Apprentissage et approche pratique
Pendant cinq jours, du 30 mai au 3 juin 2021, les étudiants en master Mehmed, Gestion de changement de l’environnement en Méditerranée (Mediterranean environmental change management) ont troqué les salles de cours de l’université Salah Boubnider (Constantine3) pour les espaces steppiques de la région Est.
L’atelier, grandeur nature, qui a pris forme à travers trois wilayas, en l’occurrence Khenchela, Batna et Biskra, s’est avéré une expérience idoine à l’épreuve du terrain. Le changement environnemental est mieux perçu in vivo qu’in vitro. «Une sortie sur terrain, en termes de plus-value pédagogique, peut résumer un mois de cours théorique et renforce l’apprentissage», pour paraphraser le Pr Farès Kessasra, maître de conférence HDR à l’université de Jijel. Et ce n’est certainement pas cette première promotion qui le contredira. «Nous avons constaté de visu la déperdition de certains végétaux et la dégradation de sites boisés par les effets du changement climatique alors que nous n’aurions jamais pu évaluer l’ampleur de cette situation si nous nous sommes contentés de cours théoriques», s’accordet-on à dire. Le master qui a pour socle expérimental le bassin méditerranéen tient en compte les spécificités des pays de la rive sud pour une immersion efficace en matière environnementale. Un diplôme professionnalisant qui vise à transformer le savoir en savoir-faire à l’effet de prendre en charge au moins une partie de cette problématique. «Partir d’une approche d’un véritable problème environnemental jusqu’à la formulation d’une série de questions sur différents aspects social, naturel et environnemental. Les étudiants devraient trouver le processus et les impacts qui contribuent à la complexité du changement environnemental étudié. Il est important qu’elles soient effectuées loin des salles de classe», argumente le Dr Latifa Boulahia, coordinatrice du master.
UN TERRITOIRE TÉMOIN
L’atelier doit avoir lieu sur un territoire spécifique pendant au moins 3 à 4 jours pour que les étudiants prennent pleinement conscience de la réalité avant de retourner dans les salles de cours. Aucune matière n’est enseignée, recommandet-on, pendant cette période pour leur permettre de se consacrer uniquement à cette expérience pratique. «Il s’agit d’un atelier intensif d’analyse, d’évaluation et de vue d’ensemble d’un territoire qui a subi des transformations et qui a généré un changement environnemental précis et vice versa. Sur la base de l’approche d’un réel problème environnemental dans un territoire spécifique et la formulation d’une série de questions qui relient les aspects environnementaux et où les étudiants doivent approfondir la complexité du processus et l’impact du changement environnemental étudié. C’est-à-dire l’impact du changement environnemental sur un territoire. L’équipe d’enseignants - de différentes spécialités présentera les étudiants avec un véritable processus de transformation territoriale qui a eu lieu quelque part (une commune, un groupe de communes…). Les étudiants analysent les éléments ou les facteurs qui ont contribué au changement de ses phases et processus jusqu’à l’impact généré, ainsi que les adaptations observées. Ils feront également des propositions pour les actions futures qui visent à atténuer ou à s’adapter au changement lui-même», explique la coordinatrice qui précise que «les groupes ont été organisés avec des étudiants de différentes spécialités afin qu’ils puissent identifier, analyser et évaluer le sujet proposé dans un atelier d’un point de vue pluridisciplinaire et perspectif à différents niveaux ».
PÉRIPLE ÉCOLOGIQUE
Le départ est donné depuis l’université Constantine 3, à 9 h30, en ce dimanche 30 mai, à destination de Khenchela. C’est la première étape de ce workshop mobile. Trois heures plus tard, le groupe est reçu à l’Ecole nationale supérieure des forêts en exposant le but et les grands axes de cette expédition scientifique. Mis en contact avec la direction de la Conservation des forêts, cette dernière «a mis à notre disposition 3 agents des forêts qui nous ont accompagnés à la ville de Tamza afin de visiter la région à caractère agro-sylvo-pastoral, voire le dépérissement du cèdre», relate notre interlocutrice. Arrivés sur le site, à savoir la forêt de Tamza, des explications sur les écosystèmes existants dans la wilaya ont été fournies en premier. Il s’agissait des écosystèmes steppiques, sahariens et forestiers. Ce dernier occupe 18% de l’aire de la wilaya. L’existence de 5 forêts domaniales dont les principales espèces sont le pin d’Alep (75 %), le chêne vert (13%), le cèdre (9%) et d’autres espèces. Un écosystème lacustre situé à la commune d’El Mehmel. Il renferme des canards, des grues cendrées, des flamants roses, etc. À retenir qu’«en 2018, 5000 sujets de flamants roses ont été recensés. Pour la protection de cet écosystème forestier, des plans d’aménagement sont effectués. Ils concernent en particulier les forêts de pin. Des divisions d’aire de 1000 ha, en 30 parcelles et plus, et les différentes actions d’entretien, de recensement de maladies, de feux… sont reportées sur des fiches techniques et des cartes sont établies et actualisées. Pour la cédraie, l’action concerne leur exploitation ou l’avancée du dépérissement de certains sujets». Le deuxième jour sera consacré à Djebel Chelia, précisément la cédraie, l’objectif étant de visualiser les impacts environnementaux sur le cèdre. Les causes de son dépérissement ont été abordées. La 1re cause détectée fut le stress hydrique dû au changement climatique, ainsi que d’autres facteurs liés à l’âge et à certaines maladies et/ou aux feux de forêt. Quel est le procédé pour y remédier donc ? se sont interrogé les masterants. Les échanges entre eux et les officiers de la police forestière ont levé le doute sur particulièrement la régénérescence du cèdre : «Cette dernière était plutôt naturelle, car toutes les tentatives expérimentales n’ont pas abouti pour différentes raisons, entre autres les caprins.»
