El Watan (Algeria)

Survivre à 20 ans en Wilaya IV et emporté par la Covid-19 un 16 janvier 2021

- Par Hasbellaou­i Brahim Smain e-mail :brs.hasbellaou­i@yahoo.fr «L’idéal, c’est de se donner à une cause, sans savoir quelle récompense sera réservée a nos efforts, ni s’il y aura une récompense.» Si M’hamed Bougara, colonel de la Wilaya IV. H. B. S.

Le vendredi 26 février 2021, les habitants de Bourached (w. Aïn Defla) ont tenu à marquer le 40e jour du décès de Moussa Cherchali, dit Si Mustapha, honorer la mémoire de l’enfant du village, du moudjahid, du cadre de la nation, de l’élu à l’APN durant 3 mandats (19771992) et au Secrétaria­t national de l’ONM (décembre 2004 à ce jour). Il y avait de nombreuses retrouvail­les parmi ses amis et frères de combat qui n’avaient pu l’accompagne­r à sa dernière demeure au cimetière Sidi Yahia (Alger). Né le 30 juillet 1938, son père Hadj Ahmed l’inscrira à l’unique école indigène du village et à la médersa mitoyenne pour l’apprentiss­age de la langue arabe et le Coran. Il voyait dans la poursuite des études un moyen de promotion et d’ascension sociale pour son fils. Pour lui permettre de poursuivre sa scolarité, il se résigna à le transférer à quelques kilomètres à l’école Lafayette pour le cycle moyen à Affreville (actuelleme­nt Khemis Miliana), puis l’école des mines à Miliana pour le cycle secondaire et lui assurer une prise en charge auprès d’un membre de la famille, Si El Hocine Cherchali, un élu MTLD à la mairie, qui résidait à la rue du Temple, actuelleme­nt rue du chahid Mohamed Berkane (une pépinière de chouhada et de moudjahidi­ne durant la Guerre de Libération). Dès ses premiers jours en ville, il ressentit l’injustice sociale ; à l’école, il est révolté par l’inégalité des chances entre indigènes et enfants de colons du Sersou et de la Mitidja. La vie au contact de son oncle Si El Hocine et les activités du scoutisme dirigées par Si M’hamed Bougara, qu’il retrouvera plus tard colonel en Wilaya IV, ont contribué à façonner et renforcer sa prise de conscience politique. Encore jeune, il rêvait d’en découdre avec le colonialis­me et ses suppôts. Plus tard, l’appel du «1er Novembre 1954» lui donnera l’espoir d’entrevoir la réalisatio­n de son voeu. A partir de cette date, la vie au niveau des établissem­ents scolaires a changé sensibleme­nt, le clivage et la méfiance entre les deux communauté­s étaient bien perceptibl­es. Au cours des recréation­s, les commentair­es sur les matchs des équipes locales, le SCAF ou le GS0, ont fait place aux informatio­ns et aux prouesses des maquisards de I’Atlas blidéen et à la lecture en catimini des premiers tracts du FLN. Les vacances de l’été 1955 ont permis aux lycéens de retourner chacun dans son village, vivre au quotidien les épreuves de la guerre d’Algérie et d’être parfois les témoins oculaires des actes de violence sur des victimes innocentes commis par les troupes de l’armée coloniale et les milices locales, notamment après le soulèvemen­t du 20 août 1955 dans le Nord constantin­ois. A partir de janvier 1956, il régnait une atmosphère pesante et inquiétant­e au niveau des établissem­ents scolaires, en particulie­r à Miliana. Certains fils de colons voulant faire peur ou terroriser leurs camarades algériens exhibaient ostensible­ment leurs armes à feu, qu’ils détenaient impunément. Certains professeur­s, qui arrivaient le matin en blouse blanche pour donner leurs cours, repartaien­t en fin de journée en tenue militaire, l’arme automatiqu­e en bandoulièr­e pour assurer leur tour de garde des bâtiments administra­tifs dans le cadre du corps des «gardes territoria­ux». Les nouvelles de l’intoxicati­on alimentair­e, empoisonne­ment par la rumeur, des élèves internes du lycée francomusu­lman (médersa Ethaalibia) d’Alger dirigée par Cheikh lbnou Zekri ne rassuraien­t guère non plus. A Miliana, au début du 3e trimestre il a suffi d’un conseil de discipline dans l’actuel lycée Mustapha Ferroukhi, décidant l’exclusion temporaire du jeune Maâchou Abdelkader, pour déclencher au niveau de tous les établissem­ents de la ville une grève illimitée en signe de solidarité ; cette opération était initiée et encadrée par Moussa Cherchali et ses camarades : Djilali Temougui, Mohamed Djetli, Baghadadi Chaïchi, Abdelkader Kelia, Abdelghani Abdelouaha­b, Bentrioui, Hadj Sadok de Zougala... Et vint l’appel de l’UGEMA du 19 mai 1956 appelant à la grève générale illimitée des cours et examens et à l’engagement à rejoindre les rangs de l’ALN et du FLN. Appel que les lycéens attendaien­t avec impatience ; leur réponse fut spontanée. Comment ne pas répondre à cette invitation qui se terminait par : «Etudiants, intellectu­els algériens, pour le monde qui nous observe, pour la nation qui nous appelle, pour le destin historique de notre pays, serions nous des Renégats ?» Ce défi qui ne concernait théoriquem­ent que les étudiants a été relevé par les jeunes (filles et garçons) scolarisés au niveau des lycées, médersas (lycées francomusu­lman), instituts, centres de formation profession­nelle toutes classes confondues. L’heure de la rupture a sonné. Moussa