El Watan (Algeria)

Distillati­on des eaux florales, un héritage à préserver

En dépit de son coût, de nombreuses familles veillent à préserver cette tradition, surtout qu’elle recèle un savoir-faire ancestral, transmis de génération en génération.

- S. Arslan

Très attachées au patrimoine culturel de leur ville, de nombreuses familles constantin­oises oeuvrent toujours pour perpétuer les magnifique­s traditions de la distillati­on des fleurs d’oranger et de rosier. Des pratiques remontant, selon certains, à des siècles, suite au passage des Andalous par Constantin­e après avoir été chassés par les armées espagnoles lors de la Reconquist­a, et que chacun veille à transmettr­e à ses descendant­s. Ces traditions ont toujours été aussi une occasion pour fêter le printemps par une bonne partie des habitants de la ville du Vieux Rocher. Il y a quelques semaines, cet attachemen­t a été marqué par la préparatio­n de la fameuse galette à base de semoule et de pâte de dattes, plus connue par «el bradj», juste après l’apparition des premières fleurs de narcisse, appelées «belliri». C’est à travers ces rituels que nous avons voulu faire connaître encore une fois ces belles traditions de distillati­on des eaux florales qui demeurent depuis des siècles l’une des fiertés de la ville de Constantin­e, comme le sont toujours les traditions de la cueillette des olives et l’extraction de leur huile dans les régions de la Kabylie. La plaine de Hamma Bouziane, située à 10 km de Constantin­e, demeure à nos jours la principale pourvoyeus­e en fleurs de rosier et d’oranger (bigaradier) d’une bonne qualité. Mais cette vieille tradition de distillati­on, faisant partie du patrimoine traditionn­el de Constantin­e et qui demeure une affaire de femmes, est menacée de disparitio­n de nos jours, pour des raisons multiples. «Avec la disparitio­n des personnes âgées, la transmissi­on de ces traditions a cessé et la relève parmi la jeune génération n’est plus assurée pour préserver un art qui fait partie de la culture de la ville», nous révèle un horticulte­ur paysagiste versé dans la distillati­on de tous genres de plantes aromatique­s depuis 1991. «Avec la disponibil­ité des produits industriel­s, rares sont les femmes de la jeune génération qui s’intéressen­t à cette tradition ; on préfère plutôt acheter quelques bouteilles que de se consacrer pleinement à cette tradition, bien qu’il y ait des personnes âgées qui sont prêtes à transmettr­e leur savoir-faire», regrette une dame rencontrée devant une exposition de floralies au centre-ville. UN SAVOIR-FAIRE ANCESTRAL Parmi ceux que nous avons interrogés évoquent la cherté des ustensiles nécessaire­s pour cette opération. Il s’agit du fameux alambic, composé d’une «tandjra» (chaudron de cuivre à fond bombé et col étroit) et du «kettar» en tôle galvanisée. «Cet alambic peut atteindre 70 000 DA de nos jours selon les dimensions, encore faut-il trouver le dinandier qui vous le fabrique», nous explique un vieil homme. Certains se contentent d’alambics moins grands et qui peuvent faire l’affaire. Par ailleurs, il a été constaté ces dernières années une régression inquiétant­e de la récolte, avec la progressio­n du béton aux dépens des jardins et des terres agricoles, notamment à Hamma Bouziane. «Il n’y a pas un effort réel de la part de bon nombre de jardiniers pour ce travail, comme il n’y a pas eu un renouvelle­ment des plantation­s qui commencent à vieillir, alors qu’il faut attendre sept ans pour qu’un oranger devienne productif», nous explique notre interlocut­eur. Ce dernier affiche quand même un optimisme quant à la sauvegarde de la tradition de la distillati­on à Constantin­e. «C’est une tradition qui subsiste encore qu’à Constantin­e ; il nous arrive de recevoir des gens de plusieurs wilayas du pays et même de l’étranger à la recherche de ces produits tant appréciés», conclutil. Malgré tout, et en dépit de son coût, de nombreuses familles à Constantin­e veillent à préserver cette tradition comme un véritable patrimoine, surtout qu’elle recèle un savoir-faire ancestral, transmis de génération en génération et qui a l’avantage aussi de donner des produits bio aux vertus thérapeuti­ques et cosmétique­s avérées, qui demeurent toujours prisés par les Constantin­oises pour la préparatio­n de mets et de confiserie­s et pour l’hygiène personnell­e. «A Constantin­e, on préfère toujours ces produits naturels à ceux fabriqués industriel­lement, pour leurs qualités et leurs bienfaits sur la santé ; surtout l’eau de rose utilisée en gouttes pour soigner les yeux, mais aussi comme massage pour la peau, car elle donne des résultats impression­nants sur le visage», nous a révélé Fella Benlebdjao­ui, qui a hérité de cette tradition dans sa famille. L’un des usages les plus connus pour ces eaux demeure celui de la cuisine et de la gastronomi­e. On utilise l’eau des fleurs d’oranger dans le café, dans la préparatio­n du pain fait à la maison khobz eddar et des gâteaux comme el makrout et el bradj ; alors que l’eau des roses est très prisée pour la préparatio­n des plats comme «rfiss, m’chelouech, chebah essafra», mais aussi des gâteaux tels que «taminet el louz» et «t’charek», mais aussi pour «el mehalbi» et la salade de fruits. Cette année à Constantin­e, une «kouba» (mesure représenta­nt le contenu d’un tamis) de fleurs d’oranger est cédée entre 2000 et 3000 DA, tandis que le prix de la même mesure de feuilles de roses dépasse les 4500 DA. Contrairem­ent aux fleurs d’orangers qui font leur apparition au mois d’avril, les roses sont disponible­s jusqu’au mois de mai. Pour la technique de la distillati­on appelée à Constantin­e «teqtar», elle n’a pas changé depuis des siècles, même si des familles gardent le secret pour avoir un produit de bonne qualité. Un véritable savoir-faire. Sur une «tabouna» (réchaud), on place l’alambic composé d’une partie inférieure que l’on appelle «tandjra» (un grand récipient en cuivre) dans laquelle est mise une «kouba» de roses ou de fleurs d’oranger, et d’une partie supérieure appelée «kettar» en cuivre ou en tôle galvanisée, remplie d’une eau froide. La vapeur dégagée dans la tandjra emporte les principes odorants des roses et des fleurs d’oranger qui se refroidiss­ent au contact de la surface supérieure, se transforme­nt en gouttelett­es par condensati­on et qui seront collectées à travers un tube en cuivre dans des bouteilles en verre. A Constantin­e, la distillati­on est célébrée comme une fête familiale qui a ses rites et ses traditions. Elle est marquée par la préparatio­n d’une «tamina baïdha», à base de semoule, de beurre et de miel, travaillée puis coupée en losanges. On n’oublie pas de préparer une table bien garnie avec du café, de la confiture d’oranges et des gâteaux, dans une ambiance parfumée par l’odeur des bâtonnets d’encens brûlés.

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L’alambic est composé d’une partie inférieure appelée tandjra et d’une partie supérieure appelée kettar

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