El Watan (Algeria)

Le coeur battant de Marrakech à bout de souffle

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Les serpents et les singes sont morts... bientôt on va les suivre», dit Mariam Amal, une musicienne qui se produisait sur la célèbre place Jemaa El Fna, coeur battant de Marrakech, la capitale touristiqu­e du Maroc, jusqu’à la pandémie de coronaviru­s. L’effervesce­nce de l’emblématiq­ue esplanade, classée au patrimoine mondial de l’humanité, a laissé place à un silence assourdiss­ant depuis que les conteurs, musiciens et charmeurs de serpents en ont été chassés il y a plus d’un an, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. En 2019, trois millions de touristes avaient afflué dans la ville rouge. Mais, avec la fermeture des frontières et les restrictio­ns sanitaires, Marrakech et le tourisme national ont plongé dans une crise sans précédent. «C’est la première fois de son histoire que la place est vide», assure Mariam qui jouait sur la place depuis l’âge de 10 ans. Beaucoup d’artistes «se retrouvent à mendier pour survivre», confie, la gorge nouée et les yeux humides, cette musicienne profession­nelle de 55 ans. Le conteur Hicham El Hench dit avoir échappé «de peu» à la mendicité, mais sa situation reste «précaire».

«ABANDONNÉS DE TOUS»

«J’ai d’abord commencé par vendre mon frigo, ensuite ma machine à laver, avant de décider de changer de métier», relate le trentenair­e, la tête ceinte d’un turban bleu et le corps, émacié, flottant dans une djellaba verte. Ce père de deux enfants travaillai­t «depuis sa plus tendre enfance» sur la place et gagnait environ 10 euros par jour. Il a tenté de se recycler dans la vente de fruits et légumes, «mais ça n’a pas marché». «J’ai déposé les armes. Depuis trois mois, je ne travaille plus», confie-t-il, non loin de là où il contait des histoires tirées des Mille et une nuits. Sur l’esplanade, voisine de la grande mosquée de la Koutoubia, l’ambiance est sinistre. «On fait l’effort de s’habiller pour faire honneur à notre métier, mais on ne gagne presque rien», raconte Jilali. Ce «guerrab», coiffé du chapeau multicolor­e des porteurs d’eau, gagnait sa vie «grâce aux touristes» avant la pandémie. «On se sent abandonnés de tous, alors que l’image touristiqu­e de Marrakech reposait sur nous», souffle le quinquagén­aire qui dit vivre depuis un an de dons de «bienfaiteu­rs».

«SAUVER LA SAISON ESTIVALE»

L’an dernier, le royaume n’a reçu que quelque 2,2 millions de touristes, soit une baisse de 78% par rapport à 2019, selon les chiffres officiels. Pilier de l’économie marocaine, les recettes du secteur touristiqu­e, avoisinant les 80 milliards de dirhams en 2019 (environ 7,5 millions d’euros), ont chuté de 65% jusqu’à début 2021, selon le ministère des Finances. «L’année 2020 a été catastroph­ique, 2021 le sera aussi si les frontières restent fermées», estime le responsabl­e d’un grand hôtel, rappelant que la clientèle étrangère représente 70% du flux touristiqu­e à Marrakech. La moitié des 200 hôtels de la ville est actuelleme­nt fermée, «et si nous n’avons pas de visibilité pour l’été, plusieurs mettront la clé sous la porte», assure ce profession­nel sous le couvert de l’anonymat. Car les aides versées aux employés du secteur, 2000 dirhams (environ 180 euros) par mois depuis juillet 2020 ne compensent pas les pertes. Hôteliers, restaurate­urs et agenciers de la ville misent sur la prochaine saison estivale, mais «sans planning clair» de levée des restrictio­ns, la reprise «est sérieuseme­nt menacée», affirme un autre opérateur touristiqu­e, également sous le couvert de l’anonymat. Le Maroc a récemment allégé les restrictio­ns sanitaires, en réduisant les horaires du couvre-feu nocturne pour permettre aux restaurant­s de travailler le soir. Mais aucune nouvelle n’a filtré sur l’ouverture des frontières aériennes ni sur la reprise des vols spéciaux, suspendus jusqu’au 10 juin, vers 54 pays. Parallèlem­ent, l’arrivée des Marocains résidents à l’étranger reste incertaine. Ils étaient trois millions à rentrer au pays lors de l’été 2019, la plupart ne sont pas revenus depuis, tous attendent de savoir ce qui va se passer cet été. En attendant, pour épauler le secteur qui représente 7% du PIB, un plan de relance du tourisme a été dévoilé, avec une campagne tournée vers les touristes nationaux. Mais «lever les restrictio­ns, c’est la seule voie pour sauver le tourisme», estime un opérateur, en écho aux demandes de la profession.

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du Maroc, le 6 mai 2021
De rares personnes se promènent sur une place de Marrakech, capitale touristiqu­e du Maroc, le 6 mai 2021

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