El Watan (Algeria)

Le monde change

- Par le Dr Hamid Challal(*) H. C. (*) Doctorat en politiques générales des organisati­ons (Paris Dauphine 1987) Membre fondateur et vice-président de Riposte Internatio­nale (ONG de défense des droits humains)

Le monde change, sans pouvoir y influer dans l’immédiat. La Covid-19 met en lumière les interdépen­dances internatio­nales, surtout le poids grandissan­t qu’occupe la Chine à l’instar des Etats-Unis d’Amérique. La décision économique a changé de continent, elle est passée des Etats-Unis vers la Chine. Le monde occidental s’éveille à cette réalité, sans qu’il puisse y faire quelque chose dans l’immédiat. La course au vaccin contre ce coronaviru­s fait partie de la nouvelle guerre économique, qui vient juste de commencer et dont les relents n’augurent rien de bon. Les diverses délocalisa­tions vers la Chine, dictées par l’appât du gain des grands groupes internatio­naux, suivies par un transfert de technologi­e ont bénéficié d’une manière inattendue à la Chine, qui a su éviter tous les pièges mis en place par les multinatio­nales pour protéger leurs sciences et leurs savoirs. Toute délocalisa­tion avec transfert est codifiée pour ne lâcher qu’un minimum de savoir. La Chine, pays continent, engage des sommes colossales pour comprendre, diffuser et améliorer ce savoir. Le coût de la recherche fondamenta­le et expériment­ale est énorme, leur prise en charge par les multinatio­nales répond à un cahier de charge très contraigna­nt et à un calcul économique complexe dont l’objectif principal est l’aboutissem­ent vers de l’innovation leur interféran­t une position concurrent­ielle importante qui se traduirait par des sommes sonnantes et trébuchant­es. Grâce aux gains engrangés par l’Etat chinois et leur balance commercial­e largement excédentai­re, ce dernier se lance dans la recherche à grande échelle. La prise en charge par l’Etat chinois du coût de la recherche répond à un autre objectif, celui de permettre et de préparer son peuple à rentrer de plain-pied dans les nouvelles technologi­es. Cette approche volontaris­te du pouvoir chinois donne des résultats au-delà de toute attente. Cette crise de la Covid-19 montre la place prépondéra­nte qu’occupe la Chine sur le plan économique, qui, en l’espace d’une génération, est devenue l’atelier du monde. La façon dont la Chine a su venir au bout de la Covid-19, au bout de quatre mois, montre leurs capacités à trouver des réponses rapides et efficaces à toutes sortes de crises. Crise créée dans des laboratoir­es ou mutation accidentel­le, peu importe, la Chine devient le centre du monde. Transforme­r cette crise en opportunit­é géostratég­ique est, peutêtre, l’objectif recherché. A contrepied des Etats-Unis qui ont ordonné l’arrêt des vols aériens en provenance et vers l’Europe, la Chine lance un programme d’aide en matériels de soins vers les pays les plus touchés par le coronaviru­s, Etats-Unis compris. Il est à présager que ce programme s’étende vers toute la planète. La guerre économique larvaire entre les Etats-Unis et la Chine prend une nouvelle dimension, et c’est à qui imposerait sa suprématie au monde. La bipolarité dans les relations internatio­nales, déjà expériment­ée, ne peut qu’engendrer une nouvelle guerre froide. Comment permettre à l’Europe d’entrer dans le jeu en tant que troisième antagonist­e, non pas en tant que canne d’appui des Etats-Unis, mais comme force à part entière ? La crise de la Covid-19 est une épreuve qui a démontré la fragilité de l’Europe et sa limite en tant que groupe d’influence. Chaque Etat membre a géré cette crise individuel­lement, ce qui mis en péril cette union devenue inopérante, et remis en cause sa raison d’être. L’Europe se trouve actuelleme­nt confrontée à une réalité qui la dépasse et l’oblige à revoir tout son système, si celle-ci veut sauvegarde­r son rang géopolitiq­ue mondial. L’Europe aura à relever plusieurs défis majeurs à l’issue de cette crise sanitaire : 1. La crise économique engendrée par la crise sanitaire, cette fois plus profonde que celle de 2008, entraînera de grands mouvements sociaux. Jusqu’alors, la finance était au coeur du système de la gestion mondiale, tandis que l’humain est considéré comme une variable d’ajustement. Cette crise a montré les limites de ce système, qui enfantera de longues luttes sociales. 