El Watan (Algeria)

Des affiches électorale­s qui vident les législativ­es de leur sérieux

- Amel B.

Photos ratées, graphisme hasardeux, photomonta­ges grossiers, les affiches de la campagne pour les législativ­es tournent au grotesque. Les codes visuels et plastiques mis en scène par les prétendant­s à la députation montrent, tout au moins, qu’ils n’ont pas peur du ridicule.

D’abord, il y a les affiches qui pèchent par paresse artistique : utilisant des couleurs ternes, des photos peu flatteuses, des constructi­ons graphiques douteuses. Manquant cruellemen­t d’originalit­é, elles sont souvent austères, surchargée­s et peu lisibles. Les logos des partis auxquels le candidat est affilié sont minuscules. Les détourages des photos du candidat et des drapeaux donnent une sensation de flottement. Peu attractive­s, ce que ces affiches disent des candidats n’est pas très flatteur. De plus, peu de messages y sont véhiculés, excepté la non-maîtrise des logiciels informatiq­ues. A regarder les affiches de près, il apparaît qu’une bonne partie des candidats n’a pas jugé utile de faire appel à un photograph­e profession­nel. On les voit les bras ballants, les contours flous, les visages brillants, les costumes trop grands ou trop étroits, les fonds peu valorisant­s… Bien sûr, il en est qui ont tenté de sortir des sentiers battus, sans toutefois réussir le pari de l’originalit­é. C’est le cas notamment d’un candidat de TAJ de Annaba, qui se réinvente en James Bond, en mimant un pistolet de sa main droite pour désigner le sigle de son parti. Un autre candidat indépendan­t de Chlef, lunettes noires et costume-cravate, boutonne sa veste dans ce qui ressemble à une affiche d’un film d’espionnage. Pas sûr que la mission soit accomplie. A défaut de faire rêver, ces affiches, très partagées (et moquées) sur les réseaux sociaux, auront toutefois permis à leurs auteurs d’attirer l’attention et de se faire connaître.

NOM DE CODE : BRAS CROISÉS

Les postures que tiennent les candidats sont également discutable­s. Certains ont clairement décidé de sortir l’artillerie lourde. Nom de code : bras croisés. La pose, à l’américaine, ne semble néanmoins pas réussir à tout le monde. Peu à l’aise devant l’objectif, certains croisent maladroite­ment les bras, ce qui au lieu de suggérer l’attitude de meneurs déterminés donne une l’impression de postures artificiel­les et maladroite­s.

Un candidat du mouvement El Bina de Djelfa se présente main dans la poche façon gentleman, sans que l’effet escompté soit au rendez-vous.

Il en est également qui ne s’encombrent pas de trop d’efforts. Des dizaines d’affiches circulent sur les réseaux sociaux qui interloque­nt par leur austérité. Voulant sans doute donner l’impression de candidats sérieux, dignes et solennels, elles donnent à voir des hommes rigides et visiblemen­t renfrognés. Un candidat de TAJ verse carrément dans le laisser-aller, en s’affichant en survêtemen­t dans une photo floue. Difficile de faire pire, aurait-on pu croire. C’était sans compter les créations déconcerta­ntes achevant de vider la campagne de son sérieux. Un candidat du parti El Adala s’est, par exemple, téléporté sur la mer, devant un bateau de croisière sous le slogan : «Le paquebot de la réussite». Un autre candidat du Front de la bonne gouvernanc­e (FBG) s’est entouré d’un cercle d’éclairs et de lumière, dans un remake de Matrix. Une situation cocasse qui aurait pu prêter à sourire si cela n’avait pas été dramatique, tant elles donnent un avant-goût des candidats appelés à composer le prochain Parlement. Parmi les symboles incrustés dans les affiches figurent notamment une montre pour El Hisn El Matine (affichant exactement 12h14), les manifestat­ions du hirak en filigrane pour certaines listes de candidats indépendan­ts et même des panneaux photovolta­ïques et des gratte-ciels pour le mouvement El Bina.

Profitant d’un contexte géopolitiq­ue marqué par l’agression israélienn­e à Ghaza, un candidat MSP prend la pose en tarbouche et burnous avec, en filigrane, la mosquée d’Al Aqsa. L’ancien journalist­e ne s’arrête pas là, n’hésitant pas à porter, dans une vidéo publiée sur sa page, toute la panoplie du combattant du Hamas. Mais les symboles les plus récurrents restent les très classiques pictogramm­es d’urnes, du monument aux martyrs et la branche d’olivier. Très souvent, le slogan, qui aurait pu rattraper un visuel raté, fait défaut. L’une des caractéris­tiques des affiches pour les législativ­es reste le rapport ambigu aux candidatur­es féminines. Celles-ci sont invisibles dans les affiches de certains partis et listes d’indépendan­ts et remplacées par un voile islamique ou un drapeau, donnant lieu à des candidates fantômes. Dans cette politique de l’effacement, même si le visage des candidates n’apparaît pas, leur voile islamique est lui bien visible. Dans d’autres cas, les femmes sont au contraire mises en valeur dans un jeu pernicieux où la féminité est exaltée à mauvais escient. Quelques affiches d’El Hokm El Rached (Front de la bonne gouvernanc­e - FGB) mettent en avant leurs candidates superbemen­t maquillées et coiffées dans ce qui ressemble au générique d’un feuilleton turc. La gêne est d’autant plus manifeste que le dirigeant du parti, Belhadi Aïssa, a défrayé la chronique en mettant en avant le même argument que celui qui est suggéré dans les affiches comparant les «belles» candidates à des «fraises sélectionn­ées». L’un dans l’autre, le constat est le même, révélant un rapport équivoque avec la candidatur­e féminine. Par leur invisibili­sation ou leur mise en avant, les femmes sont perçues comme un «faire-valoir», d’autant que la loi électorale impose une parité hommesfemm­es dans les listes électorale­s. Sur les réseaux sociaux, les moqueries autour desdites affiches électorale­s ne se comptent plus. D’ores et déjà, les internaute­s les tournent en dérision en les parodiant, à telle enseigne qu’il est devenu difficile de différenci­er les affiches authentiqu­es des copies. Florilège : «Votez pour moi, ça ne changera peutêtre pas votre vie, mais ça changera la mienne», «26 millions, je préfère les prendre moi plutôt que Naïma Salhi», ou encore : «Votez pour moi, il me manque une Audi».

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