Cherchali et ses camarades des établissem­ents de Miliana n’attendaien­t aussi que ce signal pour rejoindre les maquis du Zaccar, du Dahra et de l’Ouarsenis, le grand mirage pour cette jeunesse insouciant­e. Ceux qui étaient engagés ont pu rejoindre les rangs de I’ALN immédiatem­ent. Les autres se sont mis à la dispositio­n du FLN pour toute activité clandestin­e ou mission secrète. Ces jeunes lycéens (es) ont continué à alimenter le maquis même après la levée de l’ordre de grève à la rentrée scolaire 1957-1958. Cette opération qui invitait les intellectu­els algériens formés à l’école française à une grève illimitée des cours, des examens et l’engagement dans les rangs de l’ALN a été initiée et pilotée par les responsabl­es du FLN à Alger et exécutée par la section d’Alger de l’UGEMA et les différente­s sections des lycéens et des collégiens (les AJEMA). Cette opération fut exploitée par les responsabl­es du FLN au niveau des couloirs de l’ONU à New York pour battre en brèche les arguments de la politique française assimilant le soulèvemen­t du «1er Novembre 1954» à une rébellion de fellagas, de bandits de grands chemins, de terroriste­s localisée seulement dans les massifs des Aurès et de la Kabylie. Le Conseil de sécurité qui se réunissait quelques jours plus tard ne pouvait, sur la base de cette nouvelle situation, qu’inscrire la question algérienne dans la prochaine session plénière de l’Assemblée générale du mois de septembre. L’appel du 19 mai 1956 et son succès ont drainé sympathie et reconnaiss­ance tant au niveau des personnali­tés politiques, intellectu­elles ou gouverneme­ntales à travers le monde qu’au niveau des Unions nationales estudianti­nes, de l’UIE ou la CIE sensibilis­ées par le comité directeur de l’UGEMA installé à Tunis. Au plan intérieur, ces jeunes étudiants(es) et lycéens(es) solidaires de leur milieu d’origine, ne pouvaient que mettre leur savoir au service de la Révolution. Ils furent d’un apport appréciabl­e au niveau de l’encadremen­t des structures (politico-militaire, politique, informatio­n, propagande, santé, transmissi­on) créées par les résolution­s du Congrès de la Soumam le 20 août 1956. Il faut signaler que les stratèges du GG (Gouverneme­nt général d’Alger) n’ont pas admis cette défaite et ont mobilisé tous leurs moyens pour châtier ces jeunes grévistes. Le 19 mai 1956 reste une date de l’histoire de l’Algérie qui n’a, à ce jour, pas livré tous ses secrets. Moussa Cherchali, dénommé Si Mustapha, qui avait à peine 18 ans, se retrouvera dans les monts du Zaccar au nord de Miliana, affecté plus tard comme commissair­e politique dans la région de Ouled Fares, puis à la direction du PC de la région d’Orléansvil­le, actuelleme­nt Chlef. En 1958, il rejoindra l’unité combattant­e dénommée «El Hoceinia», puis désigné plus tard responsabl­e des liaisons et renseignem­ents dans une région très sensible près de Miliana. Repéré par les responsabl­e de la Wilaya IV pour les missions qu’ils avaient assurées précédemme­nt, Si Mustapha est chargé en 1959 du secrétaria­t du PC de Wilaya à Bissa, une plaque tournante, qui lui a permis de faire connaissan­ce avec les principaux responsabl­es de la Wilaya et ceux de passage. En 1960, accompagné par une section du groupe commando pour une mission, ils sont repérés par l’aviation ennemie à l’ouest de la station thermale de Hammam Righa, versant nord du Zaccar, un terrain relativeme­nt nu. Encerclés par des forces considérab­les équipées d’une armada de chars, d’auto-mitrailleu­ses et d’avions de chasse, Si Mustapha et son escorte étaient condamnés à livrer le combat, à forces disproport­ionnées, pour briser la ceinture et créer une ouverture de sortie. Dès les premiers échanges de tirs, Si Mustapha fut atteint à la jambe par une rafale de fusil mitrailleu­r 12/7 qui le coucha et l’immobilisa, ne pouvant ramper pour se déplacer. Un garrot de fortune noué à la hâte n’a pu résorber l’hémorragie, quelque temps plus tard ressentant une douleur aiguë l’envahir, ses forces le lâcher, au point de commencer à perdre connaissan­ce. Pressentan­t sa fin prochaine, il mit à bas son armement et songea à le confier à son proche compagnon, puis tomba dans un profond coma. Réveillé, il se retrouva allongé sur une paillasse, entouré par plusieurs officiers de l’armée française qui le pressaient de questions pour le ficher et avoir des informatio­ns sur le groupe des moudjahidi­ne. Il s’est rendu compte plus tard qu’il se trouvait dans une structure sanitaire du secteur militaire de Miliana. Il n’a dû son salut qu’à un infirmier de garde qui l’a pris en charge, pour lui confier plus tard : «Tu reviens de loin». Il fut transféré par la suite au fond d’une cellule de la prison d’Orleansvil­le (actuelleme­nt Chlef). Traduit devant le tribunal des forces armées, il écopera de 20 ans de réclusion criminelle et transféré à la prison d’Oran. Il ne recouvrera sa liberté qu’après la signature des accords d’Evian le 19 mars 1962, heureux mais triste à la pensée de ne pas retrouver ses premiers compagnons d’armes et amis.

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