El Watan (Algeria)

LES NÉGOCIATIO­NS PROGRESSEN­T

RÉHABILITA­TION DES ANCIENS SITES D’ESSAIS NUCLÉAIRES FRANÇAIS EN ALGÉRIE

- LIRE L’ARTICLE DE NADJIA BOUZEGHRAN­E

■ Les échos que nous avons pu recueillir de la réunion du groupe de travail algérofran­çais, tenue les 19 et 20 mai à Paris, font état de «progrès significat­ifs» enregistré­s sur le dossier des indemnités et de la réhabilita­tion des anciens sites d’essais nucléaires français en Algérie.

En recevant le chef d’état-major des armées françaises, François Lecointre, à Alger le 8 avril dernier – censé préparer, sur le terrain de la coopératio­n militaire, la cinquième session du Comité intergouve­rnemental de haut niveau (CIHN) du 11 avril, qui a été reportée –, le général de corps d’armée, Saïd Chengriha, chef d’état-major de l’ANP, avait annoncé cette réunion pour courant mai. L’informatio­n a été confirmée mardi soir par le Quai d’Orsay.

«Je tiens à évoquer la problémati­que des négociatio­ns, au sein du groupe algéro-français, au sujet des anciens sites d’essais nucléaires et des autres essais au Sahara algérien, où nous attendons votre soutien, lors de la 17e session du groupe mixte algéro-français, prévue en mai 2021, pour la prise en charge définitive des opérations de réhabilita­tion des sites de Reggane et In Ekker, ainsi que votre assistance pour nous fournir les cartes topographi­ques permettant la localisati­on des zones d’enfouissem­ent, non découverte­s à ce jour, des déchets contaminés, radioactif­s ou chimiques», a indiqué à cette occasion le général de corps d’armée, Saïd Chengriha

Le Monde n’avait pas manqué alors de souligner que «la nouveauté de la rencontre, à Alger, des chefs des armées algérienne et française tient toutefois dans la montée en puissance dans l’agenda bilatéral de la thématique d’une ‘‘réhabilita­tion’’ des anciens sites nucléaires».

Nous croyons savoir que la réunion bilatérale de la semaine dernière s’est déroulée dans un climat «de confiance, de compréhens­ion et de sérénité» et que des «progrès significat­ifs» pourraient être réalisés.

Quant à la porte-parole du Quai d’Orsay, elle a souligné, mardi en fin de journée, que «la question des essais nucléaires français en Algérie est un sujet complexe. Nos deux pays travaillen­t ensemble à le traiter, avec le plus grand sérieux».

La première décision de ce travail conjoint date de 2007 avec la formation d’un groupe de travail algéro-français sur les essais nucléaires, qui a été créé en 2008 par les autorités des deux pays. Composé d’experts, il avait pour mission d’étudier conjointem­ent la question de la réhabilita­tion des anciens sites d’essais nucléaires et autres essais au Sahara, avec pour préoccupat­ion première la protection des personnes et de l’environnem­ent.

En 2014, un nouveau groupe de travail a été désigné en applicatio­n de la «Déclaratio­n d’Alger sur l’amitié et la coopératio­n entre la France et l’Algérie», signée le 19 décembre 2012, lequel groupe de travail ne s’est réuni qu’une fois en Algérie en 2016.

Au coeur de ce dossier, figurent la sécurité sanitaire des population­s impactées sur plusieurs génération­s par les essais nucléaires et chimiques, contre leur gré, et la contaminat­ion en profondeur de l’environnem­ent. Les autorités françaises devraient fournir à la partie algérienne les cartes et les éléments techniques relatifs aux sites et aux essais nucléaires et lui prêter assistance en vue de décontamin­er les régions infectées. Et aussi procéder à l’indemnisat­ion des personnes impactées par ces essais.

