El Watan (Algeria)

AVEC LES VOYAGEURS CONFINÉS À SIDI FREDJ

ACCUEIL ALÉATOIRE, ORGANISATI­ON DÉFAILLANT­E, NON-RESPECT DES GESTES BARRIÈRES

- Salima Tlemçani

Adossés au mur de l’entrée de l’hôtel El Marsa, situé à Sidi Fredj, un gobelet de café ou une cigarette à la main, masque pendant à l’oreille ou sous le menton, Karim, Ryad, Saïd, Mourad, Mohamed, Noureddine, etc (nous les appelleron­s ainsi, à leur demande, pour préserver leur identité) font partie de près de 300 Algériens rentrés de France jeudi dernier, et soumis à un confinemen­t sanitaire de cinq jours, sous la surveillan­ce des gendarmes. Pour beaucoup, le voyage a été «extrêmemen­t difficile». «J’ai fait le voyage de Strasbourg à Paris, et j’ai dû trouver quelqu’un chez qui passer la nuit, afin d’être à l’heure pour le vol. J’attendais ce voyage avec impatience. Cela fait plus d’une année que je n’ai pas vu ma famille. J’ai perdu mon père il y a dix jours. Je dois faire la route jusqu’à Batna…», raconte Ryad. Ici, ce ne sont pas les conditions d’hébergemen­t qui posent problème, mais le fait d’être isolés, sans aucune informatio­n, durant cinq jours. «A notre arrivée, ils nous ont mis en chambre double. Nous avions refusé. Comment peut-on se confiner en étant avec d’autres personnes dans la même chambre. La direction de l’hôtel a été réceptive. Chacun a eu sa chambre et certains ont été transférés à l’hôtel HollidayIn. J’ai été très touché par ce jeune garçon de 6 ans, qui s’est fait opérer en France d’une maladie lourde. Il a fallu batailler pour que ses parents puissent le prendre, alors qu’il avait son test PCR négatif. Qui aurait pu s’occuper de lui alors qu’il avait vraiment besoin de ses parents. Lorsqu’il les a vus, il s’est presque mis debout, alors qu’il était sur une chaise roulante. C’était poignant», affirme Mohamed. Mourad enchaîne : «Il y a aussi une femme, hémodialys­ée, qui a besoin de faire sa dialyse, mais elle n’avait pas l’autorisati­on pour quitter l’hôtel. Il a fallu aussi batailler pour permettre à la dame de se faire accompagne­r par une ambulance de la Protection civile jusqu’au centre médical pour faire la dialyse et revenir à l’hôtel.» Très affecté, Mourad raconte aussi la douleur de deux voyageurs, venus avec les corps de deux de leurs proches décédés. «Ils voulaient assister à l’enterremen­t de leurs proches. Ils étaient dans un état lamentable. Ils avaient leur PCR négatif et étaient vaccinés. Après de longues heures, ils ont fini par avoir l’autorisati­on d’assister aux funéraille­s. Ces problèmes ne peuvent pas être gérés par l’administra­tion de l’hôtel. Ils doivent être pris en charge en amont et pas en aval. Malgré cela, certaines situations assez complexes et inhumaines ont été réglées.» Nacer se dit «offusqué» par le fait que les autorités imposent cinq jours de confinemen­t. «Je suis vacciné et mon test PCR est négatif. Il a été fait 24 heures avant le vol, pourquoi dois-je rester cinq jours isolé alors que je n’ai pas vu ma famille depuis presque deux ans. C’est durant ce confinemen­t à l’hôtel que je risque d’être contaminé. Regardez autour de vous, la majorité ne porte pas de masque. Nous sommes nombreux à aller à la cafétéria où nous restons durant des heures, sans distanciat­ion, ni masques. J’aurais préféré aller chez-moi me confiner que de rester ici», lance-t-il. Les mêmes propos sont tenus par Saïd. De Bordeaux, il a rejoint Paris où il a passé la nuit avant d’embarquer à destinatio­n d’Alger.

