En Jordanie, des milliers de débiteurs menacés de prison
Pour soigner ses deux enfants handicapés, Mohammad Sabha a dû contracter des prêts, mais ce Jordanien risque l’incarcération en raison de son incapacité à les rembourser, dans un pays où ne pas honorer une dette, aussi petite soitelle, est passible de prison. «Il s’agit de l’un des problèmes sociaux les plus graves du royaume», souligne l’économiste jordanien Musa Al Saket. En Jordanie, seuls les fonctionnaires et les retraités bénéficient d’une assurance maladie, et Mohammad, âgé de 43 ans, a déjà fait de la prison à cause de ses dettes. Sa femme est employée dans un service de nettoyage, et à deux ils gagnent mensuellement 650 dinars (767 euros), ce qui couvre à peine leurs dépenses.
«Ma femme et moi travaillons mais nous sommes obligés d’emprunter pour soigner nos deux enfants, car les soins coûtent annuellement 5000 dinars (5900 euros) et nous ne les avons pas», explique à l’AFP Mohammad, installateur de structures en aluminium. Sa fille, Fathia, 17 ans, souffre d’une paralysie à un bras et une jambe et Khader, 18 ans, a perdu un oeil en tombant lorsqu’il était enfant. Il doit changer régulièrement sa prothèse. «Pour soigner nos enfants, nous avons emprunté depuis cinq ans 12 000 dinars auprès de cinq établissements. Nous sommes harcelés par les créanciers qui se sont adressés aux tribunaux. Aujourd’hui, nous sommes aux abois», explique-t-il. S’ils ont échappé au cachot, c’est en raison de la pandémie. Le gouvernement a instauré en mars un moratoire jusqu’à la fin de l’année pour l’exécution des peines de prison, à condition que la dette de la personne concernée n’excède pas 100 000 dinars. Mais Mohammad est convaincu que dès que la loi entrera de nouveau en vigueur, lui et sa femme seront les premiers à aller en prison. «Il faut réviser la loi, car l’emprisonnement ne profite ni au créancier ni au débiteur. Qu’est ce qu’il gagne en me mettant en prison ? Qui s’occupera de mes enfants malades ?» dit-il. Selon un rapport sur la question publié par l’ONG Human Rights Watch (HRW) en mars, plus d’un quart de million de Jordaniens font actuellement l’objet de plaintes pour défaut de paiement. Il cite des statistiques officielles, selon lesquelles le nombre de personnes qui risquent l’incarcération pour des dettes impayées a décuplé en seulement quatre ans, passant de 4352 en 2015 à 43 624 en 2019 dans un contexte économique difficile.