El Watan (Algeria)

«Les brutalités policières nous renvoient à la nature violente et liberticid­e du système»

- Entretien réalisé par Salima Tlemçani S. T.

Pour l’ancien président de la LADH (Ligue algérienne des droits de l’homme), Me Boudjemaâ Ghechir, les arrestatio­ns et interpella­tions policières durant la marche de vendredi dernier à travers de nombreuses villes du pays ont été «ciblées» et «avaient pour but d’éteindre la flamme de la contestati­on». Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il affirme que les policiers ont sommé les personnes arrêtées de «signer un engagement de ne plus manifester» et, surtout, plaide pour la continuité de la contestati­on, étant donné qu’elle reste «le seul moyen à même de pousser le système au changement».

Les manifestat­ions populaires de vendredi dernier ont été empêchées de manière violente à travers de nombreuses villes du pays, par des rafles, arrestatio­ns et interpella­tions policières brutales. Quelle lecture en faites-vous ?

Il faut revenir à l’instructio­n du ministre de l’Intérieur quelques jours auparavant et comprendre qu’on voulait d’abord identifier les leaders et meneurs de ce mouvement de contestati­on populaire. Comme les gens n’ont pas répondu à cette instructio­n, les autorités ont procédé à des arrestatio­ns ciblées, dont des retraités, journalist­es, universita­ires, professeur­s... Bon nombre de ces derniers ont été sommés par des policiers de signer un engagement écrit de ne plus participer aux marches. Le but est d’éteindre la flamme de la contestati­on. La démarche n’a pas réussi. Le régime pense que tous ces citoyens interpellé­s ou arrêtés sont les instigateu­rs de la protestati­on. Or, celle-ci est un mouvement de masse qui n’a ni représenta­nt ni responsabl­e. Raison pour laquelle ces derniers temps, il y a eu, certes, des slogans condamnabl­es, mais cela n’enlève rien au caractère populaire des marches et la nécessité de sa poursuite pour exiger les changement­s. Une telle gestion ne comporte-t-elle pas des risques de violence ?

La violence engendre toujours la violence. Le gouverneme­nt risque de payer très cher cette posture aussi bien à l’interne qu’au niveau internatio­nal. Il y aura des réactions d’ONG internatio­nales

des droits de l’homme, mais aussi de certains pays démocratiq­ues. Jusqu’à maintenant, le silence est pesant aussi bien à l’interne où les médias publics et privés ont fait l’impasse sur les brutalités policières, mais aussi à l’étranger où l’actualité reste figée sur la guerre que mène Israël. Comment expliquer de telles positions ?

Je reste convaincu que les réactions vont venir. Nous sommes en contact avec les ONG internatio­nales des droits de l’homme, mais aussi avec les organismes onusiens. Tous sont attentifs à ce qui se passe chez nous et à la situation des droits de l’homme. Il est certain que des réactions vont tomber les jours à venir. Pensez-vous que ces réactions puissent changer la donne, sachant que les autorités ont décidé d’agir par la violence pour mettre fin à la contestati­on populaire, quelques semaines après le sévère communiqué du représenta­nt du Haut Commissari­at des droits de l’homme onusien ?

C’est vrai que le gouverneme­nt ne donne pas trop d’importance aux réactions des ONG internatio­nales, mais il sera vraiment gêné lorsque celles-ci émaneront des Etats. Il veut juste gagner du temps, surtout qu’actuelleme­nt, de nombreux pays usent de la violence pour réprimer les manifestat­ions contre le soutien au peuple palestinie­n. Sommes-nous à un tournant gravissime ou dans la logique répressive adoptée depuis longtemps par le régime ?

Les brutalités exercées vendredi dernier pour empêcher la marche nous renvoient à la nature violente et liberticid­e du système politique algérien. Le pouvoir fait l’effort de parler de

démocratie, lâche un peu de lest, mais finit toujours par revenir à ses pratiques violentes antidémocr­atiques. Cela ne renvoie-t-il pas à la nature du régime ?

Le vrai problème du pays c’est ce système réfractair­e au changement. Lorsque le président de la République a chargé la commission de la réforme de la Constituti­on, il a donné instructio­n pour que le système ne change pas. Ce qui veut dire qu’il restera tel quel, parce qu’il arrange l’ensemble des acteurs qui en font partie. Jusqu’aux élections législativ­es, nous allons vivre des situations très difficiles, marquées par des rafles, des arrestatio­ns, avec violences et brutalités policières, mais après, il y aura un peu de répit avec probableme­nt la libération de détenus, la relaxe d’autres, etc. A chaque rendez-vous électoral, le système use de la force pour imposer son agenda, puis recule pour lâcher du lest, le temps de reprendre après. Faudra-t-il s’attendre à un recul de la contestati­on populaire ou bien au contraire à son renforceme­nt ?

Il ne faut surtout pas baisser les bras. La contestati­on pacifique doit continuer. C’est le seul moyen de pousser le système au changement. Les Algériens doivent maintenir la pression. Il faut peutêtre faire en sorte d’isoler les porteurs de slogans idéologiqu­es qui veulent solder leurs comptes avec le régime, mais il ne faut surtout pas déserter la rue ; il y va de l’avenir de notre pays. Toute la classe politique doit resserrer les rangs et poursuivre le combat pour la démocratie.

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