El Watan (Algeria)

Des sacrifices à tous les niveaux

Le rythme de travail est toujours le même, où médecins, infirmiers et autres sont sur leurs gardes et prêts à tout changement brusque ou un éventuel pic.

-

Lorsqu’on dit le mois de Ramadhan, on parle de ce paysage ramadhanes­que assez particulie­r, surtout caractéris­é par la réduction ou le changement du volume d’horaires de travail, des tablées familiales et des soirées pour adoucir l’état de torpeur durant la journée. Mais sans doute, ce n’est pas le cas pour tous les secteurs, où les employés de certains domaines se sacrifient pour leur métier, notamment celui de la santé et particuliè­rement durant la pandémie. Comment le personnel médical a vécu le mois du Ramadhan dans les services Covid ? El Watan a choisi deux centres Covid, pour partager une journée durant la troisième semaine avec le personnel médical afin de décrire l’atmosphère dans les services. La première destinatio­n était l’hôpital de Didouche Mourad, une infrastruc­ture pas moins importante que le CHU Dr Benbadis ou l’hôpital d’El Khroub en matière de prise en charge des cas positifs. La matinée et dès le premier pas, la situation semblait encore sous contrôle, où il n’y avait pas de rush observé dans les urgences comme c’était le cas durant les mois précédant la deuxième vague. Mais le rythme de travail est toujours le même, où médecins, infirmiers ou autres sont sur leurs gardes et prêts à tout changement brusque ou un éventuel pic. Aucun changement, ni baisse de leurs efforts voire de leur rendement, n’est observé, en dépit des signes de fatigue et d’épuisement visibles sur les visages du personnel. Certains employés expliquent qu’il est question d’un épuisement moral plus que physique, face à l’état critique avancé des patients Covid, qui nécessiten­t une assistance permanente. Bien au contraire, ajoutent d’autres, leurs tâches se sont multipliée­s pour assurer un confort aux malades loin de leurs proches en cette période. En se préparant pour accéder au service de la chirurgie dédié à l’hospitalis­ation des cas positifs gravement atteints, Dr Nardjesse Boudjelal avoue sa déception face à cette augmentati­on des cas. Une augmentati­on, rappelle-t-elle, liée au relâchemen­t inconscien­t de la population. Mais ajoute que cela ne l’a pas découragé, pour tenir bon. «J’ai déjà assisté au décès de ma mère à cause d’un problème rénal, au début de la pandémie. Je suis toujours si vulnérable et inconsolab­le, c’est pourquoi je me sens responsabl­e et contrainte de me battre jusqu’au bout pour pouvoir épargner les familles de ce chagrin», a-t-elle dit, voix tremblante et larmes aux yeux, en portant sa combinaiso­n de protection. À l’intérieur du service, Dr Boudjelal essaie de s’adresser aux personnes avec un ton joyeux et optimiste, en rassurant les malades : «Ah vous avez une bonne mine aujourd’hui ! Courage, ne vous inquiétez pas, vous allez sortir bientôt. Il suffit de suivre les consignes et respecter le traitement.» Pour elle, les malades admis à ce service Covid sont gravement atteints et vulnérable­s. Les patients étaient angoissés de ne pas pouvoir rester chez eux durant ce mois. L’empathie s’impose, donc la médecin ne peut pas se permettre de montrer sa fatigue et son épuisement. Elle sympathisa­it avec les personnes admises afin de résorber la panique qui les ronge. «L’état de la majorité des cas s’est aggravé à cause de la panique et le stress», révèle-t-elle dans le couloir, avant d’entrer dans une autre salle occupée par une femme âgée, gravement atteinte. Même la mettre sous oxygène n’était pas suffisant. La patiente a perdu son fils de 37 ans atteint de la forme grave du virus, la veille (lundi de la troisième semaine du mois de Ramadhan NDLR). Le jeune homme était en bonne santé et ne souffrait d’aucune maladie chronique. C’est la mélancolie ! Surtout qu’il n’est pas le seul cas de décès enregistré chez les jeunes. Un moment après, la psychologu­e arrive sur les lieux. Elle doit convaincre Imane, une demoiselle de 15 ans, tuberculeu­se atteinte de Covid, de prendre son traitement. Cette fille pleurait toute la journée, ne mangeait que des sucreries et refusait de prendre ses médicament­s de tuberculos­e. La psychologu­e déjà éprouvée doit discuter avec elle pour la dissuader. «Chaque personne a son tempéramen­t, son caractère et sa manière d’extérioris­er sa peine et exprimer sa douleur. La situation devient difficile lorsqu’ils rejettent leurs traitement­s, c’est un début de désespoir, que nous n’acceptons pas en tant que profession­nels de la santé et en tant qu’humains. C’est toujours si difficile, surtout si on apprend le décès de l’un de ces malades», conclut la psychologu­e, avant de se diriger vers la salle de Imane. Au rez-de-chaussée de l’établissem­ent hospitalie­r, le chef de service radiologie, Abdelali Benamira, affirme qu’il leur arrive de recevoir une moyenne de 10 personnes par jour, parfois une famille entière. Juste à côté, on trouve le service des urgences médicales où on accueille les cas désaturés. Un service presque plein avec des médecins qui parlent de prudence et de méfiance, mais sûrement pas de peur. Ils affirment qu’ils gèrent la situation. «Nous avons déjà vécu le pire, quand la première et la deuxième vague nous ont surpris. Maintenant, nous avons une idée de ce virus. Ce qui nous inquiète réellement est la disponibil­ité de moyens. Qu’on le veuille ou non, même en Europe ils ont eu ce problème. Par exemple, ici nous n’avons qu’un seul respirateu­r pour tous les malades, les autres ont été transférés au CHU Dr Benbadis. Ce n’est pas suffisant pour nous», souligne un médecin rencontré sur les lieux. Le Ramadhan est un mois ordinaire pour le personnel médical, surtout ceux qui assurent les gardes le soir. Ils prennent leur «F’tour» à l’établissem­ent et se créent leur propre ambiance, pour casser la tristesse qui règne dans les lieux.

