L’indispensable évolution positive
Par le Pr Mahmoudi Abdelkader Professeur des sciences politiques université Alger III
La situation que vit notre pays me paraît très grave pour diverses raisons et se différencie de la crise que nous avons connue dans les années 1990 par son ampleur et sa diversification. C’est dire donc la nécessité de trouver des solutions aux multiples défis qui visent le pays et induits par cette situation caractérisée par de nombreux dysfonctionnements dans les différents domaines. Il me semble urgent de sortir de l’impasse dans laquelle on s’installe un peu plus chaque week-end depuis quelque temps et qui montre que notre pays se trouve à la croisée des chemins De notre capacité à comprendre les phénomènes dépendra notre manière d’agir, surtout si cette capacité est caractérisée par la rationalité qu’elle sous-tend en renfermant le dialogue, élément-clé de la communication permettant la compréhension des phénomènes et, par conséquent, leur maîtrise ou du moins leur évolution dans le sens désiré. En effet, le moment est venu, vu la gravité de la situation, de commencer à s’écouter et d’éviter le dialogue de sourds, faire fi du postulat nuisible qui a régné et qui estimait que «nul n’est indispensable» au profit d’une approche vraiment constructive et inclusive : «Tout un chacun de nous est indispensable.» Cette gravité interpelle notre intelligence en nous demandant non seulement de réfléchir mais aussi et surtout de «réfléchir algérien», car de la réflexion jaillira la lumière qui nous permettra de répondre dans notre cas au besoin de contribuer à dépasser ces différentes crises. En nous pliant à cette logique, peut-être allonsnous inciter ceux qui savent parler et convaincre les autres que le silence peut effectivement être d’or car il permet souvent d’éviter le syndrome Djeha – Haroun Rachid, une des «perles» d’une certaine culture orale. (A ce propos que le lecteur me permette de dire que j’abhorre Le corbeau et le renard car le fromage n’appartient ni à l’un ni à l’autre mais à l’Algérie).
DE LA NÉCESSITÉ DE RÉFLÉCHIR ALGÉRIEN
Ce que j’entends par «réfléchir algérien», et je m’adresse dans ce cas surtout à ceux qui se sont laissés emprisonner dans une littérature politique trop éloignée du réel algérien ou insuffisamment réfléchie mais qui aurait pu être davantage bénéfique pour la résolution des problèmes qui se posent à notre pays si elle a réellement façonné le discours politique algérien caractérisé souvent par le mimétisme béat et une redondance désarmante. Que l’on ne se méprenne pas en comprenant ou en voyant à travers ce qui vient d’être énoncé une quelconque tentative de remettre en cause les efforts des uns et des autres qui restent malgré tout méritoires et l’engagement de nos intellectuels dans leur démarche et leurs contributions dans la compréhension des faits ; leur démarche est louable, car c’est celle de la réflexion et du dialogue, mais pour rendre cette approche plus opératoire, et là, je me base sur l’expérience démocratique de notre pays, il me semble intéressant de la cadrer par les principes suivants : tout dialogue n’est qu’un échange non pas de convictions (relevant de politiques politiciennes) mais plutôt d’idées argumentées scientifiquement afin d’éclairer et de dévoiler la vérité. C’est cette dernière qui, à son tour, viendra consolider la rationalité de la conviction et surtout celle de l’action, voire sa construction En effet, souvent les crises ne sont que le résultat d’une panne d’idées, et la production de ces dernières est en mesure d’y apporter la solution ou du moins de la transcender. Cet état d’esprit – à savoir la primauté de l’idée – se heurte à une caractéristique de la gouvernance dans pratiquement tous les domaines. Il s’agit de la gestion du rapport compétence/confiance dont la problématique s’impose d’ailleurs à l’ensemble des pays dont les démocraties elles-mêmes dans la gestion des affaires. La nature de ce rapport et sa gestion par le politique peuvent contribuer à la rationalité de la prise de décision et déboucheront dans ce cas sur la stratégie et la prospective ou bien constituer dans le cas contraire le règne de l’irrationalité ou médiocrité qui