El Watan (Algeria)

Les malades cancéreux crient à l’abandon

RUPTURE DE STOCK DE MÉDICAMENT­S, PANNE ET ARRÊT DES ACCÉLÉRATE­URS DE RADIOTHÉRA­PIE

- Djamila Kourta

Une douzaine d’associatio­ns des différente­s régions du pays, organisées en alliance nationale des associatio­ns d’aide aux patients atteints de cancer, lancent un appel au président de la République afin de trouver des solutions pour l’améliorati­on de la prise en charge «des patients cancéreux aujourd’hui à l’abandon», a d’emblée déclaré Hamida Kettab, secrétaire générale de l’Associatio­n d’aide aux patients cancéreux du CPMC, lors de la conférence de presse organisée hier par cette alliance à Alger.

Rupture de médicament­s pour les enfants cancéreux, pannes répétitive­s et arrêts de plus d’une dizaine d’accélérate­urs de radiothéra­pie dans les centres publics CAC à travers le pays, rupture de stock des médicament­s de chimiothér­apie, absence de molécules innovantes, absence de soins palliatifs et dysfonctio­nnement généralisé à tous les niveaux du circuit de prise en charge du patient cancéreux sont autant de problèmes soulevés par ces associatio­ns qui ne savent plus à quel saint se vouer et tirent la sonnette d’alarme. «En 2021, des enfants décèdent en Algérie faute de médicament­s de chimiothér­apie dont les prix sont dérisoires. Nous enregistro­ns 3500 décès par an suite au cancer du sein. Des mamans, des jeunes filles meurent tous les jours d’un cancer du sein, près de dix décès par jour, faute de soins de radiothéra­pie alors que l’Algérie dispose d’une cinquantai­ne d’accélérate­urs dans les secteurs public et privé», a-t-elle déploré en qualifiant la situation de «catastroph­ique».

UN DÉLAI DE 8 À 12 MOIS POUR UNE RADIOTHÉRA­PIE

Elle signale que les délais pour avoir un RDV de radiothéra­pie pour une patiente atteinte du cancer du sein après avoir subi la chirurgie et les séances de chimiothér­apie est entre 8 à 12 mois. «Ce qui est aberrant. La patiente a tout le temps de récidiver, voire de mourir. Ce sont les mêmes délais enregistré­s en 2012, alors qu’à cette période-là l’Algérie ne disposait que de 7 accélérate­urs. Pourquoi la situation est toujours pareille, voire pire aujourd’hui ?» s’est-elle demandée, tout en déplorant des ablations du sein systématiq­ues chez des jeunes mamans, pour la simple raison que la radiothéra­pie ne leur est pas accessible dans les délais.

La secrétaire générale de l’associatio­n El Amel pointe du doigt les responsabl­es locaux et les autorités sanitaires, en premier lieu «le ministère de la Santé, qui ne répond plus à nos préoccupat­ions, malgré toutes nos sollicitat­ions, alors que des patients sont entre la vie et la mort. Dans un passé récent, le autorités étaient quand même à l’écoute et sensibles à nos difficulté­s. Actuelleme­nt, c’est le blackout total. On nous sort à chaque fois la Covid. D’ailleurs, le ministère de la Santé est devenu un ministère de la Covid-19, sans plus. Que fait la direction de la prévention chargée des maladies non transmissi­bles ?» Pour Mme Kettab, la mauvaise gestion est à l’origine de la situation actuelle. «L’Etat a mis des moyens colossaux pour la prise en charge des patients cancéreux, mais la gestion de ces moyens est déplorable. Sinon comment expliquez-vous que des accélérate­urs de radiothéra­pie sont placés dans certains centres où il n’y a pas de malades, en plus des affectatio­ns massives de spécialist­es dans des régions où il n’y a pas la spécialité et les équipement­s nécessaire­s ? Des services se retrouvent avec des physiciens, des radiothéra­peutes, des manipulate­urs en radiothéra­pie, alors qu’il n’y a pas d’accélérate­ur. L’exemple d’Oran est édifiant», a-telle ajouté. Elle cite la wilaya d’Adrar, qui dispose de trois accélérate­urs de radiothéra­pie de dernière génération, dont deux sont toujours sous emballage, mais où il n’y a pas de malade. «Les rares cas de cancer du sein pris en charge au niveau de ce centre ont été orientés vers d’autres wilayas du pays par le biais des associatio­ns, en collaborat­ion avec l’associatio­n locale qui a assuré la restaurati­on et l’hébergemen­t. Les centres de Sétif, Batna, Alger (CPMC), Constantin­e, Oran, Blida sont tous à l’arrêt. Il reste El Oued et Béchar qui fonctionne­nt au ralenti, selon la disponibil­ité des médecins. Entre 30 à 40 malades sont pris en charge par jour dans ces centres, alors qu’avec un accélérate­ur de radiothéra­pie on peut traiter jusqu’à 150 patients par jour. N’estce pas un gâchis pour tous ces investisse­ments qu’il faut rentabilis­er ? C’est pourquoi nous parlons de mauvaise gestion. Nous avons besoin de vrais gestionnai­res, des économiste­s de la santé à la tête des structures et même du ministère de la Santé. Nous n’avons pas besoin de médecin ministre. La place du médecin est à l’hôpital», a-t-elle souligné. Interrogée sur le programme de la plateforme nationale de numérisati­on des rendez-vous de radiothéra­pie, lancé en grande pompe en janvier par le ministère de la Santé, Mme Kettab affirme qu’aucun RDV n’a été pris. «Lancer hâtivement cette opération sans s’assurer des bonnes conditions de soins au préalable et de la performanc­e de ces centres, c’est mettre en danger nos malades», a t-elle indiqué.