EN RÉGION ARIDE
La reine des Ziban accueille ses hôtes venus de la capitale de l’Est dans la matinée du troisième jour. La première halte a été au niveau du Centre de recherche scientifique et technique des régions arides (CRSTRA). S’ensuivra une visite guidée des différents laboratoires existant au sein de l’institution dont le laboratoire de cartographie, celui de l’environnement, l’herbier et le bio systématique, laboratoire d’analyse des eaux, analyse des sols et le laboratoire de phyto-chimie. «Les étudiants ont pris connaissance du fonctionnement et de l’appareillage utilisé dans chacun des labos… des réponses à leurs questions ont été données par l’ensemble des travailleurs», est-il indiqué. Et pour un meilleur éclairage, quoi de mieux qu’une conférence. Elle sera animée par Dr Mohamed Belghobra sur «La désertification, la sécheresse et l’ensablement». Dans l’après-midi, il était programmé une sortie sur le site de Doucen (Tolga) pour visiter des périmètres agricoles concédés par l’État aux jeunes sans emplois. Sur l’agenda du jour, il était aussi inscrit la visite d’une palmeraie expérimentale qui a suscité un intérêt manifeste et de serres d’exploitation de cultures potagères. «Nous avons constaté de visu l’impact positif de certaines actions sur un environnement hostile et désertique», reconnaissent les étudiants. LE PARC DE BELEZMA Dans la matinée du 4e jour, la promotion a assisté à une conférence sur la géomatique et son application dans différents domaines environnementaux. À rappeler que «la géomatique est une discipline qui regroupe l’ensemble des outils et méthodes permettant d’acquérir, de représenter, d’analyser et d’intégrer des données géographiques. Elle consiste en au moins trois activités distinctes : collecte, traitement et diffusion des données géographiques». C’était au niveau du CRSTRA. Des résultats de modélisation de travaux relatifs aux changements environnementaux dus à certains facteurs négatifs, tels que les feux, la sécheresse, la désertification, etc., sont exposés. «Une seconde conférence était programmée, mais n’a pas eu lieu faute de temps», précise Dr Boulahia. Le périple est clôturé par deux déplacements. L’un au périmètre agricole du centre CRSTRA, l’autre au barrage des gazelles dans la localité de Loutaya (Biskra). Beaucoup d’informations importantes et utiles pour le cursus ont été récoltées avant le départ vers la wilaya de Batna. La prochaine halte était le parc national de Belezma. Il est subdivisé en trois zones : zone centrale réservée à la recherche scientifique uniquement, zone tampon utilisée exclusivement pour la recherche appliquée et enfin une zone de transition dédiée aux activités de découverte, d’écotourisme d’éco-développement en relation avec la nature. Le rôle du parc est la protection, la conservation et promotion de la recherche, selon la présentation à travers une conférence sur les parcs nationaux et leurs particularités. Des dizaines de questions ont été soulevées et auxquelles le staff de la direction du parc ainsi que le conservateur ont fourni d’amples informations. «Nos questions étaient relatives aux trois zones écologiques du parc Belezma, aux oiseaux et aux espèces de voraces qui pouvaient exister in situ», nous est-il rapporté. La cédraie de Belezma a suscité un fort intérêt. Le conservateur, M. Balla, a présenté un historique sur son existence en Algérie et au Maghreb, la nature des plantes qui s’y trouvent particulièrement le cèdre et l’Oxycèdre. Et d’aborder la problématique de la régénérescence et les causes du dépérissement du cèdre et les actions entreprises pour sauver cette espèce. Dans l’après-midi, cap sur le parc animalier de Djerma. «Il s’agit en fait d’une infirmerie animalière… les oiseaux ou animaux récupérés dans la nature sont traités par le vétérinaire du parc puis relâché dans cette forêt de pins d’une surface de 9000ha», est-il souligné.
PERSPECTIVES
Sur le chemin du retour, étudiants et accompagnateurs ont fait le point sur le premier stage sur terrain. Pour la coordinatrice du master «les objectifs pédagogiques fixés ont été atteints à 100%». Mieux encore : des perspectives de coopération se profilent à l’horizon. L’atelier qui a duré cinq jours pourrait tenir toutes ses promesses, peut-être même au-delà. Il serait question de possibilité de partenariat à travers la signature de conventions de coopération dans le cadre du projet Mehmed avec l’Ecole nationale supérieure des forêts, le Centre national de la recherche en zone aride (CRSTRA) et une autre avec le Parc national de Belezma.