LIRE L’ARTICLE DE NOTRE CORRESPONDANT À PARIS YACINE FARAH
PRÉSIDENTIELLE IRANIENNE l Qui est donc ce candidat conservateur, proche de Ali Khamenei et qui est accusé par l’opposition iranienne à l’étranger de «crime contre l’humanité»?
LParis es chances de devenir président de la République islamique d’Iran se sont brusquement multipliées pour Ebrahim Raïssi conservateur et ancien élève du guide suprême de la Révolution iranienne, Ali Khamenei.
Déjà, lors de l’élection de 2017, il avait obtenu un score jugé honorable (38% des voix) face au réformiste Hassan Rohani qui avait été élu pour un second mandat (20132021). Mais le tour d’Ebrahim Erraissi serait, semble-t-il, venu après que le Conseil de la Révolution iranienne ait refusé la candidature de nombreuses personnalités politiques de premier plan, dont l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) ou Ali Laridjani, ancien président de l’Assemblée consultative islamique.
Un grand boulevard s’ouvre donc devant Ebrahim Raïssi, alors que la presse le qualifie de «candidat sans aucun adversaire».
Né dans la ville religieuse de Machhad (nord-est de l’Iran), où se trouve le mausolée de l’imam Réda, Ebrahim Raïssi n’appartient pas au rang des «Ayatollah». Bien qu’il porte le turban noir, il découle de la classe des «Houdjatallah», considérée inférieure dans la hiérarchie religieuse chiite.
Proche du guide suprême iranien, il bénéficie de sa confiance et qui voit même en lui son futur successeur.
Agé de 60 ans, Ebrahim Raïssi, n’est pas connu pour sa tendresse. L’opposition iranienne en exil l’accuse de «crimes contre l’humanité» pour avoir prononcé des sentences de mort contre plusieurs milliers d’opposants iraniens, lorsqu’il était procureur général. C’était en 1988. En 2016, il est nommé président de la fondation Astan-e Qods-e Razavi, chargée de gérer le tombeau de l’imam Réda, huitième calife du prophète Mohamed, selon la doctrine chiite, qui se trouve à Mashhad. Véritable «empire économique», la fondation draine chaque année des milliards de dollars, qu’elle investit dans tous les secteurs de production : de celui du bâtiment à l’agroalimentaire en passant par le tourisme religieux, la santé… La fondation gère aussi des milliers d’appartements, de maisons de luxe et de terres agricoles. En clair, un Etat dans un Etat et qui a permis à Ebrahim Erraissi de s’imposer comme une figure politique de premier rang et d’engranger des soutiens précieux à l’intérieur même du régime iranien. Trois ans après avoir occupé le poste de président de la riche fondation Astan-e Qods-e Razavi, il est nommé par le guide suprême en 2019 à la tête de l’Autorité judiciaire, avec comme ordre d’arrêter et de juger tous les responsables impliqués dans des affaires de corruption et de détournements d’argent.
Ce nouveau poste lui donnera des ailes. Méthodiquement, il se débarrassera de tous ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre ou constituer des adversaires sérieux pour le poste de Président. Parmi eux, l’ancien président de la même autorité, Sadeq Laridjani, frère de Ali Laridjani, écarté de la course à la présidentielle pour «soupçons de corruption» retenus contre un de ses proches.
Allant loin dans les règlements de comptes personnels, Ebrahim Erraissi a fait de la «lutte contre la corruption» son slogan de campagne. Il se décrit comme étant «l’ennemi de la corruption, de l’incompétence et de l’aristocratie» et a promis de lutter contre la pauvreté s’il deviendrait président de l’Iran. Sa doctrine économique ne diffère pas beaucoup de celle du guide suprême. Il n’est pas partisan de l’ouverture de l’économie de son pays aux entreprises étrangères. Pire, il est connu pour être un fervent défenseur d’une économie étatique et bien régulée.
Néanmoins, Erraissi a promis d’investir davantage dans les infrastructures de base, comme l’eau, l’électricité et la santé ; des domaines souvent gérés par les fondations religieuses et entités paramilitaires dirigées par les gardiens de la Révolution.
Certains observateurs locaux estiment que les investissements réalisés par les fondations religieuses et les gardiens de la Révolution représentent plus de 50 milliards de dollars. Le tout dans une opacité totale.
S’agissant de l’accord nucléaire, actuellement en négociation entre l’Iran et les pays occidentaux, dont les Etats-Unis, Ebrahim Raïssi semble ne pas vouloir s’opposer aux décisions qui seront prises à l’issue de ces pourparlers.
Même si le mot final revient toujours au guide suprême, Ali Khamenei, le probable futur Président sait pertinemment que pour sortir des tenailles dans lesquelles son pays est pris sur le plan économique, il va falloir d’abord rétablir la confiance avec le monde occidental.
Ainsi, la signature d’un accord sur le nucléaire d’ici la fin de l’année pourrait éventuellement contribuer à faire baisser les tensions et faire sauter quelques verrous empêchant le retour des investisseurs étrangers au pays et la levée des sanctions économiques imposées par Washington. Sur le plan des droits de l’homme et l’ouverture de la société iranienne à la démocratie et aux libertés, Ebrahim Erraissi n’est pas la bonne personne pour accompagner un tel processus.
Considéré comme un «ultraconservateur», il milite pour maintenir les Iraniens dans le carcan religieux, où rien n’est permis.
Il est également connu pour son aversion à la culture occidentale. La preuve est qu’il est allé jusqu’à interdire une fête de la musique pop en 2016 dans la ville de Machhad, alors que d’autres grandes villes iraniennes l’avaient tolérée.
Raïssi ne jouit pas non plus d’une bonne presse auprès des associations de défense des droits de l’homme. Notamment au niveau de la diaspora iranienne qui l’accuse de «crimes contre l’humanité» et d’avoir torturé et assassiné des centaines d’opposants au régime durant les années 1980 et 1990.
S’il est élu Président, Raïssi a toutes les chances ensuite de prendre la place du guide suprême Ali Khamenei qui souffre de nombreuses maladies.
Proche de lui, il a grandi dans son ombre à Mashad, où il était son élève dans une école coranique chiite, et le fait d’occuper aujourd’hui le poste de vice-président de l’Assemblée des experts iraniens, qui possède de nombreuses prérogatives, notamment celle de nommer le futur guide de la révolution islamique iranienne, lui ouvre grandes les portes du pouvoir suprême une fois Khamenei décédé. Pour rappel, ce dernier occupait le poste de Président avant qu’il ne soit nommé en 1989 guide suprême de la Révolution iranienne après la mort de l’imam Khomeiny. Suivra-t-il le même destin que son protecteur ? Pour le moment, la priorité pour Ebrahim Raïssi est de se faire élire président d’un pays à la croisée des chemins.
Yacine Farah