impose improvisation et rejet du support scientifique. Notons par ailleurs que de cette gestion dépend le sort de la nécessaire complémentarité entre autorité administrative et autorité morale qui, à son tour, vient renforcer la légitimité qui doit caractériser les institutions grâce aux choix judicieux(1). En fin de compte, je ne peux qu’espérer la nécessaire mobilisation de tous les compatriotes pour que cette croisée des chemins soit le point de départ d’une Algérie nouvelle digne de nos aînés qui ont offert au monde du XXe siècle la plus belle fresque que l’humanité ait eu à admirer et non le début de la descente aux enfers. Aussi bien l’honnêteté intellectuelle que mon algérianité m’obligent à mettre en relief les dangers qui menacent tous les Algériens de tout bord, car c’est l’Algérie qui est ciblée dans le cadre des scenarii qui se dessinent au cours de la transition de l’actuel système international. Ce danger qui nous menace de manière pérenne d’ailleurs impose le resserrement des rangs de tous les Algériens. Le sens des responsabilités doit les amener avant qu’il ne soit trop tard à transcender les différences et à savoir fixer les priorités. C’est la perception des dangers qui nous guettent et que je partage entièrement avec de nombreux collègues que je voudrais mettre en relief dans cette modeste contribution dans le cadre d’une approche diachronique par la suite.
DE QUELQUES AVANTAGES DE L’ÉVOLUTION POSITIVE
Dans cette deuxième étape de ma contribution, je vais développer les avantages qui seraient induits par une évolution positive des interactions qui caractérisent notre pays depuis l’avènement du hirak. Les idées que je soumettrai au lecteur dans ce qui suit sont en grande partie inspirées de quelques analyses que j’ai développées sur la gouvernance en Algérie. L’observation et les analyses ont permis de relever les divers dysfonctionnements de la praxis politique algérienne qui ont persisté voire se sont aggravés jusqu’à l’avènement du hirak. Ainsi, ce dernier ne peut qu’oeuvrer pour la correction de ces dysfonctionnements car toute évolution négative de ce que nous sommes en train de vivre ne peut être en aucun cas favorable à aucune des parties algériennes, et seul le système intrusif en tirera profit et accélérera le délitement de l’Etat. En sus de cette nécessité de corriger les dysfonctionnements, plusieurs raisons entrant dans le cadre de nos préoccupations nous incitent à rappeler la nocivité du système international. Parmi ces raisons, citons entre autres : 1- Tout conflit interne se déroulera au profit exclusif de l’extérieur : La gravité de la situation que nous vivons peut s’expliquer par le risque de l’intrusion de parties étrangères qui seraient uniquement motivées par leurs intérêts propres. L’expérience de rapports entre Etats dans le cadre de la «mondialisation» nous permet de constater en effet que ce qui était qualifié de conflit à somme nulle et qui a plus ou moins marqué le guerre froide s’est estompé au profit de ce que j’oserai qualifier de conflit à gain extérieur, c’est-à-dire un conflit où le seul gagnant serait l’ingèrent extérieur qui tirera profit des deux parties en conflit surtout quand ce dernier opposera deux Etats du Sud ou se déroulera entre protagonistes du même pays, c’est-à-dire un conflit interne. 2- Préserver la potentialité défensive de notre pays née paradoxalement de ces interactions Le pacifisme de nos jeunes incrémenté d’une rationalité et d’une perspicacité remarquables de notre armée me laissent penser paradoxalement que cette situation que nous vivons constitue jusqu’à présent autant de potentialités défensives dont peut s’auréoler notre Etat. Cette initiative suivie d’effet nous permettra, si l’évolution de la situation est positive, de conserver ces potentialités, voire de les renforcer. Ainsi, les Algériens sont en mesure de transformer ce qui risque d’être un obstacle (risque d’une évolution négative des actuelles interactions qui évolueront nocive ment) en moyen au service de l’Etat dans le cas où cette évolution se fera au sein de ces interactions algériennes seulement. A bien des égards, ce moyen s’identifiera à une nouvelle forme de dissuasion vis-à-vis