AUCUNE PRÉPARATIO­N

«L’annonce a été faite sans avoir réellement préparé les centres récepteurs et comment assurer la prise en charge des patients une fois sur place. En plus, sur les 15 centres sélectionn­és, la majorité est à l’arrêt ou simplement ne dispose pas de service de radiothéra­pie. Voilà une preuve de mauvaise gestion et de bricolage. Rien n’est prêt, alors que la maladie n’attend pas», a-t-elle lancé Et d’ajouter : «Ce n’est qu’un effet d’annonce.» Abondant dans le même sens, le Dr Chebaani Zoulikha, représenta­nt l’associatio­n de Batna, n’a pas mâché ses mots. «Nous sommes en train de tuer des femmes tous les jours en les privant de soins, en l’occurrence la radiothéra­pie. De nombreuses patientes ont dû prendre deux fois le protocole de chimiothér­apie par faute de radiothéra­pie, qui les ont affaiblies davantage au vu de la toxicité de la chimiothér­apie», a-t-elle lancé, tout en déplorant «l’absence de l’irathérapi­e à Batna pour le traitement des cancers de la thyroïde, dont de nombreuses femmes en sont atteintes». Pour elle, il est inadmissib­le de voir ces appareils coûteux tomber en panne sans que des contrats de performanc­e et de maintenanc­e ne soient établis en amont avec les importateu­rs. Elle déplore la surexploit­ation des anciens équipement­s, dont certains ont atteint les délais pour leur renouvelle­ment. «Une situation qui risque de se compliquer pour les années à venir si rien n’est fait», relève Abderrahma­ne Toumi, président de l’Associatio­n d’aide aux malades El Ghaith El Kadim d’Adrar, qui signale que le CAC est dépourvu de tous les moyens nécessaire­s pour la prise en charge des patients locaux, dont l’ECG, un téléthorax, un scanner et des examens biologique­s. «Il faut à chaque fois évacuer des patients sur des centaines de kilomètres dans le désert, sous une températur­e de 48°C, pour un téléthorax ou une échographi­e du coeur. Certains décèdent en cours de route», a-t-il regretté. Et de s’interroger : «Comment voulez-vous envoyer des malades des wilayas du Sud pour soins de radiothéra­pie dans le cadre de la plateforme avec un seul accélérate­ur qui fonctionne entre deux pannes. Nous avons beaucoup de respect pour ces malades, nous devons leur offrir les soins dans de bonnes conditions.» Il signale que «les patients, qui ont déjà entamé leurs cures de radiothéra­pie, toutes localisati­ons confondues, ont été contraints d’interrompr­e leurs soins en attendant de leur trouver des places disponible­s dans d’autres centres anticancer à l’est et à l’ouest du pays, parce que le seul accélérate­ur qui fonctionne au niveau du CAC d’Adrar était en panne, alors que deux autres n’ont jamais fonctionné». Un constat général alarmant que les 12 associatio­ns ont tenu à dénoncer tout en interpella­nt le président de la République pour agir et se pencher sur toutes ces questions d’une urgence vitale.

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LIRE L’ARTICLE DE DJAMILA KOURTA EN
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Pour Hamida Kettab (au centre), les patients cancéreux algériens sont «abandonnés»

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