Chronologie de la réhabilitation de la déontologie médicale
Le 27 mai 2021, le corps médical (médecins, pharmaciens, chirurgiens dentistes) ira voter pour le renouvellement des instances des Conseils de déontologie médicale. De par ma modeste expérience en matière de déontologie (un des membres de la rédaction du code de déontologie médicale 1990-1992, secrétaire général élu au Conseil de déontologie médicale de la région d’Alger 1993-1994), il m’a semblé opportun et utile de porter à la connaissance des lecteurs du quotidien El Watan, et particulièrement les praticiens du corps médical, l’historique (chronologie) de la réhabilitation de la déontologie dans l’exercice de l’art médical en Algérie, tout en signalant que je ne suis par candidat à ces élections. A l’indépendance, la pratique de l’art médical en Algérie se faisait en référence au code français de déontologie avec ses organes, les Conseils de l’Ordre. Cependant, dès le lendemain de l’indépendance, ces organes ont été mis dans l’impossibilité de fonctionner. Le départ massif des médecins français, le nombre restreint de praticiens algériens (moins de 300), l’élaboration d’une politique nouvelle de santé sont certainement à l’origine de la mise à l’écart des Conseils de l’Ordre, issus de la colonisation. Ils seront abrogés en 1970. L’Etat algérien met en place dans sa phase de construction son cadre juridique institutionnel : le régime du parti unique (FLN) avec ses organisations de masse, en l’occurrence l’Union médicale algérienne (UMA) pour les professions médicales, le code de santé publique (1975, quelques règles déontologiques sont énoncées), le décret «Médecine gratuite» (1975). Ainsi, les prérogatives déontologiques seront partagées entre le ministère de la Santé publique (MSP) et l’UMA parfois de façon harmonieuse, parfois de façon conflictuelle. A la différence des avocats, les praticiens (médecins, pharmaciens, dentistes) ne disposent pas d’un code de déontologie propre, ni d’organes professionnels autonomes (les Conseils de l’Ordre). Durant le début des années 80’, le gouvernement algérien prépare un projet de Loi sur la protection et la promotion de la santé (LPPS) qui doit remplacer le code de santé publique. L’UMA, seule organisation médicale, tentera durant l’élaboration de cette loi de réhabiliter la déontologie. Cette tentative sera un échec puisque la loi LPPS (loi 85-05 du 16/02/1985) énonce dans son article 267 : «Les dispositions relatives à la déontologie seront fixées ultérieurement». Ainsi, à partir de 1985, aucun article juridique faisant force de loi n’existe en matière de déontologie puisque la nouvelle loi, la LPPS, ne mentionne rien sur ce sujet à part l’article 267 cité ci-dessus. Le 13 décembre 1989, après un avis de presse paru dans les quotidiens nationaux invitant les associations médicales et tout praticien sensibilisé au thème de la déontologie à se réunir à la bibliothèque de l’internat du CHU Mustapha, (près de 100 praticiens sont présents à cette réunion), une Coordination nationale de déontologie médicale se met en place le 16 décembre 1989 regroupant l’ensemble des associations professionnelles existantes (25 associations seront présentes). Cette Coordination est présidée par le professeur Bouchouchi (professeur en chirurgie dentaire, CHU Mustapha). Des associations présentes, seules quelques-unes seront actives, pérennes jusqu’au résultat final : la réhabilitation de la déontologie et l’organisation des premières élections (1992). Ces associations sont : le Syndicat national des professeurs et docents en sciences médicales représenté par les Pr Bouchouchi, décédé (chirurgien dentiste), Iskra Benbelkacem (chirurgien dentiste), Brouri (médecin), Merioua (médecin, décédé), Abed (pharmacien), Meradji (chirurgien), l’Association des pharmaciens du Centre représentée par le Dr Bakhti, le Syndicat national des maîtres-assistants et assistants en sciences médicales représenté par les docteurs Bessaha, Belbouab, la Fédération nationale des praticiens privés représentées par les docteurs Terkmane, Misraoui (décédé) Messaï (chirurgien ORL) mort assassiné dans son cabinet quelques années plus tard, l’Union médicale algérienne représentée par le docteur Kebaili (décédé en 2016) et le Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP) représenté par le Dr B. Merad-Boudia. Les praticiens de la coordination vont travailler d’arrache-pied, parfois dans une ambiance houleuse, heureusement tempérée par la sagesse de leur président, le Pr Bouchouchi, durant 5 mois pour élaborer 3 avant-projets distincts de codes de déontologie médicale (médecine, pharmacie, chirurgie dentaire) et 3 avant-projets distincts des Conseils de l’Ordre pour chacune des catégories professionnelles (médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes). La discussion et les négociations entre les