Macron reconnaît la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsi
VISITE DU PRÉSIDENT FRANÇAIS AU RWANDA l Après 27 ans de relations froides entre la France et le Rwanda, Paris vient de reconnaître sa qui a coûté la vie à plus d’un million de Tutsis en 1994.
CParis
’est le président Macron, luimême, qui l’a déclaré jeudi lors d’une visite historique au pays des Mille Collines. «Je viens reconnaître nos responsabilités dans le génocide des Tutsi»,a déclaré le président français, dont le pays cherche depuis des années à renouer les contacts avec Kigali. M. Macron n’a, en revanche, pas présenté ses «excuses».
Il a ajouté lors d’un discours que «les tueurs qui hantaient les marées, les collines et les églises, n’avaient pas le visage de la France. Mais la France a un rôle, une histoire, une responsabilité politique au Rwanda. Elle a un devoir : celui de regarder l’histoire en face et de reconnaître la part de souffrance qu’elle a infligée au peuple rwandais en faisant trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de vérité».
Source de tension depuis plusieurs années, le Rwanda a toujours accusé l’armée française de n’avoir rien fait pour empêcher l’assassinat de près de 800 000 Tutsi par des Hutus. S’en est suivi des années de froideur entre Paris et Kigali qui a décidé de prendre son destin en main, en opérant un changement radical dans ses relations diplomatiques avec la France.
Ainsi, pour marquer son détachement définitif de Paris, le président Paul Kagamé a opéré des réformes économiques et sociales structurelles d’une grande importance.
Il a amarré l’économie de son pays à celles des pays anglo-saxons, transformant ainsi le Rwanda en eldorado économique avec une croissance qui a atteint au plus fort les 8 à 10%. Parallèlement à cela, le Rwanda a décidé de prendre ses distances avec la sphère francophone et d’instituer l’anglais comme langue officielle à la place du français.
Un coup durement ressenti par Paris qui, depuis, fait les beaux yeux à Kigali dans l’espoir de gagner quelques marchés.
Nicolas Sarkozy, lorsqu’il était président, a déjà tenté de se rabibocher avec Paul Kagamé. Cependant, ce dernier est resté insensible aux appels du pied de Paris, préférant ouvrir une nouvelle page de coopération tous azimuts avec l’Angleterre, les Etats-Unis et l’Afrique du Sud. Pour Emmanuel Macron, la France a trop perdu de temps et de parts de marché dans un Rwanda en pleine reconstruction. Sa visite, en plus d’être politique, est aussi une occasion pour glaner quelques contrats. La preuve est qu’il était accompagné par plus de dix patrons du CAC 40. Visiblement gêné aux entournures, Emmanuel Macron a demandé aux Rwandais pardon pour l’inaction de l’armée française durant le génocide qui a duré trois mois. «Reconnaître notre responsabilité (celle de la France, ndlr) est un geste sans contrepartie : exigence envers nous-mêmes et pour nousmêmes, dette envers les victimes après tant de silences passés, dons
«responsabilité dans le génocide rwandais»
envers les vivants dont nous pouvons, s’ils l’acceptent, apaiser les douleurs.» Il a enchaîné : «Ce parcours de reconnaissance, à travers nos dettes et nos dons, nous offre l’espoir de sortir de cette nuit et de cheminer ensemble. Sur ce chemin, seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner.»
Emmanuel Macron a visité le musée des victimes du génocide où il a prononcé un discours qualifié de «poignant» et de «vérité».
Lors d’une conférence de presse conjointe, le président Kagamé a estimé que «le discours de Macron avait plus de valeur que des excuses, le qualifiant même d’immense courage». Pour rappel, le président Macron avait déclaré le 18 mai dernier, lors du sommet FranceAfrique, qu’il avait «à coeur d’écrire une nouvelle page» avec le Rwanda. De son côté, le président Kagamé avait estimé qu’une «bonne relation avec la France était désormais possible» à la suite, notamment, de la publication du Rapport Duclert. Celui-ci impute des «responsabilités lourdes et accablantes» aux autorités françaises dans le génocide rwandais.
En 2006, le Rwanda a coupé ses relations diplomatiques avec la France en conséquence des démêlés judiciaires qui ont visé même le président Kagamé, dans le cadre de l’attentat du 6 avril 1994 ayant causé la mort de l’ex-président du Rwanda, Juvénal Habayarimana, et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira. Mais désormais, les deux capitales veulent enterrer la hache de guerre et donner un coup de chaud à leurs relations bilatérales. La France voit dans le Rwanda un grand marché prospère, tandis que Kigali souhaite profiter du savoir-faire français dans le domaine technologique. Qualifié de «Suisse de l’Afrique», le Rwanda a connu une métamorphose multisectorielle. Le pays des Grands Lacs jouit d’une position stratégique en Afrique, avec une croissance qui a dépassé les 8% en moyenne entre 2010 et 2018 et une population dont la majorité (60%) a moins de 25 ans. Possédant de nombreuses richesses minières (or, étain, diamant) et coton, en plus de la culture du thé, le Rwandas a toutes les chances de devenir le nouvel eldorado de l’Afrique. C’est, entre autres, pour cela que Paris veut tourner vite la page du génocide…
Yacine Farah