des différents aléas que pourrait représenter le système international ou le système régional 3- Réunir les conditions propices à l’avènement d’un Etat fort : Cette situation démontrera clairement les capacités de notre pays à construire un Etat fort : le nationalisme de nos jeunes digne de celui de nos aînés qui ont restauré l’Etat algérien en 1962 (et ce, contrairement à ce que pouvait insinuer un certain ministre français, en l’occurrence Kouchner) se met au diapason d’une armée démontrant par son refus de l’ingérence dans les affaires intérieures des Etats son attachement au respect du sacrosaint principe de la souveraineté dont celle de son Etat. En rappelant à toute occasion sa mission essentielle, à savoir être garante non seulement de la survie du pays dans un système international des plus nocifs et ne pouvant que se rendre compte pour cela de la nécessité d’un Etat fort, puisant sa force entre autres de ses rapports à la population dont le hirak qui s’est bien illustré dès le début par des slogans rappelant ces rapports et réitérant son rejet de toute ingérence étrangère. Cette initiative ne pourra donc que renforcer les liens qui se sont tissés entre le hirak et l’armée. 4- Perception rationnelle, donc immunitaire des rapports de force internationaux : Les interactions, objet de notre travail, ont montré qu’aussi bien les jeunes que l’armée ont saisi l’importance des rapports de force à l’échelle aussi bien internationale que régionale et leur rôle dans la pérennité de leur Etat ou sa disparition. L’Algérie ne peut impacter ces rapports et leurs effets que par le biais de son Etat et de son armée et non en usant du seul droit international qui a toujours été le moyen de justifier et non de changer. Le hirak est, à bien des égards, conscient de la nature des rapports internationaux et du machiavélisme de «la philanthropie» dont se prévalent les tenants de cette mondialisation beaucoup plus «pères fouettards que bons samaritains». D’ailleurs, une certaine philosophie s’est même mise au service de la «démocratie au bout du canon» pour détruire sous prétexte de «démocratiser». Rappelons-nous d’ailleurs le rôle joué par ce fameux BHL qui a laissé ses empreintes en Libye et en Syrie et que le lecteur me permette de rappeler le camouflet essuyé par cet universitaire de pacotille qui, lors de son débat avec la moudjahida Zohra Drif, avait souhaité que les Algériens sachent conjuguer le verbe dégager (en allusion à la Révolution du jasmin en Tunisie). Je lui avais alors rétorqué que l’Algérie maîtrise bien l’impératif de ce verbe qu’elle a eu à utiliser en apostrophant le colonialiste français en 1954 «Dégage !» et que c’est à elle seule de le réutiliser quand elle estimera cela nécessaire et en refusant toute ingérence.(2) Quelque temps plus tard, nos voisins tunisiens ont demandé à ce même BHL de «dégager» de leur pays, et c’est avec admiration que les Algériens ont constaté que le hirak était imprégné à l’image de l’armée de la même doctrine politique. Tout comme il ne peut y avoir d’Etat sans armée, l’Etat ne saurait jamais être fort sans une armée forte. Il m’a été donné d’affirmer en observant les révolutions arabes – et le contexte dans lequel elles se sont déroulées, en l’occurrence la mondialisation qui ne pouvait que rimer avec «fin des Arabes» selon ma conception, que le déterminant en dernière instance parmi les autres forces composant la puissance des Etats, reste la force militaire qui supplante ce qu’une certaine littérature politique présente comme le moteur de l’histoire. En refusant toute ingérence, le hirak a démontré qu’on ne peut être que pour un Etat fort, doté de fortes capacités militaires défensives. 