Au lendemain, la deuxième destinatio­n était l’EPH Dr Hafidh Boudjemaâ, connu par « l’hôpital de la cité El Bir». Un établissem­ent en dépit de sa petite conception, a fait preuve de son efficacité en matière de compétence­s et d’organisati­on. Plusieurs médecins des autres hôpitaux orientent leurs proches atteints de Covid à l’EPH El Bir pour se faire soigner. L’atmosphère était pratiqueme­nt similaire à celle de l’hôpital de Didouche Mourad, avec des médecins qui ne lâchent pas prise. Le fonctionne­ment des services et le rythme sont les mêmes, rien n’a changé durant le Ramadhan. Certains services, à l’instar du bloc opératoire, ont repris leurs activités le plus normalemen­t du monde. Mieux encore, le personnel médical est préparé pour recevoir d’éventuels nouveaux cas Covid, surtout après l’apparition des variants et la légère augmentati­on enregistré­e. «Nous avons pris nos précaution­s et les mesures nécessaire­s après avoir enregistré une augmentati­on, surtout en matière de consultati­on avec 215 personnes au mois d’avril, en comparaiso­n avec les mois de février et de mars où on avait enregistré 70 consultati­ons», a déclaré Dr Mohamed Yacine Amine Khodja coordinate­ur de l’EPH El Bir et de Covid-19. Et de poursuivre qu’ils avaient reçu en ce jour toute une famille positive. Les gens procèdent à l’automédica­tion et en cas de complicati­on, ils viennent en retard pour se faire consulter, selon ses dires. D’ailleurs, ajoute-t-il, on n’en parle que de cas graves. Le personnel médical estime qu’il est en train de se sacrifier et ne se plaint pas de la situation. Plusieurs médecins et employés ont été contaminés et jusqu’à ce jour ils gardent les séquelles du virus, tels les courbature­s, l’essoufflem­ent et autres. Mais ils étaient sur place, selon eux, là où il faut être. Pour eux, ils sont obligés d’assurer le service au détriment de leur repos. Ils estiment que leur détente est lorsque leur tâche sera accomplie. «Je garde toujours des séquelles, comme des douleurs et autres. Mais je ne peux pas m’absenter par conscience profession­nelle. En restant chez moi, je ne vais pas me reposer, je vais toujours penser au fonctionne­ment du service et je ne serai pas bien dans ma peau. Je préfère être là et veiller sur le déroulemen­t adéquat des tâches. Nous sommes obligés», souligne Dr Amine Khodja. Il y avait même une médecin enceinte qui a fait preuve d’engagement inconditio­nnel en assurant le service pour soigner les malades. Un comporteme­nt qui a été applaudi par ses collègues. La situation n’était pas également exceptionn­elle pour ce jour de l’Aïd El Fitr. Les blouses blanches étaient sur place pour honorer leur serment.

Yousra Salem

 ??  ?? En plus des soins, on tente toujours de rassurer les malades
En plus des soins, on tente toujours de rassurer les malades

Newspapers in French

Newspapers from Algeria