différents praticiens membres de la coordination (privés, santé publique, hospitalo-universitaires) ont été ardues, difficiles, notamment dans la rédaction des articles 168 (constitution de 12 Conseils régionaux) ; 181 (nombre des membres de la section ordinale régionale) et surtout les articles 195 (répartition des sièges : 50% privé 50% public) ; 196 (répartition des sièges du secteur public, deux tiers secteur santé publique, un tiers secteur hospitalo-universitaire). Cependant, l’esprit de responsabilité et l’esprit de consensus ont prévalu. Le 18 mai 1990, les avant-projets sont remis lors d’une cérémonie solennelle au ministre de la Santé, le Pr Khedis. Ces avant-projets reflétaient l’expression d’un consensus des différentes associations composant la Coordination nationale de déontologie médicale. La coordination sera entendue le 20 juillet 1990 par la commission Santé et Affaires sociales de l’Assemblée populaire nationale présidée par le Pr Ziari à qui elle exposera ses travaux (avant-projets). Promulgation de la loi 90/17 du 31/07/1990 modifiant et complétant la loi 85/05 relative à la protection et la promotion de la santé (LPPS). Le titre IX de cette loi est intitulé «Déontologie médicale», l’article 267/6 stipule qu’un décret portant Code de déontologie médicale fixera les modalités d’organisation et de fonctionnement du Conseil national de déontologie médicale et les Conseils régionaux. Cette loi, votée par l’APN, ne prévoit qu’un seul code pour les 3 disciplines et qu’une seule organisation pour les 3 catégories professionnelles, contrairement à ce que proposaient les associations médicales de la coordination. Stupeur et consternation gagnent l’ensemble des praticiens qui ont travaillé dur pour la réhabilitation de 3 codes de déontologie, de 3 Ordres professionnels. Cette loi a été votée par l’APN, qui rappelons-le, était composée à cette époque uniquement de députés issus du parti le FLN, le pluralisme à l’APN n’interviendra qu’en 1996, et encore, ce pluralisme avec le temps s’avérera être un pluralisme de façade. Après une phase d’oubli, les membres de la Coordination se remotivent et consacrent leurs travaux à la rédaction du projet de décret d’application de la loi (article 267/6 de la loi du 21/10/97 modifiant et complétant la loi LPPS 85/05). Cette période se caractérise par la nécessité d’une adaptation des 3 avant-projets, initiaux aux dispositions de la loi (1 seul code, un seul Conseil commun pour les 3 catégories : médecine, pharmacie, chirurgie dentaire). Les travaux se dérouleront au ministère de la Santé puis au siège du secrétariat général du gouvernement avec les représentants des différents ministères concernés (Santé, Affaires sociales, Justice, Enseignement supérieur, Défense nationale). La dernière séance de travail a été tenue les 26 et 30 mars 1992 au cours de laquelle le texte définitif du décret portant code de déontologie a été adopté et proposé à la signature du chef du gouvernement. La coordination de façon autonome et à sa demande est reçue par un membre du Haut comité d’Etat (HCE : organe suprême de l’Etat algérien en 1992), en l’occurrence M. Ali Haroun (avocat de profession) qui plaidera la cause de la réhabilitation de la déontologie auprès du chef du gouvernement. Le décret code de déontologie médicale sera signé le 6 juillet 1992 par le chef du gouvernement S. A. Ghozali : décret exécutif n°92-276 du 6 juillet 1992 portant code de déontologie médicale (décret actuellement en vigueur). Août 1992 : en vue d’organier les élections des premiers Conseils, le ministre de la Santé et de la Population (M. S. Babes) crée une Commission nationale désignée «Commission nationale» qui sera présidée par Kara Mostefa Abdelwahab (inspecteur général au ministère de la Santé, décédé). 28 septembre 1992 : un arrêté est signé par le ministre portant création et attributions de la Commission nationale d’organisation des élections. Arrêté du 13 octobre 1992 : cet arrêté définit les conditions et les modalités d’organisation et de déroulement des élections. Notamment l’article 06. 15 décembre 1992 : le ministre annonce la date des élections pour le 21 avril 1993, les convocations pour le vote sont adressées aux électeurs 21 jours avant la date du scrutin conformément à l’article 06 de l’arrêté du 13 octobre 1992). 20 avril 1993 : le chef du gouvernement, B. Abdesslem, à la suite «d’interférences», notamment de l’UMA, suspend provisoirement les élections la veille du scrutin. 23 avril 1993 : réunion au siège du ministère de la Santé : la Commission chargée des élections fait le point sur la situation relative au déroulement des élections et annonce les élections pour le jeudi 28 avril 1993. Le président de l’UMA dépose plainte pour «non respect» de l’article 06 de l’arrêté du 13 octobre 1992. Jeudi 28 avril 1993 : 1res élections des Conseils régionaux de déontologie médicale. 