Jeu de bascule dans les discours officiels
L Une commémoration, deux déclarations contradictoires. La célébration de la Journée nationale de la mémoire, qui correspond au 76e anniversaire des massacres du 8 mai 1945 en souvenir des victimes de Sétif, Kherrata et Guelma, n’a pas manqué d’étonner. E
En effet, alors que Abdelmadjid Tebboune a réitéré sa position allant dans le sens partagé outre-mer de réconciliation des mémoires entre Français et Algériens, Ammar Belhimer a réaffirmé, quant à lui, le préalable de repentance pour le règlement du dossier mémoriel.
Dans un message adressé en arabe au peuple algérien et traduit par l’agence de presse officielle, le président de la République a souligné que «l’excellence des relations avec la République française ne saurait exister en dehors de l’histoire et du traitement des dossiers de la Mémoire qui ne sauraient faire l’objet d’aucune renonciation et ses chantiers restent ouverts, comme pour la poursuite du rapatriement des crânes de nos valeureux chouhada et pour les dossiers des disparus, de la récupération des archives et de l’indemnisation des victimes des explosions nucléaires au Sahara algérien». Abdelmadjid Tebboune reste fidèle à sa position éloignant, au nom des Algériens, l’exigence de la repentance, et préférant projeter les relations bilatérales au-delà des contentieux qu’il résume en quelques dossiers qui nécessitent, selon lui, d’être soldés. Le paragraphe suivant est plus explicite. «L’Algérie est disposée à dépasser tous les obstacles, à aplanir toutes les difficultés vers un avenir meilleur et à renforcer le partenariat exceptionnel pour hisser les relations au niveau stratégique, pour peu que soient réunies les conditions adéquates et les dossiers de la mémoire traités avec sérieux et pondération en étant débarrassés des survivances du colonialisme», a-t-il affirmé.
De son côté, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Ammar Belhimer, a adressé aux Algériens un message au nom de l’Exécutif pour marquer la célébration de cette journée placée sous le slogan «La mémoire rejette l’oubli». Sauf qu’au nom de l’Exécutif, M. Belhimer estime que le règlement global du dossier de la mémoire repose, a-t-il soutenu, sur «la reconnaissance officielle, définitive et globale par la France de ses crimes, qualifiés par Macron lui-même de crimes contre l’humanité, la repentance et des indemnisations équitables». Voilà qui tranche nettement avec la position du Président.
L’exigence de repentance, rejetée par l’Hexagone et demeurée l’obstacle majeur dans la normalisation des relations entre les deux pays, divise en Algérie aussi bien dans l’opinion publique qu’au sein du pouvoir. D’ailleurs, la contradiction dans les deux discours officiels peut être l’expression de cette divergence au sommet. Une idée exprimée par le président français, Emmanuel Macron, qui dans un entretien accordé au quotidien Figaro le 18 avril dernier, avait déclaré que la volonté de réconciliation des mémoires entre Français et Algériens est «largement partagée» par son homologue algérien qui doit, cependant, «compter avec quelques résistances». Dans le même entretien, Macron avait qualifié d’«inacceptable» la déclaration de Hachemi Djaaboub, ministre du Travail, selon qui la France reste «l’ennemi traditionnel et éternel» des Algériens.
Difficile de se contenter de cette hypothèse connaissant la subtilité des jeux politiques et le recours systématique aux faux-semblants des deux côtés de la Méditerranée pour la gestion des opinions. La politique a ses raisons. Côté algérien, on ne peut risquer d’exclure l’hypothèse d’une dissonance orchestrée. C’est ce qui expliquerait le recours à deux discours là où celui du président de la République suffit. Dans ce cas, il s’agit d’un partage de rôles entre les deux hauts responsables pour satisfaire les partenaires opposés. La question est de savoir si le discours conciliant de Tebboune ne visait pas à faire avancer les choses avec l’Elysée, pendant que Belhimer servait le sien à la consommation locale pour rassurer les partisans de la repentance. Deux cibles, deux tirs, une réussite ponctuelle pour le pouvoir.