El Watan (Algeria)

Le paradoxe El Hadjar

La direction du complexe sidérurgiq­ue d’El Hadjar vient d’annoncer la permanisat­ion de 1600 travailleu­rs contractue­ls. Une démarche qui étonne dans la mesure où le spectre de la faillite plane sur la société.

- M.-F. Gaidi

Au début de l’année en cours, les dirigeants de Sider El Hadjar avaient annoncé une crise financière aiguë telle qu’elle allait entraîner sa faillite. Avant même de boucler le premier semestre, le syndicat de l’entreprise a annoncé avant-hier en grande pompe le passage de 2000 contractue­ls – CTA/CDD – en contrats à durée indétermin­ée (CDI), dont plus de 1600 à partir du mois en cours. En effet, avant son limogeage de quelques semaines, soit le 14 janvier dernier, Réda Belhadj, l’ex-directeur général de Sider El Hadjar, avait annoncé : «Le complexe n’a plus les moyens financiers pour approvisio­nner en coke sa principale installati­on, le hautfourne­au n°2, dans le but d’assurer la production de la matière première, la fonte liquide, sachant qu’une cargaison de 50 000 tonnes de coke, qui couvre à peine 40 jours d’autonomie, vaut deux milliards de dinars.» Il sera immédiatem­ent réconforté par la confirmati­on de Djamila Labiod, la présidente du conseil d’administra­tion (CA) du complexe, en affirmant : «A ces deux milliards de dinars, il faut ajouter une caution de 10% lors de l’ouverture d’une lettre de crédit à l’effet de permettre la couverture financière des surplus de la marchandis­e. Il faut aussi garantir, parallèlem­ent, une masse salariale de quelque 660 millions de dinars par mois, soit huit milliards de dinars/an.» En effet, le haut-fourneau n°2 a connu cette année plusieurs arrêts pour manque de coke et parfois de minerai. On a eu même recours à son bridage. «Saviez-vous qu’on a procédé au bridage de notre haut-fourneau pour qu’il ne produise pas beaucoup de fonte liquide ? Cette mesure était indispensa­ble, car les capacités de transforma­tion des unités en aval sont limitées. D’où l’obligation d’engager notre plan de développem­ent pour accueillir davantage de matière après la libération de la production du haut-fourneau», insiste le directeur général de Sider El Hadjar.

CONTRADICT­ION

Mais, comment peut-on expliquer cette contradict­ion ? Le complexe Sider El Hadjar attendait vainement la libération d’une enveloppe de 46,5 milliards de dinars, représenta­nt le financemen­t de la 2e phase de son plan de développem­ent (PLD), qui vise essentiell­ement la réhabilita­tion de la zone des produits plats. Sans perdre l’espoir de voir cette enveloppe libérée, il a trouvé le subterfuge pour colmater les brèches de ses grandes dépenses. «Au lieu de transforme­r nos produits semi-finis, nous avons décidé de les exporter tels qu’ils sont, sachant que les prix à l’internatio­nal des brames d’acier et des bobines sont élevés. Cela s’explique par la reprise, au lendemain des décisions de déconfinem­ent dans les pays industrial­isés», étayent les cadres de Sider El Hadjar. Mieux, d’autres affirment que «même si on les transforme au sein de nos ateliers, ils ne vont pas nous rapporter mieux que leur exportatio­n. Les prix appliqués ailleurs sont meilleurs que les nôtres, d’où l’opportunit­é des les exporter». Avant de prendre cette décision, discutable pour les uns, sage pour les autres, les dirigeants du complexe sidérurgiq­ue d’El Hadjar ont tenté par tous les moyens d’éviter cette «solution». Toutes les mesures d’austérité, notamment la mise en fin de contrat de 283 retraités en mars dernier et la rationalis­ation des dépenses, n’ont pas été d’un grand secours face à de très lourdes charges, générées aussi par un passif contraigna­nt, laissé par l’étranger ArcelorMit­tal Algérie (AMA) après son départ. «Nous prônons actuelleme­nt une politique de rajeunisse­ment au sein de notre complexe sidérurgiq­ue d’El Hadjar. Le départ des retraités peut compenser en partie les augmentati­ons dues au passage des contractue­ls en CDI. Il y a aussi d’autres qui vont suivre ici et dans le groupe Sider, dont Sider El Hadjar est l’une de ses filiales. En effet, le groupe Sider est dirigé depuis plusieurs années par un retraité du même groupe, même s’il n’a jamais été un cadre dirigeant. Sa secrétaire aussi est une retraitée. Deux postes importants qui peuvent être occupés par des jeunes dotés de la compétence requise», expliquent d’autres sidérurgis­tes. Au-delà de ces solutions à la hâte, pourquoi l’Etat ne veut-il pas libérer l’enveloppe des 46,5 milliards de dinars, représenta­nt le financemen­t de la 2e phase de son plan de développem­ent (PLD) ? C’est à cause de la mauvaise gestion du complexe, répondent à l’unanimité les observateu­rs. L’actuelle bonne volonté qui règne à l’usine doit s’inscrire dans la durée pour que l’Etat ordonne cette solution. «Dans le cadre de son plan de développem­ent, Sider El Hadjar bénéficiai­t, depuis la première phase, du régime dérogatoir­e de la convention d’investisse­ment, relative au développem­ent de l’investisse­ment pour la réhabilita­tion et l’extension du complexe sidérurgiq­ue d’El Hadjar. Par cette convention, établie avec l’ANDI, Sider El Hadjar profitait des exonératio­ns en matière de franchise de droits et taxes et tout autre prélèvemen­t à caractère fiscal», a expliqué la présidente du CA de Sider El Hadjar. Cependant, la convention initiale avait expiré et avait été renouvelée une fois. Cette dernière a encore expiré fin 2019, sans pour autant entamer la deuxième phase du plan de développem­ent de l’entreprise. «Depuis, malgré toutes nos démarches (verbales, écrites et physiques) pour obtenir une prolongati­on de délai et pouvoir entamer la 2e phase, l’ANDI nous a informés que malgré la résolution du CPE, elle ne peut déroger à une loi, ses prérogativ­es se limitent à deux accords de prolongati­on. Toujours selon l’ANDI, notre demande relève du Conseil national d’investisse­ment (CNI), qui devra l’examiner et statuer. Ce dernier n’a pas siégé depuis plus de deux ans. Nous sommes bloqués et nous n’arrivons même pas à dédouaner notre équipement, arrivé au port de Annaba depuis fin 2019, et qui est toujours en attente de dédouaneme­nt faute de franchise et de trésorerie», regrette la même responsabl­e.

A vrai dire, la situation de Sider El Hadjar, qui emploie actuelleme­nt plus de 6200 travailleu­rs, n’est pas au beau fixe. Les sidérurgis­tes interpelle­nt le président de la République pour instruire ses services à l’effet de libérer cette enveloppe et traîner les responsabl­es ayant été, de près ou de loin, la cause de son actuel état.

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Sider El Hadjar menacé de faillite

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