5 - Eviter la nouvelle forme plus nocive de la dépendance, source de corruption et de nihilisme : La prévalence de la logique libérale sur le plan économique régente actuellement les rapports internationaux et notamment entre le Nord et le Sud (concepts politiques et non géographiques). Les retombées néfastes sur le plan social affecteront également le Sud du Nord et pour y remédier, les gouvernants du Nord seront enclins à retirer plus de plus-value des économies du Sud. Cette logique et ses conséquences dont particulièrement les conflits ayant surgi dans le Sud au sein des pays à potentialités économiques recherchées (Libye, Syrie…) m’ont amené à réfuter la notion de mondialisation, notion attrape nigaud par excellence à laquelle je substituerai aisément la notion de Nordisation. Cette notion me parait être le concept adéquat pour rendre compte des rapports entre pays riches (Nord) et pays pauvres (Sud) alors que la notion de mondialisation ne peut être qu’un leurre idéologique. Cette notion me parait être un référent dans la culture politique algérienne. En effet, Boumediène avait estimé à l’époque que la contradiction essentielle dans les rapports internationaux n’opposait pas l’Est à l’Ouest mais plutôt le Nord au Sud. Ce que nous vivons actuellement, c’est une expansion des pays riches, d’où le concept de Nordisation(3). Les initiés ne peuvent que remarquer que la réflexion entraîne et justifie la rupture épistémologique en sciences politiques tant dans l’intérêt des étudiants que des élites politiques. S’engouffrer dans la mondialisation sans précautions préventives ne peut que déboucher sur une dépendance plus spoliatrice, ce que j’appellerai la dépendance-asservissement, où la corruption ne peut que régner. S’en débarrasser n’est possible qu’avec un Etat fort et aussi bien les jeunes que l’armée ont fait de cet objectif leur credo ; Ainsi donc les interactions algériennes ne peuvent qu’évoluer positivement car c’est le sens de la responsabilité. 6- Retrouver le statut de l’Algérie dans le concert des nations : L’Algérie ambitieuse, rejetant la frilosité et s’imposant dans le système international fut l’apanage et l’oeuvre de Boumediène, ami du djoundi et de l’étudiant, les deux mamelles de la puissance. Je me propose dans un deuxième temps d’essayer d’appréhender l’évolution de la politique extérieure de notre pays. Dans le cadre du fil conducteur de notre travail, je voudrais m’interroger sur l’impact de l’évolution des interactions sur la politique étrangère de l’Algérie nouvelle. Je soulèverai ici une hypothèse qui me parait suffisamment plausible vu les caractéristiques de l’évolution des rapports entre les Etats, en l’occurrence le rôle joué par l’ambition qui peut s’identifier à la volonté d’atteindre un objectif qu’on aurait soi-même arrêté. Cette ambition a l’avantage de créer la dynamique tant indispensable aux sociétés entraînant une disponibilité à plus de cohésion. L’évolution positive des interactions algériennes permettra à la politique extérieure de notre pays de renouer avec ses lustres des années soixante-dix. En effet, la dynamique créée par la revendication d’un nouvel ordre économique international me semble être toujours à la portée de nos diplomates et le «multilatéralisme» prôné par certains s’inspire de la même démarche et de la même logique. Dans ses relations avec Alger, le président français se trouve toujours sous la pression de certains lobbys nostalgiques de l’Algérie française et quelques cercles de tout bord qui voudraient faire de leur président le matador qui terrassera finalement le taureau après les diverses banderilles portées à ce dernier. Parions que le président Macron dans ses rapports au président Teboune s’inspirera grandement des rapports du chancelier Adenauer à de Gaule, rapports qui ont fini par faire de l’Europe une Europe franco-allemande. L’honnêteté et le sens de la responsabilité devant l’histoire ont toujours fini par l’emporter. En conclusion et au terme de cette modeste contribution qu’on n’a pas voulue exhaustive et qui gagnerait sûrement à être enrichie, force est de reconnaître que notre pays est à la croisée des chemins dans un environnement régional et international des plus hostiles. Malgré les dangers que représente ce dernier, le sort de notre pays est entre nos mains. La responsabilité de tout un chacun est entière. M. A. Références : 1- Mahmoudi Abdelkader, Interview d’un candidat virtuel aux présidentielles algériennes, éd. Taksidj. com, Alger 2012 2- Mahmoudi Abdelkader : B.H.L – Zohra Drif : ce que peut inspirer leur débat, El Watan du 12-052012 3- Mahmoudi Abdelkader, Les Révolutions (?) arabes : Comprendre et agir, éd. Dar Kortoba, Alger 2012