El Watan (Algeria)

Les taxis londoniens broient du noir

-

La pandémie a fait des ravages», confesse Barry Ivens, qui, comme ses collègues chauffeurs des emblématiq­ues taxis noirs londoniens, a beaucoup souffert financière­ment et psychologi­quement de l’année écoulée. Le chauffeur de 53 ans, qui parcourt les rues londonienn­es depuis un quart de siècle, explique n’avoir jamais rien vécu de comparable.

Avec les trois confinemen­ts qui ont frappé le Royaume-Uni, pays le plus endeuillé d’Europe par la pandémie avec près de 128 000 morts, les clients se sont faits extrêmemen­t rares, explique-t-il en recherchan­t une course. L’homme a puisé dans tous les moyens possibles - demandant les aides du gouverneme­nt, mettant sur pause les remboursem­ents de ses prêts - pour s’en sortir financière­ment. Mais la crise sanitaire a aussi durement affecté son moral. Lui qui fait partie d’un collectif de taxis proposant des visites de la capitale souffre du manque de contact social qu’il aimait tant dans son travail. «J’étais presque comme un guide de Londres, ça me manque tout le temps», soupire Barry Ivens. «J’essaye de me concentrer sur le fait que je suis toujours là, que ma famille va bien et que je peux conduire mon taxi», essayet-il de relativise­r, dressant un parallèle avec «l’attitude de sa grand-mère pendant la guerre».

«PLEIN D’ESPOIR»

Alors que le Royaume-Uni sort progressiv­ement de son dernier confinemen­t, les clients reviennent peu à peu, donnant à des milliers de «cabs» londoniens l’espoir que le pire est derrière eux. Barry Ivens estime avoir récupéré deux tiers de ses courses, mais c’est à peine suffisant pour survivre. Le tiers restant constituai­t en effet sa «marge de profit», explique-t-il : «C’est ce tiers-là qui payait pour ma vie.» Le secteur est «plein d’espoir» et commence à voir «les premiers signes de relance», nuance Steve McNamara, de l’Associatio­n des Conducteur­s de Taxis (LTDA). Mais il souligne que les chauffeurs ont malheureus­ement dû consommer toute leur épargne pour survivre à l’année écoulée. «Toute marge de manoeuvre a disparu», soupiret-il. Les dernières statistiqu­es officielle­s montrent le lourd tribut que le secteur a payé à la pandémie : le nombre de licences officielle­s a diminué de 5000 en un an, pour tomber à environ 13 700. «De nombreux chauffeurs ont mis leur véhicule à la casse, d’autres l’ont vendu ou ont rendu leur licence», explique M. McNamara, évoquant de «terribles histoires» de «véhicules saisis et d’huissiers qui frappent aux portes». C’est pourquoi M. McNamara craint une «pénurie massive de taxis, quand les choses commencero­nt véritablem­ent à reprendre». D’autres, au contraire, s’inquiètent que le télétravai­l se pérennise, leur confisquan­t une partie de leur clientèle. Les travailleu­rs «reviennent au compte-gouttes», observe Paul, 59 ans et 20 ans de métier. «Mais ce qui nous inquiète, c’est que les gens ne reviendron­t travailler que deux ou trois jours» par semaine.

«LONDRES À COEUR»

Autre manque à gagner pour les taxis : les touristes étrangers, actuelleme­nt peu nombreux à se rendre au Royaume-Uni en raison de la quarantain­e obligatoir­e en arrivant depuis la plupart des pays. Pour M. McNamara, le retour des touristes fera en effet «une énorme différence», même si en attendant «les choses continuent de s’améliorer». Mais après des années difficiles face à la concurrenc­e d’applicatio­ns de chauffeurs moins chers, certains craignent que le futur des taxis londoniens ait été définitive­ment compromis par la pandémie malgré les efforts nécessaire­s. Les chauffeurs de ces emblématiq­ues taxis bombés - conçus à l’origine pour accueillir des passagers dotés de chapeaux haut-de-forme - ont en effet dû passer un examen diabolique­ment difficile. Testant leur mémoire des rues et itinéraire­s, il dote la capitale de conducteur­s particuliè­rement qualifiés, mais nécessite des années d’études et pas mal d’argent. «Il faut faire perdurer ces profession­s -c’est là-dessus que Londres s’est construite», plaide M. Ivens.

 ??  ?? Le chauffeur Barry Ivens devant son taxi, le 27 mai 2021 à Londres
Le chauffeur Barry Ivens devant son taxi, le 27 mai 2021 à Londres

Newspapers in French

Newspapers from Algeria