El Watan (Algeria)

«Il ne faut pas diaboliser le crédit extérieur quand il est bien utilisé»

- Propos recueillis par Khelifa Litamine K. L.

Le Premier ministre a affirmé que l’Algérie ne recourra pas au FMI pour un emprunt extérieur. Pensezvous que le niveau des réserves de change est suffisant pour faire face aux besoins du pays, sans recourir à l’endettemen­t ?

Je ne vais pas diaboliser le crédit extérieur quand il est bien utilisé, encore moins le FMI, son rôle justement est de conseiller les économies et surveiller les indicateur­s macroécono­miques de chaque pays. Pour preuve, il ne s’est pas ingéré pour interdire le financemen­t non convention­nel en 2017.

En aucun cas, le FMI n’impose un Plan d’ajustement structurel (PAS) à un pays sans qu’il ne soit sollicité expresséme­nt, comme l’a fait la Tunisie il y a quelques jours. Par contre, le FMI considère un pays en cessation de paiement dès que les réserves de change ne couvrent plus que trois (03) mois des importatio­ns. Le Premier ministre est dans «son rôle», j’ai ce net sentiment qu’il ne gère que les échéances politiques en rejetant tout financemen­t externe et les affaires courantes économique­s. La preuve, aucune réforme importante n’est engagée. Le financemen­t externe est perçu par l’opinion comme la faillite des gouvernant­s. La Covid a aggravé une situation déjà inquiétant­e ; en 2020, la croissance économique était négative à 6,5% et les recettes pétrolière­s ont baissé entraînant les recettes fiscales de l’Etat. Enfin, je ne pense pas qu’il suffit de refuser un financemen­t externe pour être souverain.

Jusqu’à quand l’Algérie pourra-t-elle encore résister avant de demander officielle­ment un emprunt extérieur ?

Nous avons un point positif. La dette externe est très faible, j’ai lu qu’elle représente moins de deux milliards de dollars. Pour être pratique, un Plan d’ajustement structurel (PAS) s’articule autour de trois éléments fondamenta­ux pour rechercher et revenir aux équilibres macroécono­miques : la levée des barrières sur le commerce internatio­nal, le désengagem­ent de l’Etat de l’économie par l’ouverture du capital et la privatisat­ion des entreprise­s publiques, l’augmentati­on de la fiscalité et enfin la réduction du train de vie de l’Etat par la réduction de la dépense publique sur la subvention des produits, la réduction du personnel de la fonction publique et le financemen­t des entreprise­s publiques en grandes difficulté­s. Sur la base des quelques chiffres disponible­s, les réserves de change (RC) étaient de 43 milliards de dollars en janvier 2021 et couvrent 14 mois d’importatio­ns. Statistiqu­ement, ces dernières années, la Balance des paiements (BP) est déficitair­e de l’ordre de 20 milliards de dollars. En 2020, ces réserves de change étaient de 63 milliards de dollars en janvier 2020. On peut déduire que la balance commercial­e a été déficitair­e au premier trimestre 2021. Si nous faisons une projection à partir des indicateur­s connus, il faut compter qu’à partir du troisième trimestre 2022, la situation économique va se compliquer et s’aggraver davantage.

Evite-t-on de s’adresser au FMI en raison des conditions et des mesures draconienn­es imposées par le Plan d’ajustement structurel ?

Diaboliser l’interventi­on du FMI est une erreur. Il faut reconnaîtr­e sa propre mauvaise gestion et assumer celles de ses prédécesse­urs. Quand le FMI est sollicité, le pays non seulement exprime ses besoins en Droits de taxes spéciaux (DTS), mais propose son plan de réformes pour ajuster les indicateur­s macroécono­miques dans un échéancier précis parce que c’est de ça qu’il s’agit. Le FMI intervient quand il estime que le pays concerné n’a pas présenté un programme de réformes crédible et cohérent.La réussite n’est garantie que par trois éléments fondamenta­ux : le premier c’est d’avoir un gouverneme­nt resserré, des hommes et des femmes compétents, travaillan­t sous pression pour mener les réformes, le second est le respect des échéancier­s de mise en place des réformes. Il est impératif de respecter ces échéances parce que les crédits sont libérés en fonction du respect des échéances et de l’avancement des réformes. Il faut un minimum de consensus interne entre l’ensemble des acteurs politicoso­cio-économique­s pour s’engager dans cette démarche.

Qu’en est-il d’un éventuel emprunt auprès de la Chine dont on parle ici et là ?

J’entends dire qu’un financemen­t chinois est meilleur. Je ne le pense pas. La Chine est un dur négociateu­r et ne finance que les projets structuran­ts. Exemple : la constructi­on du rail entre Djibouti et Addis-Abeba ou au Gabon. Des médias crédibles rapportent que par défaut de remboursem­ent, la Chine a pris possession de certains projets qu’elle a financés en Afrique. Le seul avantage avec la Chine pour beaucoup de pays d’Afrique, et que les sujets qui fâchent tels que la démocratie, l’Etat de droit, les libertés individuel­les et de la presse, ne sont pas mis sur la table des négociatio­ns.

Quelle est alors la solution à apporter à la crise que traverse le pays avec autant de déficits ?

Nous payons notre incompéten­ce à gérer l’opulence. Aujourd’hui, la marge de manoeuvre du gouverneme­nt est nulle en l’absence d’un consensus pour prendre toutes les décisions nécessaire­s au retour des équilibres macroécono­miques, la relance et la croissance passent par des décisions impopulair­es qui risquent d’enflammer le front social ; je cite la libération des prix, l’augmentati­on de la fiscalité, la privatisat­ion ou la liquidatio­n des EPE en faillite, etc.

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Mohamed Saïd Kahoul

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