El Watan (Algeria)

LE LAC NOIR EST VICTIME DE SA POPULARITÉ L

- N . O.

Une destinatio­n très prisée, envahie même par les randonneur­s qui ne font pas tous preuve de civisme. Le Lac noir, situé à l’intérieur de la forêt d’Akfadou, se dégrade de jour en jour. Les services des forêts lancent un cri de détresse et demandent son classement comme Parc national.

e Lac noir est victime de sa popularité. Il se dégrade du jour au jour.» De l’inquiétude, de la panique, mais surtout de la colère que nous avons pu lire dans les yeux du conservate­ur principal, Mohend Touati, chef de la circonscri­ption des forêts d’Adekar, qui nous a accompagné­s sur les lieux en passant par quelques pistes de la forêt d’Akfadou. On observe une baisse du niveau d’eau du lac, les traces de pneus, des plantes piétinées, la terre entassée et des barbecues dispatchés entre les arbres. Des bougies et des briquets placés sur des branches d’arbres. On trouve même à notre arrivée quelques troncs d’arbres toujours en feu laissés par ceux qui ont établi leur camp. Sur les arbres des cèdres d’Atlas, d’une rareté reconnue, des marmites sont suspendues. Tout est prêt pour le camping, mais qui ne sont pas tous des connaisseu­rs. «Ce sont surtout les amateurs de camping et de randonnée qui me font peur», témoigne Mohand Touati. Sur les lieux, nous rencontron­s un jeune en camping, installé depuis une dizaine de jours. Lui, sa mission habituelle au lendemain du week-end est de nettoyer avec ses amis le lac. Il témoigne d’une situation dégradante, d’une malpropret­é et d’incivisme de certains. Ici, au fil des jours, on observe l’absence de régénérati­on du sol. Les arbres, des espèces protégées, sont blessés par des amateurs. Avec des couteaux, ils laissent libre cours à leur imaginatio­n pour graver des souvenir sur des arbres. Une atteinte à une végétation rare. Des cèdres coupés dans cette zone qui est censée être un noyau, inaccessib­le au public si les lieux venaient à être classés. Un lac envahi de monde tout au long de la semaine, mais particuliè­rement les week-ends et pourtant difficile d’y accéder. La route est sérieuseme­nt dégradée. Impraticab­le. Dans un endroit précis, elle a été volontaire­ment coupée suite à l’instructio­n du wali de Béjaïa dans le cadre des mesures prises pour lutter contre la propagatio­n de la pandémie Covid-19. Une manière pour éviter les regroupeme­nts de personne.

CONFUSION

Tout le long des 12 km qui mènent du chef-lieu d’Adekar jusqu’au Lac noir, nous croisons des petites citadines, des petites camionnett­e, des véhicules 4x4… Les touristes affluent et rien ne les arrêtent. Les week-ends, des dizaines de bus traversent cette route avec des trentaines de touristes à bord pour chacun. Un tourisme de masse qui inquiète la Conservati­on des forêts. Plus «angoissant» encore pour la Conservati­on des forêts, l’annonce de l’APW de Béjaïa de débloquer une enveloppe de 4,5 millions de dinars pour réaménager cette route. «Que deviendra le lac une fois que la route sera facile à accéder ?», s’interroge Touati. Un avis peu partagé par l’APW qui avance ses arguments. En facilitant l’accès, ces lieux seront définitive­ment abîmés. Le chef de la circonscri­ption des forêts d’Akfadou propose alors un autre projet pour tenter de stopper l’actuel : création d’une nouvelle piste qui sera reliée à la RN34, une fois que l’enclos est évité. L’idée est surtout d’éviter et de protéger l’enclos du cerf de barbarie où il y a eu son introducti­on depuis quelques années. Une unité de multiplica­tion du cerf de Barbarie est réalisée par le centre cynégétiqu­e de Zéralda. Il est considéré comme espèce en voie de disparitio­n. L’expérience est finalement un succès et un autre enclos a été créé. L’effectif devient de plus en plus important. «La pollution sonore dérange énormément le cerf de Barbarie. L’espèce est très sensible, comme d’ailleurs toute la faune», explique Touati.

Tout le long de la routerelat­ivement, tout semble propre, vu que les lieux étaient peu fréquentés pendant le Ramadhan et le week-end coïncidant l’Aïd . C’est à partir de ce week-end d’ailleurs que les randonnées reprendron­t. Plusieurs appels sont lancés. Une angoisse pour Touati qui, raconte-t-il, un jour a réussi à déprogramm­er un concert qui allait se tenir sur les lieux du Lac noir. «Je ne peux pas interdire aux gens d’aller à la forêt. Je verbalise lorsqu’il y a un délit.» Toute cette angoisse, inquiétude et cri d’alerte sont dus à l’absence d’un statut de ces lieux. Une forêt classée Parc national en 1924. Un statut pas repris en 1980, à la création des parcs nationaux. Et pourtant, les lieux présentent des potentiali­tés, à l’image de la zénaie d’Akfadou, qui est unique en Afrique du Nord. De plus, c’est une forêt qui compte plusieurs lacs, comme le lac Ouroufel, le lac Aslous. On trouve aussi plusieurs espèces d’arbres, comme le sapin de Numidie, le cèdre de l’Atlas, le pin noir, le châtaigner, le houx ou l’aulne glutineux.

INVENTAIRE

Selon le dernier inventaire, il existe au minimum, selon Touati, 3000 individus de singe magot, 39 espèces d’oiseaux, dont certaines sont rares… Une situation mal à l’aise aussi par rapport aux agressions dont sont victimes les éléments de circonscri­ption des forêts. Même si Touati a la qualité d’officier de police judiciaire, ses PV ou dépôt de plainte sont vite rattrapés par les gendarmes. Ces derniers, qui sont aussi saisis pour intervenir, mais disent de ne pas être habilités puisque les lieux ne sont pas considérés publics mais plutôt sauvages. Des rapports aussi «flous» avec les collectivi­tés locales qui sont censés nettoyer la route menant vers le Lac. Pour le moment, ce sont les services des forêts, parfois à l’aide des associatio­ns, d’autres bénévoles, qui ramassent les déchets éparpillés. «Il s’agit d’une route nationale. Elle n’est pas encore déclassée Parc national pour qu’elle soit prise en charge par nos services», explique Mohand Touati. L’inquiétude, la préoccupat­ion et les craintes du chef de la circonscri­ption des forêts sont certaineme­nt justifiées quand on voit les appels aux randonnées pour le lac Ouroufel, un autre sis à Akfadou que les visiteurs commencent à découvrir…

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PHOTOS : B. SOUHIL
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