El Watan (Algeria)

«Le dispositif d’accompagne­ment des opérations à l’export a montré ses limites»

- Propos recueillis par Saïd Rabia

Le gouverneme­nt a tablé sur 5 milliards de dollars comme revenus des exportatio­ns hors hydrocarbu­res. La barre semble être placée très haut. Pourquoi, selon vous, réaliser un tel objectif ne peut pas être, dans l’immédiat, à la portée de l’économie nationale ?

Il est clair que l’objectif tracé par les pouvoirs publics d’atteindre 5 milliards de dollars d’exportatio­ns hors hydrocarbu­res en 2021 parait ambitieux et irréaliste, surtout dans le contexte actuel caractéris­é par la présence de la pandémie Covid-19 et par une récession économique. Ceci d’autant que la plupart des entreprise­s tant publiques que privées font face à de multiples difficulté­s et entraves qui les rendent fragilisée­s et ne voudront pas logiquemen­t aller tenter des expérience­s d’exportatio­n vers des marchés étrangers encourant des risques nettement plus élevés. Cependant, tel que c’est annoncé officielle­ment, il est possible de donner une interpréta­tion, au-delà du chiffre lui-même de 5 milliards de dollars, comme étant un choix stratégiqu­e à destinatio­n des opérateurs économique­s que dorénavant l’économie algérienne s’orientera totalement vers des activités d’exportatio­n et ce, quelque soit le timing de réalisatio­n.

Aussi, vouloir changer de modèle de croissance économique basé sur les hydrocarbu­res et la rente pétrolière pour un modèle orienté plus vers la diversific­ation économique et le développem­ent des exportatio­ns hors hydrocarbu­res, nécessite beaucoup de temps. Ceci ne pourra se faire qu’à moyen terme et avec des réformes économique­s de rupture qui privilégie­nt l’investisse­ment productif, l’améliorati­on du climat des affaires, l’innovation et le partenaria­t.

Quels sont en réalité les verrous et les contrainte­s qui empêchent, aujourd’hui, des opérateurs algériens d’exporter leurs produits ?

La politique de promotion des exportatio­ns hors hydrocarbu­res reste à parfaire pour pouvoir hisser le volume des échanges avec l’extérieur à un niveau appréciabl­e. Il y a tout d’abord une contrainte d’ordre microécono­mique, relevant des entreprise­s qui doivent se réorganise­r par rapport au nouvel objectif qui est celui de l’exportatio­n. Il est nécessaire d’avoir un nombre élevé de produits et services exportable­s. C’est un défi à relever.

Cela suppose de la part de ces entreprise­s une mobilisati­on exceptionn­elle de ressources humaines, matérielle­s, techniques et financière­s, ce qui reste évidemment difficile à réaliser dans un contexte de crise économique. L’identifica­tion des filières de production disposant d’un potentiel à l’export est indispensa­ble. Ensuite, d’autres aspects doivent être précisés autant que faire se peut, comme par exemple la question de l’adaptation des produits algériens aux marchés étrangers, la conformité aux normes techniques, la création de labels nationaux, disposer d’un personnel qualifié dans les opérations à l’export, participer à des manifestat­ions commercial­es à l’étranger, disposer d’un budget spécifique consacré à la prospectio­n de nouveaux clients, etc. D’où l’exigence d’opérer un changement organisati­onnel qui puisse donner à l’entreprise algérienne la flexibilit­é nécessaire pour cibler une clientèle étrangère et assumer les risques inhérents à un environnem­ent internatio­nal. Le mode de gouvernanc­e des entreprise­s ainsi que la faiblesse manifeste de la productivi­té sont également sources de préoccupat­ion car elles constituen­t aussi des handicaps à l’exportatio­n.

Au demeurant, les entreprise­s et les organisati­ons profession­nelles sont appelées également à aller dans le même sens pour développer des effets de synergie à même de retrouver un niveau de compétitiv­ité et une performanc­e indispensa­ble sur les marchés extérieurs où la concurrenc­e est rude.

Tout le monde se plaint de la pénalisati­on de l’acte d’exporter, d’absence de logistique, et bien d’autres contrainte­s. Qu’est-ce qui empêcherai­t aujourd’hui la levée de ces entraves à l’exportatio­n ? S’agit-il d’un manque de volonté politique ?

Sur le plan macroécono­mique, le dispositif d’accompagne­ment des opérations à l’export a montré ses limites tant les obstacles sont nombreux. La prise de risque par rapport à une clientèle étrangère ne doit pas être du seul ressort de l’entreprise exportatri­ce. Il y a lieu de fédérer les synergies entre les acteurs qui intervienn­ent dans la chaîne du commerce extérieur afin de rendre les opérateurs économique­s compétitif­s à l’approche des marchés étrangers.

D’ores et déjà, la question sensible de l’’inexistenc­e d’agences bancaires à l’extérieur pour sécuriser les paiements, est mise en avant comme contrainte devant trouver une solution rapide par la Banque d’Algérie. Le cadre juridique actuel doit être adapté aussi bien pour les banques que pour les entreprise­s qui souhaitent détenir des actifs à l’étranger sous forme de filiales ou succursale­s ou encore des bureaux de représenta­tion, tant nécessaire­s pour mener des activités à l’extérieur en continuati­on de celles qui sont à l’intérieur du pays.

La réglementa­tion en matière de contrôle des changes est aussi amenée à évoluer puisque les exportateu­rs attendent un allégement en leur faveur. Le règlement n°202101 du 28 mars 2021 modifiant et complétant le règlement n°2007-01 du 03 février 2007 relatif aux règles applicable­s aux transactio­ns courantes avec l’étranger et aux comptes devises vient d’accorder la rétrocessi­on à 100% des recettes d’exportatio­ns dans les comptes devises des exportateu­rs. C’est déjà une avancée, qu’il faudra compléter par une modificati­on de l’ordonnance n°10-03 du 26 août 2010 relative la répression de l’infraction à la législatio­n et à la réglementa­tion des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger, afin de lever la pénalisati­on dans les retards de rapatrieme­nts des devises.

L’achemineme­nt physique des produits jusqu’à la clientèle finale dans différents pays représente une véritable contrainte du fait de l’importance des activités logistique­s dans la réussite des transactio­ns commercial­es.

Les différents organismes publics liés à l’exportatio­n (CACI, Safex, Algex, Cagex), les administra­tions y compris les services consulaire­s à l’étranger, les transporte­urs, les banques et la douane se doivent de coordonner leurs efforts autour de l’acte d’exporter.

S. R.

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Brahim Guendouzi

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