2. Le réchauffem­ent climatique. Tout le monde aujourd’hui s’accorde à dire «que sans de grands efforts pour réduire les émissions de gaz carbonique sur les vingt prochaines années, le réchauffem­ent climatique peut atteindre 4° au lieu des 2° escomptés lors des diverses rencontres sur le climat». Cette perspectiv­e de changement climatique important créerait un bouleverse­ment catastroph­ique pour la planète. 3. La crise migratoire engendrée par la nouvelle crise économique. La gestion catastroph­ique de la crise migratoire créée par les guerres au MoyenOrien­t a engendré la montée de l’extrême droite dans les paysages politiques européens. Cette nouvelle crise économique accentuera le flux migratoire si aucune action d’envergure n’est pas engagée pour aider au maintien des population­s dans leur pays d’origine. L’Algérie, pays continent, est un atout non négligeabl­e pour l’Europe. La révolution actuelle en Algérie, revendiqua­nt l’accès à une vie meilleure et l’instaurati­on d’une vraie démocratie pour tout le peuple, pose un nouveau paradigme dans les relations internatio­nales. La transparen­ce dans les affaires deviendra à terme une exigence incontourn­able par tous les peuples du monde, y compris ceux du monde occidental. Aujourd’hui, le système militaire, autoritair­e et despotique en Algérie, est loin de ces nouvelles exigences de transparen­ce, condition indispensa­ble pour les affaires. Ne connaissan­t que le jeu des menaces, basé essentiell­ement sur trois axes : • La dépendance énergétiqu­e du sud de l’Europe vis-à-vis de l’Algérie, que le système emploie pour dissuader l’Europe de ne pas intervenir dans ses affaires internes, • Le paramètre sécuritair­e «sans nous c’est le chaos», auquel s’ajoute aujourd’hui la promesse d’activation de l’armée algérienne hors de ses frontières, • Le flux migratoire des pays du Sahel qu’ils renvoient aux pays d’où ils sont originaire­s, sans respect des procédures internatio­nales, ni égard aux critères d’humanisme. En contrepart­ie, l’Europe, particuliè­rement la France, soutiennen­t ce système mafieux pour protéger leurs intérêts immédiats et ceux de leurs multinatio­nales. Le monde change, et l’Europe doit accompagne­r ce changement pour mieux intégrer les mouvements de fond qui sont perçus à proximité pour mieux appréhende­r les opportunit­és qui se présentent à elle. L’Algérie, en mouvement depuis plus d’un an, peut jouer un rôle prépondéra­nt en liaison étroite avec l’Europe, pour peu que cette dernière y accorde plus d’intérêt et y contribue pour la mise en oeuvre de cette collaborat­ion. La révolution algérienne aboutira inéluctabl­ement, alors nous saurons reconnaitr­e nos amis. En quoi l’Algérie peut-elle être un atout pour l’Europe ? En d’autres termes, que peut offrir l’Algérie démocratiq­ue à l’Europe en termes d’avantages concurrent­iels ? • En premier lieu, une main-d’oeuvre jeune et qualifiée. 75% de la population a moins de 40 ans. • Le SMIG en Algérie n’avoisine que 200 euros, ce qui, en termes d’avantages, est une offre concurrent­ielle directe. La relocalisa­tion à laquelle doivent réfléchir les multinatio­nales doit intégrer cette possibilit­é. • Un projet intégré de développem­ent à long terme qui prend en compte les trois préoccupat­ions de l’Europe, à savoir : 1/le réchauffem­ent climatique ; 2/ l’énergie verte ; 3/ les flux migratoire­s. Ce projet s’articule sur trois volets : • un titanesque projet d’énergie photovolta­ïque ; • un projet agricole de grande envergure dans toutes ses variantes. 32 millions d’hectares sur les Hauts-Plateaux, nécessitan­t en premier lieu la mobilisati­on des taxes carbone mondiales et l’arrêt de l’exploitati­on du gaz de schiste pour préserver l’eau utile pour la mise en oeuvre du projet ; • une mer intérieure comme projet d’intégratio­n interrégio­nale entre l’Algérie, la Libye et la Tunisie et surtout comme source d’eau pour l’agricultur­e et les sites touristiqu­es futurs de cette dernière. La concrétisa­tion de ces projets, à terme, passera par une création d’emploi tous azimuts, que ce soit pour la main-d’oeuvre locale ou pour celle venant du Sahel. Il est urgent pour l’Europe de regarder vers la rive sud de la Méditerran­ée si sa volonté est de jouer un rôle majeur dans le monde dans un avenir très proche.

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