«Il faudra agir pour limiter les dégâts au plan social»
Le déficit prévu dans la loi de finances complémentaire pour l’année 2021 dépasse les 3300 milliards de dinars, malgré cela les dépenses publiques ont été revues à la hausse. Ne pensez-vous pas qu’il serait judicieux d’être plus rationnel en termes de dépenses en cette période de crise ?
Effectivement, la raison exigerait à la fois de réduire les dépenses et surtout rationaliser les dépenses publiques, cela pose la question des priorités, le train de vie de l’Etat et la pertinence de l’écosystème en général. Ce dernier produit-il de la rationalité économique ou génère-t-il des comportements de gaspillage, de pertes de ressources quand ce n’est pas de la prédation pure et simple mais déguisée sous de nombreux artifices. Il se trouve que le déficit affiché correspond presque au montant de la perte des recettes d’hydrocarbures avec une parité de 1 dollar à 100 DA. Il exprime également l’incapacité presque chronique, voire structurelle à élargir l’assiette fiscale, faute d’une performante et efficiente collecte de l’impôt, malgré un taux de prélèvements relativement modeste au niveau du bassin méditerranéen d’une part, mais aussi et surtout d’une rigidité ancienne, elle aussi presque structurelle, de l’offre nationale de biens et services faute d’une politique incitative d’investissements productifs hors hydrocarbures sous forme de PME à travers le territoire national.
Par ailleurs, il faut peut-être accepter l’idée et le risque de réduire les dépenses publiques avec pour conséquences directes un impact sur le fonctionnement de l’économie et la société.
La question des ressources fiscales doit être abordée en premier lieu sur le terrain de l’économie réelle et ses logiques de fonctionnement et sur le plan de la cohérence du système fiscal comme instrument d’orientation et de financement des dépenses collectives et publiques. La question du taux de prélèvement global est secondaire par rapport à la question de la pertinence de l’écosystème en place. Même avec un taux ridiculement bas, nous aurons toujours de la fraude de l’évasion fiscale, des zones de non-droit, de l’informel, etc.
Les pouvoirs publics n’ont pas donné assez d’explications. Comment comptent-ils faire pour combler ce déficit important ? Quelles sont, selon vous, les alternatives possibles entre les mains des autorités financières ?
Il s’agit de réduire le gap entre nos moyens mobilisables aujourd’hui et nos besoins collectifs incompressibles. Alors, dans une approche mécanique, voire mécaniciste, il faut agir à la fois sur l’ampleur et la nature des besoins et leur hiérarchisation d’une part et la gestion optimale de nos ressources d’autre part.
Pour le premier terme de l’équation ou plutôt de l’inéquation, il faudra limiter les besoins essentiels du pays, de l’économie et de la société, et ne pas céder aux différents lobbies économiques, industriels, commerciaux et autres qui ne voudront pas baisser leur train de vie, leurs chiffres d’affaires, leur activité et qui ne manqueront pas de se mobiliser et peser et au moment où il faudra prendre des décisions, trancher et arbitrer entre tel ou tel besoin, marché ou activité. Il faut accepter l’idée que la vraie facture c’est celle là. C’est maintenant que le pays va payer les effets «hallucinogènes», perverses, voire «criminogènes» par certains dépassements, d’une euphorie factice sans lendemain durable.
Le grand problème est que les alternatives à court terme ne sont pas nombreuses et que les vraies thérapies ou thérapeutiques ne sont efficaces qu’à moyen et long termes ; on ne règle pas des problèmes structurels en un claquement de doigts.
Certains évoquent le retour à la planche à billets comme solution, alors qu’elle a été bannie par les pouvoirs publics. Considérez-vous que c’est envisageable encore ?
Les pouvoirs publics gèrent une situation héritée, certes, mais les conséquences sont trop lourdes pour être traitées par des palliatifs d’urgence, certes, il faudra agir pour réduire ou limiter les dégâts sociaux et économiques subis par la population. Parmi les effets négatifs de la planche à billets, il y a l’inflation qui pénalise les petites bourses ou les revenus fixes. La planche à billets peut être une réponse momentanée pour soutenir la demande des biens et services à forte intégration locale, la valeur ajoutée locale, mais elle va conjuguer ses effets avec ceux de la baisse de la valeur du dinar. L’effet attendu sera une réduction de la demande avec pour conséquence la baisse de la demande solvable pour les entreprises, et la boucle est bouclée, ainsi le piège se referme sur l’ensemble de l’activité économique et sociale. La planche à billets pourra soigner des effets d’une crise structurelle et ancienne, mais pas les causes.
N’est-ce pas le moment de solliciter un prêt extérieur ?
L’endettement extérieur est toujours possible, sauf qu’il obéit à certaines conditions et certains paramètres. Il faut répondre à la fois aux critères de solvabilité et de crédibilité, la capacité de remboursement ne suffit pas à elle seule à déclencher l’obtention d’un prêt, il y a la question de la stabilité sociale et politique, la sécurité juridique, la confiance à l’avenir en la qualité des potentialités à exploiter, à la pertinence de l’écosystème en général, de la qualité de la gouvernance institutionnelle, politique et économique. Outre ces éléments structurels, il y a bien sûr la destination des emprunts, sont-ils destinés à produire de la valeur et des emplois, de l’aménagement du territoire, de la reconquête du marché intérieur, à renforcer le potentiel d’exportation, à soutenir l’impulsion de l’économie de la connaissance, à valoriser les ressources locales.
Par ailleurs, quels types de garanties à offrir ? Quelles concessions faudra-t-il consentir ? L’étape actuelle que traverse notre pays recommande de la vigilance pour ne pas sacrifier le futur des générations montantes sur l’autel des besoins des générations actuelles.