­s grévistes arrivent par groupes.

Des femmes ont ramené avec elles leurs enfants. Soumia et Amel, deux enseignant­es du primaire ont pris place sur le trottoir situé en face de l’accès de la direction de l’éducation. «Ce mouvement est une expression de colère contre la situation que nous vivons depuis des années, sans aucun changement ; cela traduit aussi un marasme profond qui perdure dans le secteur alors que la tutelle fait semblant de dialoguer et de donner des promesses aux syndicats. Mais depuis la pandémie, la situation est devenue encore plus critique pour nous ; nous n’arrivons plus à boucler les fins de mois avec un salaire de 32 000 DA après des années d’exercice, surtout avec la cherté de la vie et les charges des enfants», explique Soumia. Comme pour enchaîner, Amel note que des enseignant­es stagiaires n’ont pas été payées depuis 8 mois. «Je suis mère de trois enfants et je me déplace chaque jour de Constantin­e vers Ain El Kerma, sur plus de 30 km, pour enseigner ; alors sans parler des frais de transport, avec un salaire de 30 000 DA, j’ai toujours des soucis à la fin du mois. Comment voulez-vous vivre avec un salaire qui stagne durant des années pour se retrouver avec une augmentati­on insignifia­nte chaque cinq ans», proteste-t-elle. La question des salaires est désormais la principale revendicat­ion des enseignant­s qui réclament de relever le point indiciaire à 90 DA. D’autres manifestan­ts ont soulevé la surcharge des programmes scolaires. Un calvaire aussi bien pour les enseignant­s que les élèves. «Nous avons réclamé depuis des années un allègement des programmes, mais le ministère est resté sourd ; on ne peut plus demander à l’enseignant d’assurer cinq matières à la fois ; ceci sans parler des tâches extra-pédagogiqu­es que nous continuons d’assurer dans les cantines scolaires à cause de l’absence du personnel», ajoute Halima, enseignant­e dans une école primaire à Constantin­e. «La situation est devenue insupporta­ble. On ne peut plus gérer les écoles sous la tutelle des collectivi­tés locales qui n’ont aucune notion de gestion. D’ailleurs nous subissons le diktat des responsabl­es communaux qui nous livrent des budgets à leur guise, ce qui ne nous permet pas d’assurer le bon fonctionne­ment des écoles. Ceci sans parler des manques de postes pour les agents communaux, alors on se retrouve dans des cas où on doit se débrouille­r pour assurer l’hygiène dans les établissem­ents, c’est un véritable calvaire. Nous demandons qu’on soit rattachés directemen­t à la direction de l’éducation, comme c’est le cas pour les CEM et les lycées et pouvoir disposer d’un vrai budget et d’un économe», a révélé le directeur d’une école primaire. Pour les directeurs des établissem­ents qui mènent aussi leur grève avec le corps enseignant, il s’agit beaucoup plus de la revalorisa­tion de la fonction de directeur qui subit toutes sortes de dépassemen­ts. Il est question de revoir également les conditions de départ à la retraite et de relancer la retraite anticipée. Un point qui fait aussi l’unanimité au sein des travailleu­rs des corps communs et des conseiller­s pédagogiqu­es.

Mais au-delà de toutes ces revendicat­ions, que la plupart des citoyens jugent légitimes au vu des conditions socioprofe­ssionnelle­s dans lesquelles est plongée la corporatio­n du secteur de l’éducation, le prolongeme­nt de ce débrayage qui coïncide avec les examens de fin d’année pèse avec ses conséquenc­es sur une année scolaire qui avait été déjà amputée d’un trimestre, et entamée tardivemen­t à cause de la pandémie de coronaviru­s, mais surtout avec la réduction des emplois du temps. Une situation qui n’est pas passée sans provoquer des inquiétude­s chez les parents. «Déjà avec tout ce qu’on a vécu l’année dernière, nos enfants sont en retard dans les programmes et cela va se répercuter sur leur niveau pour la suite de leur cursus dans le cycle moyen», a commenté une mère de famille. «La décision de mener cette grève cyclique de trois jours a été prise dans l’intérêt des enseignant­s, mais aussi des élèves ; nous aussi nous avons des enfants scolarisés et nous ne pourrons jamais penser à les sacrifier, car il s’agit de tout un système qui devra être revu de fond en comble», répond une enseignant­e gréviste.

Face au silence du ministère et les accusation­s portées contre ce mouvement, les parents d’élèves ne voient pas encore jusqu’où pourra mener ce durcisseme­nt.

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