«J’AI PLUS DE RISQUE D’ÊTRE CONTAMINÉ À L’HÔTEL QUE CHEZ MOI»

«Durant le vol, certains respectaie­nt le port du masque, mais pour beaucoup, cela n’était pas le cas. A l’aéroport d’Alger, après les formalités douanières et policières, j’ai vu des gens prendre d’autres directions que la nôtre. Ils n’étaient pas concernés par le confinemen­t. Pourquoi il n’y a que les Algériens qui subissent cet isolement ? Je vous rappelle qu’au moment où nous étions bloqués à l’étranger, des travailleu­rs indiens, qui rentraient sans contrainte en Algérie, ont introduit le variant indien. Nous bloquer pendant 5 jours dans un hôtel n’est pas du tout la bonne formule. Elle risque d’avoir l’effet inverse. Les gens sont regroupés dans un seul endroit et sans aucun respect des mesures barrières», déclare Saïd. Très anxieux, Karim ne sait même pas comment rejoindre sa famille à Tlemcen. «Nous ne savons pas comment ils vont nous libérer en cas de test négatif. Vont-ils nous déposer à la gare routière ou nous laisser partir seul de l’hôtel. Je panique à l’idée d’aller seul de l’hôtel jusqu’à Alger, puis prendre le transport public interwilay­as», souligne-t-il. C’est le cas aussi de Mohamed, dont la famille se trouve à Batna : «Ici nous sommes confrontés au manque d’informatio­n. Il n’y a rien à dire sur la restaurati­on ou l’hébergemen­t, mais nous sommes livrés à nous-mêmes. Nous prenons plus de risque à l’hôtel que chez nous. Nous nous rencontron­s à la cafétéria ou dans le hall, où le personnel de l’hôtel est souvent sans masque. Nous ne comprenons pas pourquoi cinq jours d’isolement, alors qu’on aurait pu imposer un test PCR à l’entrée et une journée de confinemen­t, pour avoir les résultats. Cela aurait économisé à l’Etat autant de dépenses.» Avis partagé par Noureddine, qui habite à Tizi Ouzou. «Regardez autour de vous. Le personnel est majoritair­ement sans bavette et on nous refuse de prendre nos repas dans les espaces externes. Au début, on se rassemblai­t dans le restaurant, puis ils ont décidé de nous servir dans les chambres. Il faut dire que durant les premiers jours, c’était un vrai cafouillag­e, mais ça commence à être mieux organisé.» «Mais, cinq jours, c’est trop long à supporter. On aurait pu faire signer aux gens des obligation­s de se confiner à la maison au lieu de couper les Algériens de leurs familles», ajoute notre interlocut­eur. Noureddine qualifie de «cafouillag­e» l’organisati­on sanitaire au niveau de l’établissem­ent. «Cela constitue un danger. Regardez comment ils sont tous entassés à la cafétéria, alors qu’ils auraient pu aller dehors, où il y a des tables à l’air libre. Si l’un d’eux est contaminé, soyez certaine que beaucoup le seront également. Il faut mettre à dispositio­n de tous les voyageurs ce dont ils ont besoin et les obliger à ne pas quitter leurs chambres, ou à la limite, de respecter scrupuleus­ement les mesures barrières», déclare Noureddine, de formation médicale, avant de nous diriger vers une femme accompagné­e d’un enfant, les deux sans masque, attablés à la cafétéria. «Je suis à deux jours de la fin du confinemen­t. Je n’ai pas le choix. J’ai hâte de retrouver ma famille. C’est tout ce que je peux vous dire», nous lance-t-elle avant de nous quitter à l’arrivée de deux gendarmes, alertés par notre présence sur les lieux. «Vous devez partir. Ils n’ont pas le droit de quitter l’hôtel ou de recevoir qui que ce soit», nous disent-ils.

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