Rêves et ambitions
Abderrazak Makri n’a jamais été aussi euphorique, finie pour lui la longue traversée du désert de ces dernières années, son parti, le MSP, il le voit grand gagnant des élections législatives du 12 juin prochain. Il n’exclut nullement d’être le futur chef de gouvernement en vertu de la nouvelle Constitution qui permet au président de la République de désigner à ce poste le leader de la formation politique disposant le plus de sièges à l’APN. Abderrazak Makri n’hésitera pas à tisser des alliances avec d’autres partis islamistes et même des «indépendants», pour peu que ces derniers partagent la même doctrine politique. Ils ne l’aiment pas et détestent le MSP, mais ils préfèrent les voir eux au sein du pouvoir, plutôt que les sans-idéologie ou, encore moins, les démocrates. Au sein de la mouvance islamo-conservatrice, bien réelle dans le paysage politique et sociologique du pays, on se serre les coudes lorsqu’il s’agit d’idéologie et de conquête du pouvoir politique. Le but final, partagé par tous, est d’arriver à extirper de la société algérienne tout ce qui est considéré comme éloigné du dogme religieux et ce qui est vu comme «importé» de l’extérieur, principalement de l’Occident. En d’autres termes, il s’agira pour les islamo-conservateurs d’aller plus loin en Algérie, d’«approfondir» tout ce qui a déjà été fait en ce sens ces dernières décennies, spécialement dans l’école, la culture, les comportements et les habitudes des citoyens et, bien entendu, le durcissement du dogme religieux. Pour cela, quoi de mieux que d’utiliser la loi, c’est-à-dire le Parlement qui a le pouvoir contraignant sur tout le monde, en premier les institutions étatiques. Le président du MSP ne s’arrête pas en milieu de chemin, compromission, entrisme, opposition de façade, tout est bon pour assouvir son ambition et celle de son camp, il le cache à peine, le Graal étant d’occuper, après le poste de chef de gouvernement, le palais d’El Mouradia. La nouvelle Constitution lui donnera d’énormes atouts pour agir sur le terrain et faire basculer l’Algérie vers la sorte d’Etat islamique dont il rêve. Devenir un Erdogan algérien, c’est le rêve qu’il partage avec bien des leaders islamistes. Est-ce que le pouvoir politique en place est conscient de cela ? Peut-être oui en pensant au Sénat, cette sorte de «contre-pouvoir» parlementaire, jusque-là allié de l’Exécutif, conçu depuis l’époque de Liamine Zeroual pour brider les velléités des islamistes. Encore faut-il que la future composante du Sénat accepte de jouer ce rôle et s’éloigne des sirènes de l’islamo-conservatisme, ce qui n’est pas évident, compte tenu du poids qu’il a pris ces derniers temps au sein de la classe politique et, d’une manière générale, dans la société algérienne. Dans tous les cas de figure, ce sera un rempart bien fragile. La seule vraie parade est le bloc des démocrates, dans leur diversité et leur pluralité, partis ou indépendants. C’est ce qui se fait dans les pays développés lorsque la démocratie est menacée par les extrémistes, en période électorale ou pas. Les autorités n’ont pas su se doter d’une stratégie intelligente consistant à se rapprocher et convaincre les démocrates de s’impliquer dans les élections parlementaires et à pointer le danger réel, latent depuis l’aventure de l’ex-FIS. L’absence de dialogue a abouti au boycott par les démocrates du scrutin du 12 juin, laissant la porte ouverte à tous ceux qui, partis ou «indépendants», baignent dans l’islamo-conservatisme. Seul le Mouvement Rachad a été ciblé, alors que tous partagent les gènes de l’ex-FIS, ne se différenciant que par la tactique et le timing. L’après-12 juin risque d’être amer pour la société algérienne qui a encore en mémoire les lendemains de la victoire écrasante de l’ex-FIS. Peut-être que la violence ne sera pas à l’ordre du jour, mais ce sera un véritable saut dans l’inconnu.