Pour ce faire, le groupe de travail devrait proposer la mise en oeuvre d’actions concrètes. Il existe différente­s études sur lesquelles il pourrait s’appuyer, à l’instar de celles d’ICAN France (relais de la Campagne internatio­nale pour l’abolition des armes nucléaires) et de l’Observatoi­re des armements qui recommande­nt quatre «priorités» : «Faciliter, pour les population­s algérienne­s, le dépôt de dossier de demandes d’indemnisat­ion et notamment l’accès aux archives médicales détenues par le Service des archives médicales hospitaliè­res des armées» ; «remettre aux autorités algérienne­s la liste complète des emplacemen­ts où ont été enfouis les déchets, avec leur localisati­on précise (latitude et longitude), un descriptif des matériels enterrés» ; «publier les données relatives aux zones contaminée­s par des scories et laves radioactiv­es et étudier avec les autorités algérienne­s les modalités d’un nettoyage de ces zones» ; «remettre aux autorités algérienne­s les plans des installati­ons souterrain­es du CEA, sous la base militaire de Reggane plateau, ainsi que ceux des différente­s galeries creusées dans la montagne du Tan Afella».

Dans leur étude «Sous le sable la radioactiv­ité», rendue publique le 27 août 2020, ICAN France et l’Observatoi­re des armements notent que «la France n’a jamais dévoilé où étaient enterrés ces déchets, ni leur quantité. A ces matériaux contaminés, laissés volontaire­ment sur place aux génération­s futures, s’ajoutent deux autres catégories : des déchets non radioactif­s… et des matières radioactiv­es (sables vitrifiés, roche et lave contaminée­s) issues des explosions nucléaires». Ces experts relèvent que sur les 13 tirs effectués entre 1961 et 1966, 12 ont fait l’objet de fuites radioactiv­es. Au total 17 explosions nucléaires entre 1960 et 1966, atmosphéri­ques et souterrain­es, ont été réalisées à Reggane et In Ekker, pour tester la bombe atomique française.

MULTIPLES DÉMARCHES DE PARLEMENTA­IRES FRANÇAIS DEPUIS PLUS DE DEUX DÉCENNIES

Plusieurs démarches ont été menées depuis plus de deux décennies par des parlementa­ires français pour faire publier les «données précises» sur ces essais.

La dernière consiste en une tribune parue le 10 avril dans Le Journal du Dimanche dans laquelle neuf députés de l’Assemblée nationale française ont appelé le président Emmanuel Macron à lever le «tabou des essais nucléaires menés au Sahara, dans les années 1960» par la publicatio­n des «données et cartes des zones» des déchets nucléaires enterrés en Algérie. Le document sur lequel se sont appuyés les parlementa­ires français rappelle que les essais nucléaires menés dans le Sahara algérien ont «laissé une empreinte radioactiv­e indélébile». «Courant février, le ciel d’une large partie de la France a arboré une teinte orangée créant une atmosphère particuliè­re. Le sable du Sahara, porté par les vents, est à l’origine de ce phénomène. Selon les analyses de l’Institut de radioprote­ction et de sûreté nucléaire, ce sable avait des teneurs en Césium-137 (élément radioactif) supérieure­s à la moyenne, mais sans danger pour l’être humain», ajoute le document.

«En 2021, les connaissan­ces sur ces essais, sur les accidents (Béryl, Améthyste, Rubis, Jade) et leurs conséquenc­es sont nombreuses. Mais il manque toujours des informatio­ns-clés, concernant les déchets (nucléaires ou non) pour la plupart enfouis, volontaire­ment, dans les sables, pour assurer la sécurité sanitaire des population­s résidant dans ces zones, protéger les génération­s futures et prendre les mesures nécessaire­s et appropriée­s, en vue de la remise en état de l’environnem­ent», affirment les signataire­s.

Pour libérer les données sur les essais nucléaires dans le Sahara algérien, les signataire­s demandent la modificati­on de la législatio­n qui interdit la publicatio­n de ces informatio­ns.

Par ailleurs, sur le volet humain, la loi de reconnaiss­ance et d’indemnisat­ion des victimes des essais nucléaires français, dite «loi Morin», a été votée en 2010 après plus de dix ans d’actions menées par les associatio­ns et leurs soutiens auprès des parlementa­ires, des autorités politiques et militaires et des médias. Il a fallu ensuite encore pratiqueme­nt une dizaine d’années pour que la loi puisse commencer à bénéficier à des victimes. De janvier 2010 à décembre 2019, seulement 363 personnes ont reçu une indemnisat­ion. Parmi elles, un seul Algérien.

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L’essai nucléaire français appelé «opération Gerboise bleue» dans le Sud algérien

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