11 mai 1993 : installation du Conseil régional de déontologie d’Alger. 15 juin 1993 : élections du Conseil national de déontologie médicale (séance présidée par le Dr Messai Saïd, mort assassiné dans son cabinet quelques années plus tard) et installation officielle du Conseil national de déontologie médicale au siège de l’INSP, le jour même où le Pr Boucebsi (psychiatre, EHS Drid Houcine) est assassiné. Le Dr Khelil a été élu président. Annulation des élections : le 11 mai 1994, paraît dans le quotidien El Watan un article annonçant une décision de la chambre administrative de la Cour suprême (en date du 8 mai 1994) suite à une requête de l’UMA estant en justice le ministre de la Santé, qui annule les élections du 28 avril 1993. Après cette décision, les Conseils (régionaux et nationaux) sont dissous après une année d’activité des différents Conseils. Les élections reprendront 2 années après (20 octobre 1996 : installation officielle au siège du ministère de la Santé de la Commission nationale d’organisation des élections) : les élections pour les Conseils régionaux (actuellement en exercice) auront lieu le 16 mars 1998, les élections pour le Conseil national auront lieu le 29 mars selon les modalités fixées par l’arrêté n°99/MSP/MIN du 20 octobre 1996. Le Conseil national de déontologie médicale est installé officiellement le 2 avril 1998 au palais de la Culture (Kouba). Le Dr Kheli est élu président. 36 ans après, «la déontologie est rétablie juridiquement». CONCLUSION Cette chronologie peut paraître fastidieuse, à juste titre, pout le lecteur. Pourtant, elle est intéressante à découvrir, car elle révèle le dur combat mené par des praticiens (certains sont décédés), connus ou anonymes, par les associations et syndicats des professions médicales regroupés dans la Coordination nationale de déontologie médicale, ainsi que toutes les embûches dressées devant elle. Le vote du 17 mai pour le renouvellement des Conseils de déontologie médicale va aboutir à l’élection de nouveaux membres au sein des Conseils régionaux, des sections ordinaires nationales et d’un nouveau président du Conseil national. Des défis s’imposent à eux : dynamiser, moderniser l’institution, établir un climat de confiance entre ses membres, être un acteur autonome, indépendant, crédible. Quelques idées personnelles peuvent concourir à relever ses défis : - les nouveaux élus devraient se mobiliser pour changer le titre IX du code de déontologie par une nouvelle loi qui affirmera 3 Codes de déontologies séparés et 3 Ordres professionnels séparés à l’instar de ce qui existe dans tous les autres pays. Un mandat de 4 ans non renouvelable est largement suffisant pour le poste de président. - les Conseils de déontologie devraient disposer d’un siège en dehors de tout établissement public. - le Conseil national et les Conseils régionaux devraient produire au moins une fois par an un bulletin officiel d’informations et d’activités. - un recensement annuel et une cartographie médicale (régionale et nationale) devraient être un objectif obligatoire (nombre de praticiens inscrits ; nombre de praticiens généralistes privés et publics inscrits ; nombre de praticiens spécialistes privés, publics hospitaliers et parapublics inscrits ; décompte des praticiens par spécialité privés et publics inscrits...). Ce travail statistique annuel sera un outil précieux, d’une aide majeure pour tout nouveau praticien, pour les autorités ou les chercheurs. Le président du Conseil national et les présidents des Conseils régionaux doivent intervenir avec la plus grande fermeté en cas d’exercice médical interdit, les exemples n’ont pas manqué ces dernières années (affaire rahmat rabi 2016 , cliniques rokia, etc…). La réhabilitation de la déontologie médicale témoigne de l’effort de la société civile en général et de la société médicale en particulier à participer à la construction d’un véritable Etat de droit, cette réhabilitation n’est pas venue du ciel, elle n’a pas été un cadeau, mais a été l’oeuvre de praticiens engagés volontaires et bénévoles. Un hommage devrait être rendu pour toutes celles et tous ceux, dont certains sont décédés, qui ont arraché et ancré la déontologie dans nos institutions. Notes : Déontologie médicale - Document de base Journal officiel de la République algérienne : J.O.R.A n°35 du 15 août 1990 page 972 («Déontologie médicale») Décret n°92-276 du 06 juillet 1992 portant Code de déontologie médicale. Arrêté du 13 octobre 1992 définissant les conditions et les modalités d’organisation et déroulement des élections des premiers Conseils régionaux et national et déontologie médicale. Tous ces documents ainsi que les résultats des élections sont réunis dans un excellent travail intitulé «Déontologie médicale» publié par le ministère de la Santé publique en avril 1998.